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Sur le Principe de séparation

Audition de M. Mohammed Moussaoui, Président d'honneur et membre du bureau

2. Sur le Principe de séparation

La loi de 1905, dans son article 2, après avoir posé le principe que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », indique dans le même article: « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics, tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » La liste a été étendue ensuite à l'armée. Le principe de non-subventionnement se trouve donc limité par le principe de libre exercice.

Quand la Chambre a débattu, en 1905, de la mise à disposition de lieux de culte (églises, temples, synagogues), édifices publics, aux associations cultuelles, des députés estimaient que seul le paiement d'un loyer serait conforme au principe de non-subvention. La majorité de l'Assemblée ne les a pas suivis et a voté la gratuité de cette mise à disposition (article 13).

Il est à noter que le vote unanime par les Députés de la subvention de 500 000 francs, comme la décision unanime par le Conseil Municipal de Paris de faire donation perpétuelle et gratuite des terrains nécessaires à la construction de la Mosquée, n’ont soulevé aucun problème de compatibilité avec l’article 2 de la loi de 1905. L’historien M. Renard nota que ce financement « … fut donc voté en toute conscience, malgré la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. On parla surtout de la reconnaissance de la France pour l’indéfectible loyauté de ses fils musulmans.»

Par cinq décisions du 19 juillet 2011, le Conseil d’État a apporté d’importantes précisions sur la façon dont il convient d’interpréter la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat. Les cinq affaires que le Conseil d’État a tranchées correspondaient à une réelle diversité de situations : elles ne concernaient pas toutes le même culte, ni le même type d’opérations. Quatre d’entre elles présentaient toutefois un point commun : dans chacune d’elles, étaient contestées des décisions de collectivités territoriales qui, poursuivant un intérêt public local, avaient soutenu un projet intéressant, d’une manière ou d’une autre, un culte. Dans la cinquième affaire, Le législateur a permis aux collectivités territoriales de conclure un bail en vue de de faciliter la réalisation d’un édifice destiné à un culte et de mettre à disposition un terrain leur appartenant, en contrepartie d’une redevance modique et de l’intégration, au terme du bail, de l’édifice dans leur patrimoine. Ce faisant, le législateur après avoir rappelé que les associations cultuelles ne peuvent recevoir de subventions de l'Etat, des départements et des communes, a indiqué que les baux emphytéotiques, conclus pour un coût symbolique pour la construction d'édifices affectés au culte, ne sont pas considérés comme des subventions.

Cette décision du Conseil d’Etat vient réaffirmer et renforcer la pratique libérale de la loi de séparation concernant les baux emphytéotiques introduits dès les années 1930: « Les instructions alors données (à cette époque) par le ministre de l'intérieur (sur les directives du président du Conseil) au préfet de la Seine ont été de ne pas faire opposition aux délibérations d'approbation des baux prises par les conseils municipaux soucieux de permettre l'exercice des cultes dans les agglomérations nouvelles. » 3. Sur le Principe de neutralité

Le principe de laïcité impose une stricte neutralité aux agents chargés d’une mission de service public.

L’État doit agir dans le respect de la laïcité pour garantir aux citoyens de convictions différentes d'être traités à égalité. Lorsque le service public est directement géré et pris en charge par des personnes détenteurs de la puissance publique, l’exigence de neutralité à ces personnes ne semble pas poser de difficultés particulières. C’est lorsque la puissance publique délègue à des personnes privées la gestion ou l’exploitation de certaines activités d’intérêt général que la question de neutralité se pose.

Si des difficultés peuvent apparaître, elles proviennent moins du principe de laïcité lui-même, que de l’identification parmi ces activités d’intérêt général de celles qui relèvent réellement du service public.

La jurisprudence du Conseil d’Etat, quand bien même elle ne peut embrasser tous les cas particuliers, ce que la loi ne pourrait pas faire non plus, permet aujourd’hui de circonscrire la plupart des cas de contentieux en la matière. Aussi « il importe d’assurer une vulgarisation de cette jurisprudence, de mettre en place des outils permettant de prévenir les conflits, de réguler les rapports sociaux dans le respect de libertés et droits de chacun et d’établir éventuellement une typologie des différents cas d’espèce et indiquer les moyens et ressources mobilisables en fonction de chaque cas ».

En revanche le principe de neutralité ne s’impose pas aux personnes privées. Une entreprise ou une association ne peut invoquer le principe de laïcité pour limiter la liberté religieuse d’autrui qu’il s’agisse de ses salariés ou de ses clients. Il n’existe pas en droit du travail d’équivalent au principe de neutralité des agents en charge du service public.

La directive européenne du 27 novembre 2000 sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et deux articles du code du travail définissent les seules règles s’appliquant aux salariés de droit privé. L’article L.1132-1 pose un principe de non-discrimination en matière de droit du travail (du recrutement au licenciement en passant par toutes les évolutions de carrière), qui inclut les convictions religieuses.

RA P P O R T A N N U E L D E LO B S E R V A T O I R E D E L A L A Ï C I T É 2 0 1 3 - 2 0 1 4

L’article L 1121-1 pose, quant à lui, un principe de protection des libertés fondamentales au travail:

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » La jurisprudence fournit des exemples de motifs dans lesquels des limites peuvent être apportées à la liberté de croyance et de pratique religieuse :

Qle prosélytisme actif ;

Ql’hygiène et la sécurité,

Qun comportement ou une conviction susceptible de porter atteinte à l’intérêt de l’entreprise ou à son activité.

Seule exception autorisée à ces exigences, les entreprises dites «de tendance», qui sont des entreprises dans lesquelles « une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée. Autrement dit, l’objet essentiel de l’activité de ces entreprises est la défense et la promotion d’une doctrine ou d’une éthique». Il est admis que dans de telles entreprises (établissements d’enseignement religieux, associations, partis politiques, organisations syndicales), l’employeur soit en droit d’exiger du salarié une adhésion aux valeurs véhiculées par l’entreprise, ce qui peut justifier une restriction de sa liberté de conscience. Mais là encore, l’employeur doit être en mesure de démontrer l’existence d’un trouble objectif et caractérisé; la limite posée doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnelle au but poursuivi.

En tout état de cause, l’interdiction ne peut être ni générale, ni absolue. L’appréciation de la situation doit être faite in concreto, et les modalités de cette restriction doivent pouvoir être discutées avec les intéressés au cas par cas. Il appartient à l’employeur de justifier la nécessité et la proportionnalité de sa décision au regard des tâches concrètes de chaque salarié et du contexte de leur exécution, afin de démontrer que sa décision est nécessaire et proportionnée et qu’elle repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

L’article L.1321-3 relatif au règlement intérieur va dans le même sens puisque celui-ci ne peut contenir

« des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Ainsi, un règlement intérieur qui prévoit une interdiction générale et absolue du port d’un signe religieux à tous ses salariés, quelles que soient les fonctions exercées, peut apparaître disproportionné, et de ce fait, discriminatoire et donc puni par le code du travail (Article L1132-1) et par le code pénal (Article 225).

Il y a en la matière une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, on peut notamment se référer aux arrêts : CE, 8 décembre 1948, Dlle. Pasteau ; CE, 3 mai 1950, Dlle. Jamet ; CE, 23 juin 2000, Mlle. Marteaux.

En revanche, les obligations auxquelles peuvent être soumis les usagers des services publics font parfois l’objet de discussions. Il convient de rappeler ici que conformément aux normes constitutionnelles, internationales, et législatives, les usagers du service public ne sont pas soumis au principe de neutralité. Les restrictions qui peuvent s’imposer à eux ne doivent être justifiées que par le respect des libertés d’autrui d’une part, et par le respect de la discipline liée aux missions mêmes du service public d’autre part. Ainsi, les usagers des services publics peuvent exprimer leurs convictions religieuses ou faire part de revendications particulières à condition de respecter la neutralité du service public, de ne pas contrevenir à l’organisation harmonieuse et au bon fonctionnement du service. Des impératifs absolus d’ordre public (sécurité, santé, salubrité et hygiène…) peuvent également légitimer des restrictions proportionnées, à la liberté de manifester sa religion.

A l’hôpital par exemple, les convictions religieuses ne doivent pas s’opposer à l’impératif de soins.

L’expression des convictions religieuses ne doit pas porter atteinte ni à la qualité des soins et aux

règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres hospitalisés, ni au fonctionnement du service, ni à la planification des équipes de personnels.

4. La jurisprudence récente de la cour de cassation concernant la neutralité et la liberté

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