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L’élaboration de l’élément psychologique dans les Eléments des crimes par la Commission préparatoire

La commission intentionnelle des crimes contre l’humanité au sens de l’article 30 du

B. L’élaboration de l’élément psychologique dans les Eléments des crimes par la Commission préparatoire

L’élaboration des éléments psychologiques et contextuels des crimes fut au cœur des discussions de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale. Ces Eléments des crimes viennent tenter de clarifier le champ d’application de l’article 30 du Statut et donner quelques lignes directrices en matière d’interprétation de cette disposition.

Les premiers éléments établis par la Commission préparatoire apparaissent dès l’introduction générale. La Commission reprend tout d’abord textuellement le contenu de l’article 30 du Statut, rappelant que, sauf disposition contraire, une personne n’est pénalement responsable et ne peut être punie pour avoir commis un crime contre l’humanité, que si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance. La Commission précise ensuite que si, dans les différents éléments des crimes contre l’humanité, aucune mention n’est faite d’un élément psychologique spécifique, « il est entendu que l’élément psychologique pertinent, c’est-à-dire l’intention ou la connaissance ou l’une et l’autre, visé à l’article 30 s’applique ». C’est notamment le cas du meurtre comme crime contre l’humanité 19. Enfin, aux paragraphes 3 et 4 de son introduction générale, la Commission établit que l’intention et la connaissance peuvent être inférées des faits et circonstances pertinents et que, pour les éléments psychologiques impliquant un jugement de valeur, lorsque sont employés, par exemple, les termes « inhumain» ou « grave », «il n’est pas utile que l’auteur ait lui-même porté un jugement de valeur » 20.

En mentionnant expressément que l’intention et la connaissance peuvent être données aussi bien alternativement que conjointement, la Commission semble contredire l’article 30 du Statut, qui exige qu’il y ait «intention et connaissance ». En regard de la mens rea, les éléments des crimes, de nombreuses fois, ne font référence qu’à l’intention de l’auteur ou à une intention spéciale, reliée à la conduite concernée et à ses conséquences, mais ce n’est souvent là que la répétition de l’exigence générale de la commission intentionnelle ou, le cas échéant, l’exigence d’un dol aggravé spécifique au crime en question, comme c’est le cas, par exemple, des crimes contre l’humanité de persécution ou de grossesse forcée 21. Parfois, les Eléments des crimes n’exigent que la connaissance des circonstances dans lesquelles le crime a été commis. Ainsi, dans le cas des crimes contre l’humanité, le Statut exige de l’auteur qu’il connaisse seulement l’existence de l’attaque en cours 22.

Ceci ne signifie pas pour autant que l’on puisse se passer de la connaissance ou de l’intention pour imputer le crime à son auteur. La définition que le Statut

18 Albin Eser, Mental Element – Mistake of Fact and Mistake of Law,in Cassese, Gaeta, Jones,The Rome Statute, vol. I, p. 908

19 Voir art. 7 §1 lit. (a) CPI etinfrachapitre 5.

20Eléments des crimes, Introduction générale, §§2 à 4, p. 116.

21 Voir art. 7 §1 lit. (h) et §1 lit. (g) et §2 lit. (f) CPI.

22 Art. 7 §1 in initioCPI.

donne de l’attaque généralisée ou systématique constitutive des crimes contre l’humanité regroupe la commission d’un ou de plusieurs des actes énumérés à l’article 7, qui, tous, doivent être commis avec intention et connaissance. La commission de crimes contre l’humanité exigeant la commission d’un grand nombre d’actes, commis par une pluralité d’auteurs, il est évident que l’on ne peut exiger de chacun l’intention de mener une attaque généralisée ou systématique : en tant que telle, ce doit être là l’intention de l’Etat ou de l’organisation ayant pour but une telle attaque, dans la politique poursuivie ou appliquée 23. La connaissance de cette attaque est donc suffisante, ce qui permet d’imputer à l’auteur les crimes qu’il commet comme actes de participation à l’attaque en cours. L’intention exigée de lui pour le crime en question (meurtre, torture ou viol, par exemple), ajoutée à la connaissance de l’attaque généralisée ou systématique, permet de relier son crime à cette attaque, à en faire un crime contre l’humanité et non plus un crime individuel sans lien avec la juridiction de la Cour. Il faut donc en conclure que l’auteur doit avoir la connaissance de l’attaque en cours et l’intention de s’y associer par le crime qu’il commet.

Quant à la formulation de l’article 30 du Statut, réservant les dispositions qui lui seraient contraires, la Commission établit que « Les exceptions à la règle de l’article 30 fondées sur le Statut, y compris le droit applicable en vertu de ses dispositions pertinentes, sont énoncées ci-après » 24. La Commission retient que ces exceptions peuvent provenir tant du Statut lui-même que des autres sources du droit applicable, sans mentionner ni exclure les Eléments des crimes 25. Nous ne suivons pas la Commission lorsqu’elle autorise à chercher des exceptions à l’article 30 dans les sources du droit applicable par la Cour, à savoir les traités, principes et normes du droit international, y compris la coutume, et les principes généraux du droit pénal26. Il nous semble, sous peine de perdre toute substance, que l’article 30 n’entend par disposition contraire, que des dispositions internes au Statut lui-même, telle que l’article 28 lettre (a). Quant aux Eléments des crimes, ils doivent être conformes au Statut 27, s’ils prévoient des dispositions qui lui soient contraires, celles-ci seraient alors inapplicables. Qui plus est, le texte de l’article 30 est clair (« nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance») et est d’interprétation stricte au sens de l’article 22 paragraphe 2 ; l’intention des auteurs du Statut d’exclure toute incrimination générale du dol éventuel et de la négligence est également claire 28. Il faut nécessairement en conclure que les exceptions à l’article 30 ne peuvent être recherchées que dans le Statut lui-même.

C’est ainsi que les Eléments des crimes établis par la Commission préparatoire mentionnent parfois une intention spécifique, ou dolus specialis, qui provient du Statut ou d’une autre source du droit international telle que l’article 21 du Statut les énumère. En ce qui concerne les crimes contre l’humanité, le Statut lui-même prévoit que certains crimes doivent être commis avec une intention spécifique : ceci s’applique aux crimes contre l’humanité de grossesse forcée, de

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23 Voir art. 7 §2 lit. (a) CPI.

24Eléments des crimes, Introduction générale, §2 in fine, p. 116.

25 Dans le même sens, voir Gerhard Werle & Florian Jessberger, « Unless Otherwise Provided », in JICJ vol. 3 N°1, March 2005, pp. 35-55.

26 Voir art. 21 CPI.

27 Voir art. 9 §3 CPI.

28 Voir Albin Eser,Mental Element – Mistake of Fact and Mistake of Law,in Cassese, Gaeta, Jones,The Rome Statute, vol. I, pp. 892-898 et Donald K. Piragoff,in Triffterer,Commenta y on the Rome Statute,ad art. 30, pp. 527-528.

persécution, de disparition forcée de personnes et au crime d’apartheid 29. Dans tous ces cas, un élément psychologique plus grave est exigé par le texte même de l’article 7 du Statut et repris par la Commission dans les Eléments des crimes 30.

Pour sa part, le quatrième paragraphe de l’introduction générale aux Eléments des crimes concerne les jugements de valeur liés, par exemple, au caractère

«grave» ou « inhumain» des actes commis et permet d’éviter la recherche de la preuve d’un tel jugement de valeur de la part de l’auteur. En effet, pour la Commission, « il n’est pas utile que l’auteur ait lui-même porté un jugement de valeur » 31. Il s’ensuit correctement que la qualification de certains actes de «graves » ou

«inhumain» est objective, basée sur le droit, et non subjective, basée sur l’état d’esprit de l’auteur. L’évaluation personnelle de l’auteur est irrelevante dès lors qu’il est démontré que sa connaissance des faits de la cause établit ce caractère de gravité ou d’inhumanité.

En d’autres termes, la question était de déterminer le degré de preuve que le Procureur devait apporter de la connaissance par l’auteur du large contexte matériel dans lequel s’inscrivent les actes commis. Sur ce point, l’article 30 est particulièrement général, établissant seulement que la connaissance signifie la conscience qu’une circonstance existe, la seule autre mention, au premier paragraphe de l’article 7 du Statut, de la connaissance que l’auteur doit avoir de l’attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile, n’étant guère plus explicite. C’est pourquoi la Commission établit de manière détaillée les éléments contextuels des crimes contre l’humanité dans l’introduction consacrée à ces crimes, de même que dans la liste des éléments constitutifs de chacun des crimes32.

Plus précisément, le contexte est abordé par les deux derniers éléments de chaque crime, qui, tous, doivent être commis en connaissance de l’attaque généralisée ou systématique dont ils participent. Toutefois, la Commission s’empresse de relativiser l’exigence de cette connaissance : «le dernier élément ne doit pas être interprété comme exigeant qu’il soit prouvé que l’auteur avait connaissance de toutes les caractéristiques de l’attaque ou des détails précis du plan ou de la politique de l’État ou de l’organisation». De même, si l’attaque n’est que dans sa phase initiale, « l’intention visée dans le dernier élément indique que l’élément psychologique est présent dès lors que l’auteur avait l’intention de mener une telle attaque » 33.

Le Statut de la Cour pénale internationale proclame explicitement le postulat de base de la culpabilité, en requérant que l’auteur agisse dans un certain état d’esprit. Ainsi, le Statut, pour la première fois en droit international, exprime un principe qui remonte au droit romain et au droit canon exprimé en latin par la formule « actus non facit reum nisi mens rea » 34.

29 Voir art. 7 §1 lit. (g) à (j) CPI.

30 Voir Eléments des crimes, Crimes contre l’humanité, Grossesse forcée, p. 124, Persécution, p. 125, Disparition forcée, p. 126, Apartheid, p. 127.

31Eléments des crimes, Introduction générale, §4, p. 116.

32 Voir Antonio Cassese,International Criminal Law, p. 177.

33Eléments des crimes, Crimes contre l’humanité, Introduction, §2, p. 119.

34 Voir Albin Eser,Mental Element – Mistake of Fact and Mistake of Law,in Cassese, Gaeta, Jones,The Rome Statute, vol. I, p. 890 et Donald K. Piragoff,in Triffterer,Commentary on the Rome Statute, p. 529,ad art. 30 CPI.

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