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Audition de M me Marie-Stella Boussemart, présidente de l’Union bouddhiste de France

(UBF)

« Je tiens tout d’abord à vous présenter mes meilleurs vœux pour cette année 2014 et à vous remercier de votre invitation.

En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse c’est-à-dire « notre vision de la laïcité dans la France d'aujourd'hui », je tiens à préciser que je n'ai pas pu faire de consultation officielle de l’Union Bouddhiste. Je peux donc vous exposer « une » vision de bouddhiste, mais pas « la » vision des bouddhistes – une telle vision uniforme n’existant d’ailleurs pas, le bouddhisme accordant une grande liberté de pensée et d’opinion à chacun.

Le bouddhisme n'est pas dans une démarche dogmatique, c'est plutôt une vision pluraliste des sujets abordés. Le bouddhisme n'est pas une religion révélée, nous ne nous en remettons pas à un ou à des Dieux créateurs. Le bouddhisme, c'est avant tout un ensemble de convictions, posées de façon très rationnelle. Par exemple, Bouddha disait :« ce n’est pas parce que je dis quelque chose que vous devriez l’admettre tel quel. Avant tout, vous devez, vous, réfléchir ».

Nous nous sentons à l'aise en France terre laïque, car le Bouddha n'a pas fait de distinction entre ses disciples, qui constituent quatre catégories de personnes avec deux catégories correspondant aux laïcs – au sens étymologique – et deux aux religieux. Dans les religieux il y a les moines et les moniales, et dans les laïcs il y a de même les hommes et les femmes.

La communauté bouddhiste de France est composée d’une majorité d'Asiatiques et ensuite des Occidentaux qui ont fait le choix du bouddhisme. De souche asiatique ou occidentale, concernant la question de la laïcité, la principale différence réside dans le fait d'avoir été éduqué ou non en France, et d'avoir eu accès dès le départ à l'éducation à la française, car quand on a été élevé avec les valeurs françaises, la laïcité semble couler de source.

Pour les personnes qui viennent d'autres pays, en particulier des pays d’Asie, la laïcité telle que nous la mettons en application en France peut sembler difficile d'accès, du fait de l’ambiguïté des termes laïcs et laïcité.

La laïcité est aujourd'hui un espace commun, impartial, qui est censé inclure tout le monde, où il ne devrait donc pas y avoir d'exclusion des croyants ou des personnes de convictions.

Et c'est sur ce sujet que nous pouvons nous trouver en difficulté. Le bouddhisme est présenté comme une nouvelle religion en France, mais il est présent depuis le XIXesiècle. Beaucoup de personnes sont bouddhistes et nés Français au Vietnam ou au Cambodge alors colonies françaises. Ils sont malheureusement trop souvent catalogués « étrangers ». Or, ce n'est pas agréable de se sentir étranger dans son pays.

Il y a des situations assez amusantes, parce que le vêtement que je porte n'est pas très courant et fait « étranger ». La semaine dernière j'ai ainsi été invitée à la cérémonie des vœux du maire de Paris.

C’est MmeHidalgo qui m'a accueillie,… avec quelques mots d’anglais.

J'aurais tendance à dire qu'il y a peut-être un déficit dans l'information et dans l'éducation, y compris des adultes, à propos de la porté des mots laïcité et laïc. De ce point de vue, je suis extrêmement reconnaissante du travail que vous accomplissez, vous essayez de rétablir ce qu'est la laïcité en tant qu’espace de liberté.

Le problème, c'est qu'avec le battage médiatique autour de la laïcité depuis 1989, on attise les peurs, par le biais de la laïcité.

En dehors de mes fonctions de Présidente, je suis interprète du tibétain au français. Et je me rends compte de l'importance du choix des mots.

Dans les documents que vous publiez, vous dites par exemple :« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmereligieuses ». Ce sont les textes officiels, mais le terme de « même » est peut-être mal choisi : on a l’impression que cela veut dire « on fait quand même un petit effort ». C’est pourquoi il me semble préférable de mentionner toutes les opinions en les mettant sur un plan d’égalité.

Pour revenir à l'allocution de M. Delanoë lors de la cérémonie de vœux, il a dit :« je suis laïque », puis a ajouté immédiatement : « non-croyant ». Ce qui montre bien que dans le quotidien et dans les relations entre les élus et les citoyens, les choses ne sont pas claires.

Lorsque nous regardons les textes mettant en œuvre la laïcité, j'ai l'impression que le langage est imprégné d'une certaine tendance à un absolu. On est beaucoup dans la dualité : le laïque et le privé.

Ainsi, je note un glissement, notamment à propos de l'école. En fait, qui dit école privée, ne dit pas nécessairement confessionnelle, mais dans la plupart des textes, on ne fait pas la différence, ce qui induit beaucoup de choses dans la tête des citoyens. »

Extraits des échanges avec les membres de l’Observatoire de la laïcité

En réponse à une question concernant le vivre-ensemble et les relations entre le bouddhisme et les autres religions

« L'enseignement du Bouddha n'est pas ‘la’ Vérité mais une vision des choses. Le bouddhiste doit pouvoir se mettre à disposition de l'autre. Quelle que soit sa religion, il faut pouvoir lui répondre dans le même langage. Chacun doit pouvoir être libre, mais il faut aider tout le monde à faire son chemin tel qu’il l’a décidé.

Dans le secteur privé, on sait que le fait de laisser transparaître une appartenance religieuse devient un important désavantage. En effet, en France, si on est asiatique et bouddhiste cela ne posera guère de problème, car pour le recruteur… ‘C’est normal’. Mais si on est de type occidental et bouddhiste, il vaut mieux ne pas laisser paraître sa religion, au risque d’être perçu comme membre d’une secte…

et de ne pas être recruté. »

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Paris, le 4 février 2014

Audition de M. Emmanuel Adamakis, Président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France

Lors de l’installation de l’Observatoire dont vous avez la charge, le Président de la République, Monsieur François Hollande, après avoir défini la laïcité comme« un principe de liberté et de cohésion », appelait à « un dialogue serein et constructif »afin de combler ce qu’il nommait lui-même« un besoin d’apaisement et de clarté »au sein de notre société.

Soyez assuré que c’est dans l’esprit même des paroles du Chef de l’Etat que je suis honoré de répondre à votre invitation en tant que Président de l’Assemblée des Evêques orthodoxes de France.

Que la laïcité soit un principe de liberté et que ce principe soit précieux, les Français qui appartiennent à l’Eglise orthodoxe le savent tout particulièrement. L’histoire de l’orthodoxie au XXesiècle a en effet été marquée, dans ses territoires traditionnels, par de nombreuses vagues de persécution qu’ont promues des régimes totalitaires agissant au nom de l’athéisme militant mais aussi du fanatisme théocratique. Au gré des mouvements de population qui en ont résulté, les orthodoxes ont trouvé en France mieux qu’un lieu d’exil. Par l’accès à la liberté de conscience et à la liberté de culte dont elle leur a garanti la jouissance, par l’octroi d’une pleine citoyenneté qu’elle leur a donné ou redonné d’exercer, la patrie des droits de l’homme est devenue leur patrie. Portés par ce mouvement d’émancipation, ils se sont ainsi affranchis des pressions étatiques, des enfermements communau-taires, des pesanteurs sociologiques pour revenir à l’essence de leur foi. Assurés du caractère ouvert et égalitaire de ce pluralisme concret, ils sont allés à la rencontre des autres à travers le dialogue savant, œcuménique, interreligieux, mais aussi en entrant dans une relation de plain-pied avec l’humanisme, la modernité et la sécularisation. Une double cohésion en est ressortie : d’abord, celle des orthodoxes entre eux qui ont dépassé de la sorte leurs clivages linguistiques ou ethniques pour affirmer leur unité dans l’appartenance commune à un même pays, une même langue, un même devenir ; ensuite, celle des orthodoxes avec l’ensemble de leurs compatriotes dans le partage des mêmes valeurs, de la même culture, de la même conception du politique, au sens premier des lois régissant la vie de la Cité. Le meilleur signe de cette intégration est certainement la contribution des écrivains, des artistes, des scientifiques, d’origine, de confession ou de sensibilité orthodoxe au patrimoine et au rayonnement de la France. Dans le même temps, l’expérience, quasiment de laboratoire, qu’a connue l’Eglise orthodoxe en France n’a pas manqué de revêtir une force d’exemple pour le reste de l’orthodoxie dans le monde. Cet enrichissement réciproque peut, sans exagération, être considéré comme un fruit de la laïcité, ce principe inaliénable qui est inscrit dans le premier article de notre Constitution.

Pour autant, la laïcité n’est pas qu’un principe. Elle est aussi une histoire au cours de laquelle elle se sera voulue tour à tour« combative »,« stricte », puis« positive »,« apaisée »,« plurielle », ou encore« neutre ».

Elle est surtout une pratique qui n’est pas allée sans exceptions, adaptations ou variations. Elle représente désormais un prisme des transformations que connaît la France au sein d’un monde en mutation. D’une part, au plan national, le paysage religieux s’est profondément diversifié sous l’effet des flux migratoires ; d’autre part, au plan international, la construction européenne suppose une harmonisation des différents systèmes et législations afférents aux confessions historiques tandis que le choc des fondamentalismes aggrave, sur cette matière comme sur d’autres, la disparité entre

le Sud et le Nord. Je ne me substituerai pas ici aux spécialistes de ces questions, mais il est clair que la laïcité, cette exception française souvent inconnue, méconnue ou mal comprise à l’extérieur de nos frontières, doit être dorénavant pensée dans le contexte de la globalisation.

Il s’agit donc de savoir à quelle laïcité nous entendons nous référer puisque, selon la formule même du Président de l’Observatoire, M. Jean-Louis Bianco, le mot renvoie à un« concept-valise ». Ainsi, la loi de 1905, qui avait été décrétée hier pour fonder le droit général à l’incroyance, est parfois interprétée aujourd’hui comme devant fonder les droits spécifiques des croyances. Je peux dire que telle n’est pas la démarche des orthodoxes qui n’ont pas de revendication particulière à ce sujet et ne recherchent aucun avantage catégoriel. Au contraire, ils font leur le précepte de l’Epître à Diognète, ce grand texte apologétique du IIe siècle qui décrit de la façon suivante les premiers chrétiens :« Ils ne se distinguent pas du reste des hommes ni par leur langage, ni par leur manière de vivre ; ils n'ont pas d'autres villes que les vôtres, d'autre langage que celui que vous parlez ; rien de singulier dans leurs habitudes. Répandus, selon qu'il a plu à la Providence, dans des villes grecques ou barbares, ils se conforment, pour le vêtement, pour la nourriture, pour la manière de vivre, aux usages qu'ils trouvent établis ». C’est pourquoi, nos fidèles ne peuvent qu’être satisfaits du fait que leurs institutions, en se structurant selon les modèles requis, ont acquis le statut d’interlocuteurs pour les pouvoirs publics et que les dispositions réglementaires générales encadrant les cultes leur ait été étendues. Refusant toute tentation communautariste, les orthodoxes se reconnaissent donc dans l’espace de la République, levier de leur intégration.

Toutefois, les interrogations qui affectent la laïcité ne proviennent pas seulement de l’agitation des formes les plus convulsives du retour du religieux et qui sont d’autant plus condamnables qu’elles correspondent en fait à une instrumentalisation à des fins politiques. En réaction, nous assistons à un regain du laïcisme qui diverge profondément, à mon sens, de l’inspiration et de l’intention des Pères fondateurs. L’intransigeance idéologique qui en découle attise inutilement les fanatismes adverses, mais elle déroute également les simples croyants car une telle surenchère leur apparaît en rupture avec l’idéal de paix civile qui fait précisément leur attachement à la laïcité. Ce détournement contredit dans les faits la pondération que la jurisprudence a continument cherché à établir entre l’intangibilité des principes et la variabilité des circonstances. Le droit canon orthodoxe n’ignore pas ce pragmatisme supérieur qui ne relève pas de l’accommodation arbitraire mais du réalisme existentiel : c’est la notion d’« économie »qui, sans porter atteinte à l’intégrité du principe, vise son aménagement momentané pour en maintenir l’efficacité, avec pour but de favoriser le progrès du sujet auquel il s’applique. Je n’ai évidemment pas à juger de la qualité de vos travaux, mais à lire vos considérations sur la régulation du fait religieux au regard des« structures qui assurent une mission d’accueil des enfants », de « l’entreprise privée », ou des« collectivités locales », il me semble qu’une logique similaire préside à votre réflexion en ce qu’elle vise tout d’abord à assurer la laïcité tout en rassurant sur sa capacité à animer notre vivre-ensemble sur une base rationnelle.

Aussi, pour le dire avec le philosophe Régis Debray, qui était alors chargé d’un rapport d’Etat sur la réforme de l’enseignement du fait religieux à l’école demeurée malheureusement inaboutie, la meilleure définition me semble-t-elle que« la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait ».

Toutefois, les fossés qui séparent les hommes n’ont-ils pas tendance à se creuser sous le poids d’une crise qui n’est pas moins morale qu’économique ? Une attitude de pure prudence peut-elle suffire face à l’urgence ? Je vous soumets ce questionnement car je ne doute pas que vous le partagiez en quelque façon. Face aux extrêmes du communautarisme et du laïcisme, la République encourt en effet un autre risque, qui est celui de l’effacement des valeurs transcendantales qu’elle suppose et qui reposent sur une vision de la démocratie articulée au Bien commun, comme aime à le rappeler le ministre de l’Intérieur, Monsieur Manuel Valls, par ailleurs en charge des Cultes. Une société vivante ne peut en effet se résumer à la gestion d’intérêts juxtaposés au gré des jeux d’opinion ou des manifestations d’activisme, voire des protestations minoritaires. Comment, dès lors, accorder une

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place aux religions dans le débat public tout en respectant la séparation des pouvoirs ainsi que l’impératif d’écarter les arguments d’autorité qui en est la condition ? L’expérience de Byzance, qui a été l’une des matrices de la conscience orthodoxe, n’est pas ici sans intérêt : le spirituel et le temporel y étaient distincts, mais pas disjoints car l’un et l’autre pouvoir étaientin finejugés par le peuple sur leur aptitude à servir, chacun dans son ordre, une même humanité et donc, sur leur disposition à articuler ces services. Une ultime tentation apparaît ainsi, qui serait pour l’Etat de ne concevoir le fait religieux qu’au regard de son utilité sociale, d’en mobiliser les ressources mais d’en négliger les messages. Une telle attitude serait d’autant plus dommageable à l’heure où les révolutions des moeurs et des techniques perturbent les grands équilibres multiséculaires du vivre et du mourir, de la richesse et de la pauvreté, de la personne et de la communion des personnes. Certes, les religions constituées doivent toujours plus apprendre à traduire leurs convictions dans le langage de la raison commune mais, si elles y réussissent, leur témoignage de sagesse, longuement éprouvé et accumulé, peut alors dépasser les barrières confessionnelles pour s’adresser à toutes et à tous dans un souci partagé de la figure de l’homme. Je ne vois guère ce que la République y perdrait mais je sais en revanche qu’elle n’aurait rien à gagner à ce que des franges entières de la population finissent par se sentir exclues à cause d’une part maîtrisée de leur identité qui les isolerait néanmoins de la citoyenneté ordinaire. C’est justement parce qu’elle est politiquement indivisible que la laïcité ne saurait être, culturellement, un facteur artificiel de division.

Les modalités d’un tel dialogue restent à inventer. Peut-être revient-il à votre Observatoire d’en examiner la possibilité ainsi que la faisabilité afin de parachever la juste compréhension de la laïcité que promeut la France et dont elle a la mission d’illustrer l’universalité au sein d’une planète plus que jamais tourmentée. A savoir, pour citer en conclusion, comme je l’avais fait dans mon introduction, le Président Hollande :« Une laïcité qui libère et qui protège ».

Extraits des échanges avec les membres de l’Observatoire de la laïcité Réponse à une demande de précision concernant le « regain du laïcisme »

« L'interprétation de la laïcité glissant vers un laïcisme est un fait, mon rôle n'est pas de lister, ni de le décrire très précisément. Je ressens en tant qu’évêque et citoyen, qu'il y a parfois un excès et ce n'est pas uniquement mon interprétation, il y a malheureusement une tendance à aller vers ce laïcisme, qu'il faudrait éviter car le sens de la laïcité comme nous la comprenons c'est autre chose. » Réponse à une demande d’estimation du nombre d’orthodoxes en France

« C'est assez difficile d'établir un chiffre mais nous sommes entre 250 000 et 400 000. Ce chiffre comprend à la fois les pratiquants et non pratiquants. Mais il faut noter que le fait d'aller à la messe n'est pas obligatoire dans l'orthodoxie. »

Paris, le14 janvier 2014

Audition de M. Daniel Keller, Grand maître

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