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Les caractéristiques d’une attaque généralisée et systématique avant le Statut de Rome

Une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile

I. Les caractéristiques d’une attaque généralisée et systématique avant le Statut de Rome

Aujourd’hui, le Statut de Rome exige, comme condition générale, que les crimes contre l’humanité soient commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile. Cette dimension particulière d’un crime commis à l’échelle d’une telle attaque détermine la spécificité du crime contre l’humanité par rapport aux autres crimes.

La définition de ce cadre a varié sur des points essentiels, encore récemment avec les Statuts des deux Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. En effet, le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie renforce le lien entre les crimes contre l’humanité et un conflit armé, exigeant que ces crimes soient commis au cours d’un conflit armé 1. Déjà le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg avait-il requis un lien entre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ou contre la paix, ceux-là devant être commis « à la suite » ou « en liaison » avec ceux-ci, mais l’évolution du droit international sur ce point ne l’exigeait plus depuis. Très clairement, cette limitation était un pas en arrière important dans l’évolution de la notion de crime contre l’humanité, qui s’explique sans doute par le fait que la compétence de ce tribunal ad hoc s’exerce,ratione temporis etloci, dans des situations de conflits armés.

Dans sa jurisprudence, ce Tribunal a toutefois restreint autant que possible cette condition, estimant qu’elle ne revient pas à établir que les actes commis soient étroitement liés au conflit. L’exigence qu’ils soient commis au cours d’un conflit armé n’est qu’une condition préalable à l’exercice de sa compétence par le Tribunal et est satisfaite dès lors qu’est démontrée l’existence d’un conflit armé et établi un lien objectif du point de vue géographique et temporel entre les actes de l’auteur et le

1 Voir art. 5 TPIY.

conflit armé. Il suffit donc qu’il existe un conflit armé au moment et au lieu de la commission du crime contre l’humanité, sans que l’auteur veuille forcément y participer ou s’y associer d’autre manière.

Les deux notions d’attaque contre une population civile et de conflit armé doivent être clairement distinguées, même si la première peut se dérouler au cours d’un conflit armé. Dès lors, un lien n’est requis par le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie uniquement entre les actes de l’auteur et l’attaque contre une population civile : « A nexus between the accused’s acts and the armed conflict is not required (…). The armed conflict requirement is satisfied by proof that there was an armed conflict; that is all that the Statute requires, and in so doing, it requires more than does customary international law » 2.

Le Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda a, lui, imposé une condition générale différente, l’attaque devant être dirigée contre une population civile en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse3. Cette condition restrictive par rapport au droit international coutumier peut également s’expliquer par le contexte essentiellement génocidaire qu’a connu le Rwanda à l’époque des faits entrantratione materiaeet loci dans sa compétence.

Sur cette exigence d’une raison discriminatoire à la commission du crime, le Tribunal a jugé que cette condition, qui lui est propre, doit, aux fins d’interprétation, être considérée comme une caractérisation de la nature de l’attaque et non comme la mens rea de l’auteur. L’auteur peut avoir commis une infraction principale pour des motifs discriminatoires identiques à ceux qui inspirent l’attaque généralisée mais ni les motifs évoqués ici, ni, du reste, aucune intention discriminatoire quelle qu’elle soit, ne sont des éléments indispensables du crime, dès lors que celui-ci a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée 4.

Dans un jugement postérieur, ce même Tribunal a précisé cette exigence d’une raison discriminatoire : « Inhumane acts committed against persons not falling within any one of the discriminatory categories may constitute crimes against humanity if the perpetrator’s intention in committing these acts, is to further his attack on the group discriminated against on one of the grounds specified in Article 3 of the Statute. The perpetrator must have the requisite intent for the commission of crimes against humanity »5. Ainsi, deux situations sont envisageables, premièrement une attaque généralisée ou systématique basée sur les motifs discriminatoires requis, auquel cas la mens rea de l’auteur n’a pas à les englober à nouveau, soit, deuxièmement, si l’attaque elle-même ne repose pas sur de tels motifs, l’exigence que l’auteur les fasse siens.

La Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a tenté de reprendre et de généraliser la même exigence d’une raison discriminatoire à la commission d’un crime contre l’humanité, pourtant absente de son Statut, en argumentant sur la base de l’opinion émise par le Secrétaire général des Nations Unies et par certains membres du Conseil de sécurité :

«Néanmoins, du fait que la condition d’intention discriminatoire pour des raisons nationales, politiques, ethniques, raciales ou religieuses pour tous les crimes contre l’humanité a été prévue dans le Rapport du Secrétaire général et puisque plusieurs membres du Conseil de sécurité ont indiqué qu’ils interprétaient l’article 5 comme se référant à des actes motivés par

2 TPIY, Tadic, Appel fond, §251 ; voir également TPIY, Kunarac, Appel, §83.

3 Voir art. 3 TPIR.

4 Voir TPIR, Bagilishema, §77-81.

5 TPIR, Rutaganda, §§73-76.

une discrimination, la Chambre de première instance adopte la condition d’intention discriminatoire pour tous les crimes contre l’humanité en vertu de l’article 5 » 6.

En appel, la Chambre de première instance a été désavouée sur ce point avec fermeté, la Chambre d’appel jugeant : « The Prosecution was correct in submitting that the Trial Chamber erred in finding that all crimes against humanity require a discriminatory intent. Such an intent is an indispensable legal ingredient of the offence only with regard to those crimes for which this is expressly required, that is, for Article 5(h), concerning various types of persecution » 7.

Hors ces caractéristiques propres à chacun des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, il est possible de dégager les conditions générales requises à l’existence d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile.

Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a, dans l’affaireTadic précitée, sur ce point, correctement analysé ces éléments fondamentaux : « La détermination des conditions d’applicabilité par la Chambre de première instance exposé ci après est que, premièrement, l’expression ‘lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé’ requiert l’existence d’un conflit armé et d’un lien entre l’acte et ce conflit. Deuxièmement, l’expression ‘dirigés contre une population civile’ s’entend de sorte à inclure une définition large du terme ‘civil’. Elle exige, en outre, que les actes soient commis de manière généralisée et systématique en application d’une politique. (…). Enfin, l’auteur de l’infraction doit avoir conscience du contexte élargi dans lequel ses actes sont commis » 8.

Plus précisément, l’exigence d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile est généralement comprise comme regroupant les cinq éléments constitutifs établis par la jurisprudence de ce Tribunal comme suit, hors le lien exigé avec le conflit armé :

(i) Il doit y avoir une attaque.

(ii) Les actes de l’auteur doivent constituer une partie de l’attaque.

(iii) L’attaque doit être dirigée contre une population civile quelconque.

(iv) L’attaque doit être générale ou systématique.

(v) L’auteur doit connaître le contexte général dans lequel il agit et savoir que ses actes participent à l’attaque 9.

Le Statut de Rome, ne retenant ni la condition du lien avec un conflit armé ni celle d’une raison discriminatoire, revient à une définition des éléments constitutifs généraux du crime contre l’humanité plus traditionnelle et conforme au droit international coutumier10.

t

6 TPIY, Tadic, §652.

7 TPIY, Tadic, Appel fond, §305.

8 TPIY, Tadic, §626.

9 Voir TPIY, Kunarac et al., §§410-411, voir également TPIY, Stakic, §621.

10 Voir Rodney Dixon, in Triffterer,Commentary on the Rome Sta ute, pp. 123-124,ad art. 7 CPI.

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