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Cas pratique : l’Affaire Naletilic et Martinovic

Une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile

II. Cas pratique : l’Affaire Naletilic et Martinovic

Pour bien comprendre la définition systématique que nous allons développer de la notion d’attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile, ainsi que de celle de la connaissance que l’auteur doit en avoir, nous nous sommes penchés sur l’établissement des faits de la cause dans l’affaireNaletilic et Martinovic, jugée par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le 31 mars 2003.

La Chambre de première instance a en effet établi qu’il existait une attaque généralisée et systématique à l’encontre des populations civiles musulmanes de Mostar, Sovici et Doljani, satisfaisant à la définition du crime contre l’humanité. Cette attaque a pris diverses formes et la Chambre établit les faits suivants :

«Cette attaque a pris différentes formes. Après les combats acharnés dont Sovici et Doljani ont été le théâtre, les civils musulmans ont été rassemblés et emprisonnés, puis transférés dans des centres de détention et, plus tard, en territoire contrôlé par l’ABiH. Les maisons appartenant aux Musulmans dans le secteur ont été brûlées pour prévenir tout retour de la population musulmane. Les édifices religieux musulmans, les mosquées par exemple, ont été systématiquement détruits. Des centres de détention ont été créés dans tout le secteur pour incarcérer les Musulmans. Les soldats qui avaient libre accès à ces centres soumettaient souvent les détenus, civils ou soldats hors de combat musulmans, à des traitements humiliants et brutaux » 11.

Ce sont là des faits d’une extrême gravité comprenant largement des atteintes aux personnes et aux biens représentatifs de leur religion. Le siège de Mostar a laissé un souvenir marquant chez tous ceux qui ont suivi les événements largement retransmis par les médias. La Chambre de première instance poursuit sa démonstration :

«La campagne menée contre la population musulmane dans le secteur a atteint son apogée après l’attaque contre Mostar début mai 1993 lorsque, à l’issue des hostilités, la population civile musulmane a été chassée de Mostar-Ouest par des actions concertées. Les éléments de preuve montrent de quelle façon des groupes de soldats ont expulsé des familles musulmanes de leurs appartements la nuit, les jetant ainsi littéralement à la rue et les obligeant à partir en laissant tout derrière elles. Le climat de terreur entretenu par les soldats a poussé les civils musulmans à quitter la partie occidentale de la ville en de longues colonnes.

Les rares personnes qui ont pu retourner chez elles plus tard n’ont pu que constater que leurs appartements avaient été pillés ou détruits»12.

Ce n’est pas tout, la Chambre relève ensuite les conditions humanitaires déplorables qui ont été la conséquence de ces événements :

«Les conditions humanitaires dans la partie est de Mostar étaient déplorables. Alors que la multiplication des expulsions sur la rive ouest provoquait un gonflement de la population musulmane à l’est, l’eau et l’électricité étaient coupées et les organisations humanitaires n’ont pas eu accès à la zone pendant des semaines. Des services publics essentiels, l’hôpital par exemple, étaient situés dans la partie ouest de la ville et n’étaient donc plus accessibles à la population civile musulmane. Les édifices à l’architecture orientale, comme le vieux pont de Mostar, ont été détruits. Les rues de Mostar-Ouest ont été rebaptisées après l’expulsion des Musulmans » 13.

11 TPIY, Naletilic et Martinovic, §238.

12 TPIY, Naletilic et Martinovic, §239.

13 TPIY, Naletilic et Martinovic, §240.

En conclusion, cette situation correspond à ce que l’on a appelé depuis du nettoyage ethnique :

«Les éléments de preuve permettent donc d’établir qu’une attaque généralisée et systématique a été dirigée contre la population musulmane de la zone visée par l’Acte d’accusation. Ils prouvent également que cette campagne avait un but précis : transformer la région de Mostar, où se mêlaient jusqu’alors différentes ethnies, en un territoire croate en BH devant accueillir une population croate ethniquement pure » 14.

Etablir les circonstances qui constituent l’attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile est une étape essentielle dans la répression des crimes contre l’humanité. Ce n’est toutefois pas une étape suffisante. Il convient également de démontrer que les actes de l’accusé s’inscrivirent dans le cadre de cette attaque. C’est ainsi que la Chambre de première instance relève :

«La Chambre est convaincue que les actes mis à la charge de Mladen Naletilic et de Vinko Martinovic par l’Acte d’accusation s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile musulmane de la région, laquelle s’est accompagnée de combats acharnés. Mladen Naletilic a participé aux combats en tant que chef du KB, et Vinko Martinovic en tant que celui de l’ATG Vinko Škrobo. Ils ont par leurs agissements directement contribué à la réalisation de l’objectif assigné à cette campagne, à savoir l’expulsion de la population civile musulmane des secteurs de Sovici, Doljani et Mostar, et leurs actes s’inscrivent dans le cadre de l’attaque » 15.

Non seulement les actes des accusés s’inscrivent-ils effectivement dans le cadre de cette attaque mais la mens rea essentielle est également donnée, les accusés connaissant l’existence de l’attaque et désirant y participer :

«La Chambre est également convaincue que Mladen Naletilic était informé de l’attaque. En sa qualité de chef du KB, il se déplaçait entre Sovici, Doljani et Mostar, et a donc été présent dans tous ces endroits à divers moments. Rien ne permet raisonnablement de penser qu’il aurait pu ne pas être informé de la situation de la population civile musulmane dans ces secteurs. En outre, la Chambre est convaincue que l’accusé a délibérément oeuvré à la réalisation des objectifs de l’attaque dirigée contre la population civile musulmane de la région et savait donc aussi que ses actes participaient de cette attaque. Le témoin LL, que la Chambre a considéré comme fiable et crédible, a déclaré que Mladen Naletilic et Ivan Andabak lui avaient clairement dit, lors d’un dîner chez Andabak, que leur but était d’expulser la population musulmane du secteur et de créer une République de Herceg-Bosna. La Chambre est donc convaincue que les conditions générales d’application de l’article 5 du Statut sont réunies en ce qui concerne Mladen Naletilic » 16.

Il en est de même de son coaccusé, Vinko Martinovic :

«La Chambre est également convaincue que Vinko Martinovic était informé de l’attaque dirigée contre la population civile musulmane de Mostar. Le quartier général de l’ATG Vinko Škrobo commandé par l’accusé se trouvait rue Kalemova, et sa zone de responsabilité était le Bulevar, situé au centre de Mostar directement sur la ligne de front séparant les parties est et ouest de la ville. Durant les opérations, Vinko Martinovic se déplaçait dans toute la ville. Ainsi, rien ne permet raisonnablement de penser qu’il aurait pu ne pas être informé de la situation de la population civile musulmane de Mostar. La Chambre est convaincue que Vinko Martinovic, informé de l’attaque, a décidé d’oeuvrer à la réalisation de ses objectifs et qu’il savait que ses actes y contribuaient »17.

14 TPIY, Naletilic et Martinovic, §240.

15 TPIY, Naletilic et Martinovic, §241.

16 TPIY, Naletilic et Martinovic, §242.

17 TPIY, Naletilic et Martinovic, §243.

Sur la base de cet exemple, nous pouvons déjà discerner les grandes lignes des éléments constitutifs d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et celles de la mens rea requise, qu’il convient maintenant d’analyser systématiquement, à la lecture du premier paragraphe de l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale.

III. L’actus reus : une attaque généralisée ou systématique

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