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La jurisprudence récente de la cour de cassation concernant la neutralité et la liberté religieuse

Audition de M. Mohammed Moussaoui, Président d'honneur et membre du bureau

4. La jurisprudence récente de la cour de cassation concernant la neutralité et la liberté religieuse

Avril 2013, à la suite de la décision de la cour de cassation du 19 mars 2013 sur l’affaire dite de la crèche « Baby Loup », plusieurs responsables politiques ont appelé au vote d’une nouvelle loi qui comblerait « un vide juridique ». Plusieurs juristes qui se sont exprimés sur le sujet, considèrent que le Conseil d’Etat par sa décision dans cette affaire n’a fait que rappeler que le principe de neutralité ne s’applique pas aux personnes privées qui ne soit pas chargé d’une mission de service public. En revanche, le licenciement aurait pu être jugé fondé si des éléments relatifs à la sécurité, au prosélytisme, à l’organisation nécessaire à la mission ; l’image de l’entreprise, ont été mis en avant.

La Cour de cassation avait rendu au même temps un autre arrêt, intitulé « CPAM de Seine-Saint-Denis », par lequel elle avait jugé que le principe de laïcité est applicable dans l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé.

En l’espèce, une « technicienne de prestation maladie » engagées par CDI avait été licenciée, le 29 juin 2004, aux motifs qu’elle portait un foulard en forme de bonnet, contrairement aux dispositions du règlement intérieur. Amenée à examiner la validité de ce licenciement, la Cour a jugé que, si les dispositions du Code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des CPAM, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, notamment vestimentaires. Le licenciement a donc été déclaré fondé. En d’autres termes l’arrêt CPAM rappelle que l’obligation de neutralité s’étend à tous les services publics et à tous les salariés qui participent à une mission de service public.

Certains voient dans cette décision, la confirmation de position constante de la jurisprudence du conseil d’Etat. D’autres y voient au contraire une évolution. En effet le Conseil D’Etat, a eu l’occasion de préciser dans deux arrêts (CE 27 juillet 2001, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière ; solution réaffirmée dans CE 29 mai 2002 Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière) relative au versement d’une prime de sujétions spéciales aux membres des congrégations religieuses apportant leur concours aux établissements pénitentiaires, que « ni le principe de laïcité, ni celui de neutralité du service public ne s’opposaient à l’intervention, exclusive de tout prosélytisme, dans les prisons, de surveillants congréganistes qui apportent leur concours au fonctionnement des établissements pénitentiaires pour l’exercice de tâches relevant non de la surveillance des détenus, mais de fonctions complémentaires de soutien ». En l’espèce, les missions exercées par les religieuses étaient celles d’assistante sociale, de bibliothécaire et d’infirmière.

5. Conclusion

Nous ne sous-estimons pas l’incompréhension voire le rejet que peuvent susciter certaines pratiques qui relèvent parfois de « dérives sectaires », au demeurant, marginales. Mais nous pensons qu’il est plus judicieux de se pencher sur le mal être de ces enfants de la République qui tendent à se replier sur eux- mêmes, parce qu’ils peuvent se sentir non reconnus, non considérés et discriminés.

L’interrogation continue sur la compatibilité de leur «culture» et de leurs « convictions religieuses » avec la vie en société, peut nourrir et renforcer ce sentiment.

Alors face à cela, même ceux qui ne revendiquaient pas leur différence culturelle ou cultuelle se trouvent acculés à affirmer l’identité qu’on ne cesse de leur renvoyer.

Le résultat est que parallèlement à la montée d’une certaine expression religieuse radicale, voire dérives sectaires, différentes formes de racisme et d’islamophobie, se sont développées et banalisées.

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En somme, plutôt que de dénoncer les racines sociales et politiques de certains phénomènes réels, le débat s’est focalisé sur leurs origines prétendument culturelles et religieuses. L’islam a été sorti de la sphère spirituelle pour devenir un sujet politique. Des lors, les nombreux amalgames ont attisé des peurs, souvent irrationnelles, de tout ce qui est musulman.

A regarder ce qui peut fonder ou donner existence à une « communauté », peut-on objectivement parler de communautarisme musulman ? Alors que les musulmans de France ne disposent d’aucun média audio ou télévisuel confessionnel, de très peu d’établissements scolaires confessionnels ou d’instituts de formation de cadre religieux dignes de ce nom, de systèmes de contrôle d’aliments

« halal », etc… ?

Deuxième confession de France depuis près de deux siècles, la religion musulmane n’a jamais composé une entité monolithique. Ce manque d’organisation va d’ailleurs totalement à l’encontre du fantasme de domination.

Finalement, accuser les musulmans de dérive communautaire, parce qu’au nom d’une lecture radicale de l’islam, une extrême minorité d’individus manifeste une pratique qui heurte, ne peut être justifiée si une démarche de connaissance, loin des catégorisations basées sur des préjugés, est adoptée.

En réalité, l’immense majorité des musulmans de France aspire à vivre leur spiritualité dans le strict respect des valeurs de la République et espère le faire dans l’indifférence et la banalisation comme tous les citoyens des autres cultes ou convictions.

Ils souhaitent que leur pratique religieuse soit perçue comme un élément de leur liberté individuelle plutôt qu’une source permanente de débats publics dont certains peuvent contribuer, malheureusement, à nourrir une forme de stigmatisation.

Le CFCM ne souhaite que suivre cette voie, celle d’une pratique cultuelle et culturelle qui enrichit la France, notre pays auquel nous sommes tant attachés, en restant conforme aux idéaux de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité et également la laïcité. Une laïcité qui n’est pas la négation des convictions religieuses, une laïcité qui garantit la liberté de croire comme celle de ne pas croire, une laïcité qui permet à tous les citoyens de pratiquer le culte de leur choix dans le respect de l’ordre public.

Extraits des échanges avec les membres de l’Observatoire de la laïcité Réponse à une question concernant la position du CFCM sur l’état du droit actuel

« Le culte musulman s'inscrit dans le droit actuel, et qu'il n'a pas de demande particulière. Bien sûr l'application de la laïcité elle-même doit trouver un équilibre. La jurisprudence a apportée des améliorations et des précisions importantes, le contexte évoluant. Lorsqu'il y a une demande particulière des musulmans de France, elle va s'exprimer de façon lucide mais en considérant qu’il est très dangereux de perturber l’équilibre qui a été trouvé. Les principes du droit nous satisfont totalement.

Sur certains points particuliers, le CFCM s'exprime, comme il l’a fait avant la loi du 15 mars 2004, à laquelle il s’opposait. Mais lorsque la loi a été votée, nous avons appelé à respecter la loi. »

Réponse à une question concernant la séparation du religieux et du politique dans l’islam

« Dans la pratique religieuse musulmane, il y une partie rituel et une partie qui relève de la vie quotidienne du croyant. Mais cela n’est pas propre à l’islam mais à toutes les religions.

Notez que même dans les pays à majorité musulmane où la loi islamique est une référence, cette loi n’a en réalité jamais été constante et considérait le contexte. Les avis sur des affaires similaires pouvaient changer.

Même les penseurs de l'islam ont parfois changé d'avis de leur vivant selon les situations et les contextes.

Mais dans une vie collective où la pluralité religieuse est un fait, bien sûr le croyant musulman respecte la loi de la collectivité. »

Réponse à une question sur la vision des musulmans de France sur la laïcité

« Les musulmans pensent que la laïcité est une grande chance. Fondamentalement ils considèrent que c'est une richesse pour eux et que c'est ce qui leur permet d’exprimer leur conviction et de pratiquer leur religion librement. »

« La demande des musulmans, c'est finalement que la loi s'applique à eux de la même manière qu'à tous les autres citoyens. »

Il faut rappeler sans cesse que la laïcité doit être appliquée uniformément. Cela ne remet aucunement en cause le principe même de laïcité. »

Réponse à une question concernant la position du CFCM sur le projet d’enseignement laïque de la morale à l’école

« Si on vise à former nos futures générations au respect des valeurs de la République, c’est une bonne chose et même c'est indispensable.

Le malentendu peut venir du fait que dans un climat nourrit par des affaires polémiques, certains pourraient penser qu’il s’agit d’un enseignement dirigé contre les religions.

C'est alors aux responsables, au ministère, de montrer que cela peut former les citoyens au respect mutuel. »

Réponse à une demande concernant les dérives qui touchent de jeunes musulmans

« Ces jeunes sont en rupture avec les lieux de l'enseignement religieux, ils sont souvent influencés par Internet et c'est là que l'endoctrinement commence.

C'est une préoccupation pour le CFCM car on ne peut pas se satisfaire de dire que l’on n’est pas concerné. Ce sont des enfants qui sont allés à l'école publique. Et c'est d'autant plus grave que les transformations se font dans des délais très courts.

Des moyens doivent sans doute être débloqués pour faire un travail sérieux. Nous avons eu l’occasion d’y travailler avec MmeBouzar.

J'ai par ailleurs demandé lors de mon mandat, une formation des cadres religieux, car on ne peut pas se contenter de dire qu'il faut appeler à la vigilance. C'est un travail qui peut se faire au niveau des mosquées mais pas seulement, avec les aumôniers aussi.

Si dans l’enseignement laïque de la morale ces questions peuvent être traitées, pour éviter cet endoctrinement, ce serait une bonne chose. L'école est en mesure d'être un recours, par le biais de la prévention. »

Réponse à une question concernant la représentativité du CFCM

« Le CFCM n'a pas pour but de représenter une communauté en tant que telle. Nous ne sommes pas représentatif de l’ensemble de la communauté musulmane, nous sommes représentant du culte musulman. C’est différent.

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Lorsqu'il faut rappeler les principes ou l'avis de la religion le CFCM le fait. Mais il n’y a pas de

« commission théologique » au sein du CFCM. Il y a un recueil des avis construits au sein des différentes fédérations composant le CFCM.

Le fait que le CFCM ne soit pas en mesure d'avoir des informations très précises sur le nombre de membres, par exemple, est dû au fait qu'il s'agit d'une institution en pleine construction avec des moyens tout à fait dérisoires, qui ne permettent pas de mener un travail de fond. »

Réponse à une question concernant le financement des cultes en France :

« Vous signalez que l'histoire a fait qu'un culte est privilégié – le catholicisme –. On ne pourra pas rétablir l'égalité parfaite et les musulmans n'ont nullement envie de perturber cet équilibre.

En Alsace et Moselle, où s’applique le régime concordataire, l'islam n'est pas reconnu, à l’inverse du catholicisme, du protestantisme et du judaïsme. Mais même dans cette situation flagrante, les musulmans n'ont pas demandé à ce que leur culte soit reconnu.

En revanche, les musulmans souhaitent être bénéficiaires des mêmes avantages. »

Paris, le 28 janvier 2014

Audition de M. François Clavairoly, Président

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