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L’évolution et la cristallisation coutumière de la notion de crimes contre l’humanité

pénale internationale

B. L’évolution et la cristallisation coutumière de la notion de crimes contre l’humanité

L’évolution de la notion de crimes contre l’humanité est à rechercher tant dans les différents instruments internationaux qui se sont succédé entre 1945 et 1998, que dans la pratique – demeurée rare – de certains tribunaux nationaux, notamment en France, et, surtout, dans les prises de positions de la doctrine internationale dominante.

Bien que certains soutinssent que l’Accord de Londres et le Statut du Tribunal de Nuremberg codifièrent des règles existantes, il semble cependant plus correct d’admettre que les crimes contre l’humanité constituèrent, à Nuremberg, une nouveauté. Il est vrai que les infractions rassemblées sous cette appellation étaient toutes interdites par les codes pénaux de tous les pays, y compris de l’Allemagne nazie, qui n’avait jamais procédé ouvertement à une révision du code pénal, pour y soustraire, officiellement, certains groupes de personnes à la protection de la loi.

Entre 1945 et 1993, les crimes contre l’humanité ne font l’objet que des deux conventions sur leur imprescriptibilité. Dans la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, adopté par la résolution 2391 (XXIII) de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 26 novembre 1968, les crimes contre l’humanité sont ceux définis dans le Statut du Tribunal de Nuremberg, qu’ils soient commis en temps de guerre ou en temps de paix, plus « l’éviction par une attaque armée ou l’occupation et les actes inhumains découlant de la politique d’apartheid, ainsi que le crime de génocide». Quant à la Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, du 25 janvier 1974, elle mentionne uniquement, de manière surprenante et fortement réductrice, « les crimes contre l’humanité prévus par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ».

La première évolution à souligner est l’obsolescence du lien exigé initialement entre les crimes contre l’humanité et un conflit armé. Cette disparition, acquise dès la Loi N°10 du Conseil de contrôle allié du 20 décembre 1945, est appuyée par la doctrine internationale. En 1993, lorsque le Secrétaire général des Nations Unies proposa la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, il renoua néanmoins avec l’exigence que les crimes contre l’humanité fussent commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, conservant l’impression que ces crimes n’avaient pas encore atteint leur autonomie conceptuelle. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a, toutefois, reconnu que cette limitation

25 Voir Antonio Cassese,International Criminal Law, pp. 67-74.

n’était pas nécessaire et restait en deçà du niveau déjà atteint par le processus de formation coutumière en la matière, qui l’avait abandonnée26. L’interprétation large de la notion jouit en fait d’un appui coutumier, qui constitue notamment le reflet du rôle de garant que la communauté internationale assume en matière de droits de l’homme27.

La seconde évolution à relever consiste en l’élargissement constant de la liste des actes constitutifs de crimes contre l’humanité. Celle contenue aux articles 6 du statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et 5 de celui pour le Rwanda, ajoutent l’emprisonnement, la torture et le viol à la liste de Nuremberg. Le Statut de la Cour pénale internationale la développe encore en y incluant les disparitions forcées et l’apartheid, subdivisant également les infractions d’ordre sexuel en différents crimes que sont, outre le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution, grossesse et stérilisation forcées, ainsi que toutes les autres formes de violence sexuelles de gravité comparable.

De cette évolution, certains éléments sont généralement reconnus. Tout d’abord, il s’agit de crimes particulièrement odieux, d’une extrême gravité, qui, tous, possèdent la caractéristique d’être inhumains. Ces crimes ne doivent pas être isolés mais faire partie de la politique d’un gouvernement ou d’une pratique, généralisée ou systématique, menée avec l’appui ou, pour le moins, l’approbation tacite des autorités de l’Etat. Ils doivent être commis à l’encontre de personnes civiles, ou de non combattants s’ils sont commis dans le cadre d’un conflit armé.

Les Statuts des deux Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ont ceci de commun dans leurs définitions des crimes contre l’humanité que, tout d’abord, ils énumèrent une liste d’actes constitutifs plus élaborée que celles de Nuremberg et identiques l’une à l’autre et, ensuite, qu’ils s’éloignent de l’évolution coutumière de la notion en prévoyant, pour l’ex-Yougoslavie, un lien avec un conflit armé et, pour le Rwanda, une intention discriminatoire générale. Sur cette base, la jurisprudence de ces deux instances a permis de préciser la définition pénale de la plupart des éléments constitutifs des crimes contre l’humanité 28.

Il faut également se prononcer en faveur de la reconnaissance comme droit coutumier de tous les éléments constitutifs des crimes contre l’humanité, tels qu’on les lit aujourd’hui à l’article 7 du Statut de Rome. La liste a été continûment élargie depuis plus de cinquante ans, notamment en matière de crimes sexuels. Il faut pourtant estimer que tous ces éléments, issus successivement des expériences endurées, ont tous le même but et sont tous compris dans la même réprobation générale attachée aux crimes contre l’humanité. Qui plus est, les disparitions forcées et l’apartheid, nouvellement apparus dans la liste, sont à maintes reprises qualifiés de crime contre l’humanité tant par la doctrine que par l’Assemblée générale des Nations Unies. Enfin, toutes les listes se terminent par l’incrimination de tous les

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26 « A nexus be ween the accused’s acts and the armed conflict is not requi ed (…). The armed conflic requirement is satisfied by proof tha the e was an a med conflict; tha is all tha the Sta ute requires, and in so doing, it requires more than does customary interna ional law», TPIY, Tadic, Appel fond, §251 ; voir également TPIY, Kunarac, Appel, §83.

27 Voir Antonio Cassese,Crimes against Humanity,in Cassese, Gaeta, Jones, The Rome Sta u e, pp. 353-361;

Christian Tomuschat,La cristallisation coutumière, §2 – Crimes contre l’humanité,in Ascensio, Decaux, Pellet, Droit interna ional pénal, pp. 31-33 et Theodor Meron,The continuing role of custom in the formation of interna ional humanita ian law, AJIL 1996, vol. 90, pp. 238-242.

28 Voir Antonio Cassese,C imes agains Humanity,in Cassese, Gaeta, Jones, The Rome Statute, pp. 365-370.

autres actes inhumains, de caractère comparable, dont firent incontestablement partie les crimes peu à peu ajoutés formellement à la liste 29.

L’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale est plus ou moins le reflet des dernières évolutions de la notion coutumière de crimes contre l’humanité30. Il ne saurait toutefois être confondu avec le droit international coutumier et devra trouver une interprétation qui lui soit propre, tant sur les points qui en diffèrent que sur ceux qui en sont la fidèle expression, dans le cadre général et systématique qu’il trace lui-même avec précision.

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29 Voir Christian Tomuschat,La c istallisation coutumière, §2 – Crimes contre l’humanité,in Ascensio, Decaux, Pellet,Droit international pénal, pp. 31-33.

30 Voir Antonio Cassese,Crimes agains Humanity,in Cassese, Gaeta, Jones, The Rome S a u e, pp. 373-377, pour qui l’art. 7 CPI élargit le champ coutumier des crimes contre l’humanité sur certains points et le rétrécit sur d’autres.

III. Historique de la Cour pénale internationale

La problématique de la création d’une Cour pénale internationale ressurgit périodiquement en droit international pénal, depuis le procès Hagenbach en 1474, avec les efforts de la doctrine et les hésitations vouées à l’échec de l’entre-deux guerres, mais c’est incontestablement la mise en place du Tribunal militaire international de Nuremberg, qui marque la première étape historique vers la création de la Cour pénale internationale31.

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