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Une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile

E. Meurtre et extermination

Le meurtre, comme tous les autres crime contre l’humanité, doit s’inscrire dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile, en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat 135. Il convient alors de tenter de distinguer le meurtre commis massivement ou systématiquement de l’extermination, qui semblent,a priori, très proches l’un de l’autre.

Nous avons vu que, en ce qui concerne le meurtre, la mort de la victime devait résulter de l’action ou de l’omission de l’auteur.

L’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale définit l’extermination

«notamment» comme le fait « d’imposer intentionnellement des conditions de vie, telles que la privation d’accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population » 136.

L’Assemblée des Etats parties a adopté comme éléments de ces deux crimes, premièrement pour le meurtre, que l’accusé doit avoir « tué une ou plusieurs personnes», sans autres précisions, et, deuxièmement pour l’extermination, que l’accusé doit avoir « tué une ou plusieurs personnes, notamment en les soumettant à des conditions d’existence propres à entraîner la destruction d’une partie d’une population », précisant que de telles conditions « pourraient» être infligées par la privation d’accès à la nourriture ou aux médicaments137.

134 TPIY, Krnojelac, §329.

135 Art. 7 §1 in initio et §2 lir. (a) CPI.

136 Art. 7 §2 lit. (b) CPI.

137Eléments des crimes, Crimes contre l’humanité, Meurtre et Extermination p. 120.

Dans les deux cas, l’auteur a tué une ou plusieurs personnes. Par ailleurs, si l’auteur a intentionnellement soumis des personnes à des conditions de vie propres à entraîner leur disparition, notamment en les privant de l’accès à la nourriture ou aux médicaments, leur mort est bien le résultat de l’action ou de l’omission de l’accusé.

L’extermination est, dans le langage courant, comprise comme des meurtres commis à grande échelle. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda l’a défini comme suit : « Par son acte ou ses actes ou omission(s), l’auteur a participé à une tuerie généralisée de personnes ou à leur soumission à des conditions d’existence devant entraîner leur mort à grande échelle ; dans l’intention de donner la mort, ou en faisant preuve d’une insouciance grave, peu lui important que la mort résulte ou non d’un tel acte ou d’une telle omission ou de tels actes ou omissions ; en étant conscient du fait que ledit acte ou ladite omission ou lesdits actes ou omissions s’inscrivent dans le cadre d’une tuerie généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse » 138.

Ce qu’il faut retenir ici, renvoyant au chapitre suivant l’analyse détaillée de l’extermination, c’est que, premièrement, ce crime peut être commis soit par le meurtre, soit par la création de conditions de vie propres à entraîner la mort ; le résultat homicide n’est donc pas indispensable à la réalisation du crime d’extermination. Deuxièmement, le meurtre vise des individus alors que l’extermination vise un groupe de personnes 139.

Il s’ensuit que l’extermination est une infraction spéciale par rapport au meurtre dont elle englobe tous les éléments constitutifs, plus d’autres qui lui sont propres.

138 TPIR, Kayishema et Ruzindana, §144.

139 Voirinfra chapitre 6.

V. La mens rea

La mens rea du meurtre, comme celle de tout crime au sein du Statut de Rome, s’apprécie par rapport à l’article 30 du Statut, sauf disposition qui lui soit contraire.

L’article 7 ne contient aucune dérogation en matière de meurtre, qui ne fait pas non plus l’objet d’undolus specialis qui lui soit propre.

Il a toujours été reconnu par les deux Tribunaux pénaux internationaux que le meurtre doit être intentionnel pour constituer un crime contre l’humanité, quel que soit le terme employé, faisant notamment référence au droit de common law et à la notion de « malice » :

«The ordinary meaning of the English term ‘murder’ is also understood as something more than manslaughter and thus, as stated above, no difference of consequence flows from the use of ‘wilful killing’ in place of ‘murder’. (…) At common law, the term ‘malice’ is often utilised to describe the necessary additional element that transforms a homicide from a case of manslaughter to one of murder. Yet again, however, there is a strong danger of confusion if such terminology is transposed into the context of international law, without explanation of its exact meaning. Malice does not merely refer to ill-will on the part of the perpetrator of the killing, but extends to his intention to cause great bodily harm or to kill without legal justification or excuse and also ‘denotes a wicked and corrupt disregard of the lives and safety of others’. In most common law jurisdictions, the mens rea requirement of murder is satisfied where the accused is aware of the likelihood or probability of causing death or is reckless as to the causing of death » 140.

Plus loin dans le même jugement, le Tribunal relève que la notion de dol connue dans les pays de droit civil décrit la notion d’un acte volontaire, englobant tant l’intention ou dol directe qu’indirect ou dolus eventualis. L’auteur qui s’engage dans une conduite mettant en danger la vie de ses victimes, notamment en leur infligeant des atteintes graves à l’intégrité corporelle, et provoquant ainsi leur mort, commet un meurtre intentionnel, s’il était conscient que la mort pouvait raisonnablement résulter de ses actes ou omissions et s’il en accepte par avance la réalisation141.

Il faut donc que l’intention de l’auteur soit de tuer ou d’infliger des atteintes graves à l’intégrité physique de sa victime sans égard pour sa vie.

Ainsi, « On peut considérer que l’accusé est coupable de meurtre s’il a commis des actes illégaux dans l’intention de tuer une autre personne ou de la blesser grièvement et que ce comportement a provoqué la mort de cette personne. (…) L’élément moral de l’assassinat requis par l’article 5 a) correspond à l’intention de tuer ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique d’autrui par l’effet de l’imprudence et du peu de cas qui est fait de la vie humaine » 142.

Au sens de l’article 30 du Statut, l’auteur doit agir avec intention et connaissance. Il y a intention si l’auteur entend adopter un comportement ou s’il entend provoquer une conséquence ou est conscient qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. Il y a connaissance si l’auteur est conscient qu’une circonstance existe ou adviendra dans le cours normal des événements. Ces

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140 TPIY, Delalic et al., §433.

141 Voir TPIY, Delalic et al., §435.

142 TPIY, Kupreskic et al., §§560-561, dans la version anglaise du §561 : « The requisite mens rea of murder under Article 5(a) is the intent to kill or the intent to inflict serious injury in reckless disrega d of human life ».

termes limitent la commission du crime à la forme du dessein ou du dol direct, excluant le dol éventuel et la négligence, sauf si le Statut en dispose autrement 143.

En ce qui concerne le meurtre, il n’existe aucune règle spéciale au sein du Statut relative à la mens rea de l’auteur. Celui-ci doit donc avoir l’intention d’adopter un comportement dont il est conscient qu’il provoquera la mort de sa victime, qui adviendra dans le cours normal des événements.

Seuls le dessein ou le dol direct sont ici admissibles et il convient alors de rejeter le dol éventuel. Ainsi, celui qui inflige intentionnellement à sa victime des atteintes graves à son intégrité physique ne commet pas de meurtre car il ne possédait pas la mens rea nécessaire, le dol éventuel n’étant pas reconnu par l’article 30 du Statut 144.

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143 Voirsupra chapitre 3.

144 Voir Roger S. Clark,Crimes Against Humanity and the Rome Sta ute of the International Criminal Court,in Politi & Nesi, The Rome Statute of the International Criminal Court A Challenge to Impunity, p. 82.

VI. Conclusion : les éléments constitutifs de meurtre

La jurisprudence des deux Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda a établi clairement quels sont les éléments constitutifs de meurtre et, par exemple, la Chambre de première instance du premier, dans l’affaire Krnojelac, a jugé, sans faire sur ce point l’objet d’un recours :

«The basic requirements for the crime of murder are:

1. The victim named in the indictment is dead.

2. The victim’s death was caused by an act or omission of the accused, or of a person or persons for whose acts or omissions the accused bears criminal responsibility.

3. That act was done, or that omission was made, by the accused, or a person or persons for whose acts or omissions he bears criminal responsibility, with an intention:

a. To kill, or

b. To inflict grievous bodily harm, or

c. To inflict serious injury, in the reasonable knowledge that such act or omission was likely to cause death » 145.

L’Assemblée des Etats parties a, pour sa part, adopté comme suit les éléments constitutifs du meurtre comme crime contre l’humanité dans le Statut de la Cour 146 :

«1. L’auteur a tué une ou plusieurs personnes.

2. Le comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

3. L’auteur savait que ce comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ou entendait qu’il en fasse partie » 147.

En conclusion, et vu l’analyse qui précède, il convient donc de relever systématiquement comme suit les éléments constitutifs de meurtre comme crime contre l’humanité, qui viendront s’ajouter aux éléments généraux du chapeau de l’article 7 paragraphe 1, relatifs à l’attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile.

A. Eléments matériels

1. Dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile,

2. L’auteur a tué une ou plusieurs personnes.

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145 TPIY, Krnojelac, §§323-324.

146 Voir Darryl Robinson,The Elements of Crimes against Humani y,in Roy. S. Lee,The Interna ional Criminal Court, Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, pp. 80-81.

147Eléments des crimes, Crimes contre l’humanité, Meurtre, p. 120.

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