• Aucun résultat trouvé

La politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque

Une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile

B. Une attaque généralisée ou systématique

2. La politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque

Le Statut de Rome est plus précis que celui des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda dans la définition qu’il donne de l’attaque généralisée ou systématique. Il précise en effet que cette attaque doit être menée « en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque » 47.

La jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a déjà déduit du droit international coutumier et de la notion d’attaque systématique, celle de l’existence d’une politique criminelle.

Dès le jugement rendu en l’affaire Tadic, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie avait conclu que, traditionnellement, la condition d’une attaque générale ou systématique a été interprétée comme signifiant qu’il doit exister une certaine forme de politique pour commettre ces actes, politique qui n’a pas besoin d’être formellement énoncée et que l’on peut déduire de la façon dont les actes sont commis : « En particulier, le caractère d’actes généralisés ou systématique démontre l’existence d’une politique visant à commettre ces actes, qu’elle soit ou non énoncée formellement. Bien que certains doutent de la nécessité d’une telle politique, les éléments de preuve soumis dans la présente espèce établissent clairement l’existence d’une politique » 48.

Dans le même sens, le jugement rendu en l’affaire Jelisic estime que, parmi les facteurs qui peuvent mettre en évidence le caractère massif ou systématique d’une

t

43 Voir notamment TPIR, Musema, §§202-204, TPIR, Akayesu, §6.4 ; TPIY, Blaskic, §207, TPIY, Krnojelac,

§57, TPIY, Naletilic et Martinovic, §236, TPIY, Kunarac, Appel, §94.

44 Voir TPIY, Blaskic, §207.

45 Voir TPIY, Kunarac, Appel, §§94-97.

46 Voir Rodney Dixon, in Triffterer,Commentary on the Rome Sta ute, pp. 126-127,adart. 7 CPI.

47 Art. 7 §2 lit. (a) CPI.

48 TPIY, Tadic, §653.

attaque, comptent par exemple : « l’existence d’une politique affichée visant une communauté particulière, la mise en place d’institutions parallèles visant à mettre en œuvre cette politique, l’implication d’autorités politiques ou militaires de haut niveau, l’importance des moyens financiers, militaires ou autres mis en œuvre, l’ampleur ou le caractère répété, uniforme et continu des exactions commises à l’encontre d’une même population civile » 49.

Le même Tribunal s’est interrogé sur le fait de savoir si l’existence d’une telle politique est strictement l’un des éléments constitutifs du crime contre l’humanité. Si cette politique n’a pas besoin d’être celle de l’Etat, une certaine intervention de sa part est souvent nécessaire : « Les crimes en question peuvent également avoir été favorisés par l’État ou, en tout état de cause, faire partie d’une politique gouvernementale ou de celle d’une entité disposant d’une autorité de facto sur un territoire. (…) Bien que les crimes contre l’humanité soient généralement le fait d’organes de l’État, à savoir des individus agissant à titre officiel comme des commandants militaires, des soldats, etc., ils peuvent être commis par des individus n’ayant pas de statut officiel et n’agissant pas au nom de la puissance publique. La jurisprudence disponible semble indiquer que, dans ces cas, il convient d’établir l’existence d’une sorte d’approbation ou assentiment explicite ou implicite de l’État ou des pouvoirs publics, ou alors qu’il est nécessaire que le crime ait été clairement encouragé par une politique générale de l’État ou qu’il s’inscrive manifestement dans le cadre d’une telle politique » 50.

Cette condition d’une politique criminelle ne semble toutefois pas acquise en droit international, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ayant jugé qu’il n’existe justement aucune prescription du droit international coutumier exigeant que les actes de l’auteur du crime soient reliés à un plan ou à une politique, dont l’existence est néanmoins un moyen de preuve important dans la détermination du caractère massif ou systématique de l’attaque et dans celle de la participation de l’accusé51.

Dans la même voie, la Chambre d’Appel du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a nuancé l’importance de déterminer l’existence d’une politique suivie dans la commission d’un crime contre l’humanité, la ramenant à un élément de preuve comme les autres : « il n’est pas nécessaire que l’attaque ou les actes des accusés soient le fruit d’une « politique » ou d’un « plan » quelconque. Rien, dans le Statut ou le droit international coutumier tel qu’il existait à l’époque des faits allégués, n’exige la preuve de l’existence d’un plan ou d’une politique visant à la perpétration de ces crimes. (…) [Le] fait que l’attaque était dirigée contre une population civile et le fait qu’elle était généralisée ou systématique sont des éléments constitutifs du crime. Mais pour prouver ces éléments, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’ils résultaient de l’existence d’une politique ou d’un plan.

Pour établir que l’attaque était dirigée contre une population civile et qu’elle était généralisée ou systématique (et en particulier cette dernière caractéristique), il peut être utile de démontrer qu’il existait effectivement une politique ou un plan, mais ces éléments peuvent être prouvés autrement. En conséquence, l’existence d’une politique ou d’un plan peut être pertinente dans le cadre de l’administration de la preuve, mais elle ne saurait être considérée comme un élément constitutif du crime » 52.

Dans une autre mesure, la Cour de Cassation française, dans l’affaire Barbie, de même que dans l’affaire Touviera jugé que l’élément politique était essentiel à la définition du crime contre l’humanité, le définissant précisément comme étant la

49 TPIY, Jelisic, §53.

50 TPIY, Kupreskic et al., §§551-555

51 Voir TPIY, Krnojelac, §58.

52 TPIY, Kunarac, Appel, §98.

commission du crime « au nom d’un Etat pratiquant ainsi une politique d’hégémonie idéologique » 53.

Le Statut de la Cour pénale internationale est, lui, clair sur ce point. En disposant que l’attaque générale ou systématique doit être conduite en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque, il érige cette condition en élément constitutif de l’attaque et donc des crimes contre l’humanité. Par contre, il ne précise pas le contenu de cette politique et ne limite notamment pas sa portée à une politique d’hégémonie idéologique.

La politique exigée par le Statut n’est pas seulement celle d’un Etat mais également celle « d’une organisation ayant pour but la commission d’une telle attaque »54.

Ceci va dans le sens que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie relevait déjà dans l’affaire Tadic, que le droit relatif aux crimes contre l’humanité a évolué pour prendre en compte des forces qui, bien que n’étant pas celles d’un gouvernement légitime, exercent de facto le contrôle d’un territoire particulier ou peuvent s’y déplacer librement. L’accusation le soutenait dans ses conclusions préalables à l’instance et a convaincu le Tribunal sur ce point, un crime contre l’humanité pouvant donc être commis pour le compte d’entités exerçant un tel contrôle mais sans la reconnaissance internationale ni le statut officiel d’un Etat ou pour le compte d’un groupe ou d’une organisation terroriste 55.

Plus largement, il n’est pas nécessaire que les actes commis se rattachent à une politique établie à l’échelon de l’Etat mais ils ne peuvent pas pour autant être commis par des individus isolés, qui ne peuvent être considérés comme une organisation. Le projet de Code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, adopté par la Commission du droit international, est plus explicite sur ce point.

Prévoyant que les crimes contre l’humanité doivent être commis à l’instigation ou sous la direction d’une organisation ou d’un groupe quelconque, le commentaire précise que cette alternative est destinée à exclure les situations dans lesquelles un individu poursuit son propre dessein criminel, agissant seul, en l’absence de tout encouragement ou de toute directive d’un gouvernement, d’un groupe ou d’une organisation. Ces actes ne constitueraient effectivement pas des crimes contre l’humanité. Par ailleurs, il serait extrêmement difficile à un individu solitaire de commettre les actes inhumains d’une ampleur telle que celle exigée par les crimes contre l’humanité : « C’est l’instigation ou la direction soit d’un gouvernement ou d’une organisation ou d’un groupe quelconque qui donne à l’acte sa dimension et en fait un crime contre l’humanité, imputable à des particuliers ou à des agents de l’Etat »56. Même si le projet d’articles de la Commission ne limite pas les auteurs possibles de crimes contre l’humanité aux seuls agents ou représentants d’un Etat, l’organisation indispensable à la commission du crime exige au moins que les individus qui agissent soient pourvus d’un pouvoir de fait ou organisés en bandes ou en groupes criminels.

Cette condition que la politique suivie puisse être le fait d’une organisation criminelle et non seulement de l’Etat rejoint la jurisprudence constante du Tribunal pénal international pour le Rwanda, reprise également par celui pour

r r

53 Arrêt de la Cour de Cassation, du 3 juin 1988,ILRN° 332 et 336, citéin Nasser Zakr, App oche analytique du c ime contre l’humanité en droit international, RGDIP 2001-2, pp. 281-306.

54 Art. 7 §2 lit. (a)in fine CPI.

55 Voir TPIY, Tadic, §654.

56 CDI, Rapport sur les travaux de sa 48ème session (1996), ONU Doc. A/51/10, p. 235.

l’ex-Yougoslavie, refusant de considérer que le plan criminel soit nécessairement conçu au plus haut niveau de l’Etat. Le crime contre l’humanité n’est en effet pas un

«acte de souveraineté criminelle». Les individus organisés et pourvus d’un pouvoir de fait sont tout autant capables de mettre en œuvre une politique de terreur à grande échelle et de commettre des exactions massives 57.

Enfin, cette organisation ne doit pas seulement encadrer ou diriger l’attaque, elle doit être formée autour du projet de cette attaque. Le Statut dispose en effet qu’il s’agit d’une « organisation ayant pour but une telle attaque». Il n’est pas exigé que ce soit là le but unique de cette organisation mais il semble qu’un tel but doive être important dans les raisons d’être de cette organisation. Le but de cette organisation doit donc être de provoquer l’attaque générale ou systématique lancée contre une population civile, de créer les conditions d’ampleur et de systématicité nécessaires à la qualification du crime, sans qu’il soit besoin que l’organisation elle-même connaisse exactement les termes juridiques de cette qualification.

Au sens que lui a donné la Commission préparatoire dans les Eléments des crimes, la politique d’un Etat, ou celle d’une organisation, s’entend du fait de favoriser ou d’encourager activement l’attaque. La Commission précise que cette politique doit se manifester dans l’action de l’Etat ou de l’organisation et que, si des circonstances exceptionnelles peuvent permettre d’envisager une abstention délibérée d’agir par laquelle l’Etat ou l’organisation entend consciemment encourager l’attaque, on ne peut déduire l’existence de cette politique du seul fait de l’inaction de l’Etat ou de l’organisation58.

Le problème le plus sérieux confronte ces éléments avec la définition de l’attaque généralisée ou systématique que le Statut lui-même en donne. En exigeant que l’Etat ou l’organisation « favorise ou encourage activement une telle attaque», le tout accompagné de la note de bas de page suivante : « La politique qui a pour but une attaque contre la population civile en tant que telle se manifeste par l’action d’un État ou d’une organisation. Dans des circonstances exceptionnelles, une telle politique peut prendre la forme d’une abstention délibérée d’agir, par laquelle l’État ou l’organisation entend consciemment encourager une telle attaque. On ne peut inférer l’existence d’une telle politique du seul fait que l’État ou l’organisation s’abstienne de toute action » 59, la Commission préparatoire complique inutilement l’approche de la politique d’un Etat ou d’une organisation criminelle.

Il est délicat de faire correspondre une telle définition des éléments de l’attaque avec la lettre de l’article 7 du Statut. Le seul élément que le Statut exige par rapport à l’attaque est la connaissance que doit en avoir l’auteur. L’auteur doit donc savoir qu’il existe une politique de l’Etat ou d’une organisation criminelle qui vise à commettre une telle attaque, sans avoir à s’interroger sur la participation active de l’Etat ou de l’organisation en cause. L’exigence du Statut que l’attaque soit conduite en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation requiert un certain engagement et un certain suivi du modus operandi des assaillants.

Le Statut définit ainsi clairement l’attaque comme « le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 (…) en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque » 60. Il est difficile d’envisager à la lecture de cette disposition du Statut une omission

57 Voir TPIY, Blaskic, §205.

58 VoirEléments des crimes, Crimes contre l’humanité, Introduction, §3, p. 120.

59Eléments des crimes, Crimes contre l’humanité, Introduction, §3 et note 6, p. 120.

60 Art. 7 §2 lit. (a).

constitutive de l’attaque. La note de la Commission reconnaissant que l’attaque peut, dans des circonstances exceptionnelles, consister en une abstention délibérée d’agir élargit le champ de l’attaque, tout en le restreignant également par l’exigence que l’abstention d’agir soit délibérée et que l’Etat ou l’organisation criminelle entende, par son abstention, consciemment encourager l’attaque. Toutefois, en précisant que l’on ne peut inférer directement de l’inaction de l’Etat ou de l’organisation en cause l’existence d’une politique, la Commission semble tout de même requérir une certaine activité de leur part, ce qui nous ramène au point de départ.

La lecture des Eléments des crimes sur ce point, y compris des notes qui accompagnent certains éléments, donne une définition de la politique qui sous-tend l’attaque constitutive de crime contre l’humanité inutilement compliquée 61. Dans tous les cas, si l’on reconnaît qu’il peut y avoir politique de l’Etat au sens de l’article 7 du Statut dans son abstention intentionnelle d’agir, favorisant ainsi l’attaque, il n’en demeure pas moins que cette attaque doit bien être menée, de manière généralisée ou systématique, par une entité organisée. Si ce n’est pas l’Etat, qui par hypothèse s’abstient d’agir, ce ne peut être alors qu’une organisation, qui agirait avec le soutien tacite de l’Etat. Au contraire, il est difficile d’imaginer une abstention délibérée d’agir de la part d’une organisation qui doit, rappelons-le, « avoir pour but une telle attaque » 62.

L’Etat ou toute autre organisation doit donc directement intervenir dans la commission du crime contre l’humanité, puisque l’attaque doit être l’application ou la poursuite d’une politique de sa part. Il n’est pas certain que cette exigence supplémentaire apporte quelque chose de nouveau au droit en vigueur. Nous l’avons vu, les Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda ont déjà pris en compte, largement, l’existence d’une telle politique, pour apporter la démonstration du caractère systématique de l’attaque en cause. Si cette condition est là pour s’assurer que des actes isolés ne seront pas réprimés comme des crimes contre l’humanité, les conditions précédentes d’attaque généralisée ou systématique suffisaient. Cette condition renforce en fait, et l’explique, la condition alternative d’une attaque massive ou systématique mais, érigée en élément constitutif, elle ajoute à la difficulté de démontrer l’existence de l’attaque.

Outline

Documents relatifs