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DIRECTION DES LIBERTES PUBLIQUES ET DES AFFAIRES JURIDIQUES Sous-direction des libertés publiques

M. Pascal Courtade, Chef du bureau central des cultes

Rappel de l’Observatoire de la laïcité :

La loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public ne relève pas du champ de la laïcité mais de celui de l’ordre public.

La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a pour objectif d’assurer la sécurité et de protéger l'ordre public de pratiques tendant à dissimuler son visage susceptibles de constituer un danger pour la sécurité publique et qui méconnaissent les exigences minimales de la vie en société.

Lesfondements juridiques de la loide 2010 ont été dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 octobre 2010 (décision n°2010-613 DC).

Le premier fondement de la loi de 2010 est l’ordre public et les « exigences minimales de vie en société ». Dans sa décision du 7 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité de la loi au motif que les pratiques de dissimulation du visage dans l’espace public peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les « exigences minimales de vie en société ».

Constitue un danger pour la sécurité publique : le port de tout vêtement qui dissimule le visage peut constituer un risque pour la sécurité dans la mesure où il empêche une identification aisée de la personne. S’agissant des « exigences minimales de vie en société », la circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011 précise que « la République se vit à visage découvert » et que toute pratique contraire est assimilée à une volonté d’exclusion ou de rejet de la société.

Le deuxième fondement juridique est la liberté et l’égalité des femmes par rapport aux hommes. Le législateur a estimé que les femmes dissimulant leurs visages se trouvent placées dans une situation

« d’exclusion et d’infériorité, contraire aux principes constitutionnels de liberté et d’égalité ». La loi du 11 octobre 2010, par cet aspect, protège véritablement les femmes d’une contrainte en matière religieuse.

Le Conseil constitutionnel a cependant émis une réserve d’interprétation en estimant que « l'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l'article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l'exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ».

Elle a prévu que la mesure d'interdiction générale de la dissimulation du visage ne serait applicable qu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de sa promulgation, soit le 11 avril 2011. Cela en vue de mettre l’accent sur la prévention, faire régresser la pratique de la dissimulation du visage dans l’espace public, et ainsi préserver la cohésion sociale. Cette période a également été mise à profit, dans le respect de la volonté du législateur, pour préparer les éléments d'information et de communication destinés à sensibiliser le public.

La loi a donné lieu à la rédaction de cinq circulaires dont une émanant du ministre de l’intérieur du 31 mars 2011 qui définit les notions d’espace public et de dissimulation du visage et précise les modalités selon lesquelles la contravention peut être prononcée par les services de police et de gendarmerie à l’égard des contrevenants.

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1. Exposé de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 1) Le champ d’application de la loi

a) Tenues prohibées et exceptions

La loi interdit et sanctionne le fait de porter une tenue, quelle que soit sa forme, qui a pour effet de dissimuler le visage et de rendre ainsi impossible l’identification de la personne.

Aux termes de la circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011, les tenues destinées à dissimuler le visage sont celles qui rendent impossible l'identification de la personne. Il n'est pas nécessaire, à cet effet, que le visage soit intégralement dissimulé. Sont notamment interdits, sans prétendre à l'exhaustivité, le port de cagoules, de voiles intégraux (burqa, niqab, etc.), de masques, etc., qui dissimulent le visage.

L'article 2 de la loi prévoit plusieurs exceptions à l'interdiction de la dissimulation du visage. Ainsi, elle ne s'applique pas :

Q« si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires » (par exemple, article L. 431-1 du code de la route qui impose le port du casque aux conducteurs de deux-roues à moteur) ;

Q« si la tenue est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels « (cf article L. 4122-1 du code du travail notamment) ;

Qet « si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ».

La loi interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. Elle définit cet espace comme

« constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public » : plages, jardins publics, promenades publiques, cinéma, commerces, gares, transport en commun, services publics, etc.

En revanche, elle ne s’applique pas aux personnes se trouvant à bord de voitures particulières car celles-ci sont considérées comme des lieux privés. Mais, la dissimulation du visage peut tomber sous le coup des dispositions du code de la route prévoyant que la conduite du véhicule ne doit pas présenter de risque pour la sécurité publique.

Par ailleurs, elle ne s’applique pas dans les lieux de culte lorsqu'il résulte d'une prescription religieuse admise comme telle par le desservant ou le président de l'association gestionnaire de ce lieu (réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel dégagée dans sa décision précitée).

2) Les sanctions encourues en cas de violation de la loi du 11 octobre 2010

L’article 3 de la loi du 11 octobre 2010 dispose que « la méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de 2ème classe ». La peine maximale encourue est par conséquent une amende de 150 euros. L'obligation d'accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8° de l'article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d'amende.

La loi du 11 octobre 2010 créée le délit de dissimulation forcée du visage, punissant toute personne qui forcerait une autre personne à dissimuler son visage, sans qu’un lien de famille ou de subordination formel entre ces personnes soit requis. Ce délit, prévu à l'article 4 de la loi (nouvel article 225-4-10 du code pénal), est puni d'un an d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

2. La mise en œuvre de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 1) La verbalisation des contrevenants

La loi ne confère en aucun cas à un particulier ou à un agent public le pouvoir de contraindre une personne à ôter le vêtement qui dissimule son visage. L'exercice d'une telle contrainte constituerait une voie de fait et exposerait son auteur à des poursuites pénales. Elle est donc absolument proscrite.

Les forces de la police ou de la gendarmerie nationales ne peuvent que constater l'infraction, en dresser procès-verbal et procéder, le cas échéant, à la vérification de l'identité de la personne concernée, conformément aux articles 78-2 et 78-3 du code de procédure pénale.

Dans le cas où une personne refuse de se prêter au contrôle d’identité et si son identité ne peut être établie par un autre moyen, les conséquences de ce refus lui sont exposées, et notamment la possibilité, si elle persiste, de la conduire dans des locaux de police ou de gendarmerie pour y procéder à une vérification d’identité. Dans l’hypothèse où la personne persiste dans son refus de justifier de son identité, il appartient à l’officier de police judiciaire de prendre attache avec le procureur de la République afin d’établir la conduite à tenir et d’en rendre compte, sans délai, à sa hiérarchie.

2) Bilan d’application

Les services de police et de gendarmerie assurent un suivi régulier quantitatif de la mise en œuvre de la loi du 11 octobre 2010.

Depuis le début de l’application de la loi et jusqu’au 21 février 2014, 1 111 contrôles ont été effectués, l’immense majorité concernant des femmes entièrement voilées. Certaines ont été contrôlées à plusieurs reprises. Au total, 1038 verbalisations ont été établies et 61 contrevenants ont fait l’objet d’un avertissement.

Parmi les 594 femmes entièrement voilées et contrôlées, 461 sont nées en France et 133 à l’étranger. Ces dernières viennent principalement du Maghreb (97) et du Moyen-Orient (9). 9 femmes sont issues de la communauté subsaharienne, 5 de Madagascar et des Comores, 3 d’Amérique du Sud (2 du Brésil et 1 de Colombie) et 2 d’Asie. 8 sont nées dans d’autres pays d’Europe (Espagne, Belgique, Pays Bas, Serbie et Suisse). Le plus grand nombre de femmes contrôlées continue d’être situé dans la tranche d’âge de 20 à 29 ans. Plusieurs des mises en cause sont multirécidivistes. Cinq ont été contrôlées et verbalisées au moins 14 fois depuis l’entrée en application de la loi dont une à 33 reprises.

Sur le plan géographique, l’Ile-de-France (27,8%), le Nord-Pas-de-Calais (20,4%), Provence-Alpes-Côte d’Azur (14,9%) et Rhône-Alpes (11,3%) concentrent à elles-seules près des trois quart (74,4%) des contrôles effectués sur le territoire national (hors ressort de la DSPAP). Dans certains départements (Alpes-Maritimes, Eure-et-Loir, Ille-et-Vilaine, Nord, Puy-de-Dôme, Haut-Rhin), l’importance du nombre d’infractions constatées tient à quelques femmes récidivistes. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes les deux principales contrevenantes ont été verbalisées à 46 reprises.

Malgré les contraventions, ces différentes femmes continuent d’apparaître le visage dissimulé dans des lieux publics très fréquentés, créant des tensions avec une partie de la population ou adoptant parfois un comportement provocateur. Pour une majorité de ces femmes, la dissimulation du visage est l’expression assumée de convictions religieuses, notamment chez les converties, lesquelles revendiquent une adhésion inconditionnelle aux préceptes de l’islam et le rejet de certaines références à la République, s’inscrivant progressivement à l’écart de la société. Pour une minorité, généralement jeune, le port du voile intégral est un comportement tendant à la désobéissance civique et à la provocation.

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Si quelques rassemblements hostiles mobilisant peu d’individus ont pu être constatés, l’application de la loi sur la dissimulation du visage dans l’espace public s’effectue, dans la grande majorité des cas et sur l’ensemble du territoire de la République, sans recours à la contrainte et sans occasionner de trouble à l’ordre public. Les contrevenantes acceptent de présenter une pièce d’identité et de se dévoiler, parfois exclusivement devant un effectif féminin, même si à l’issue elles repartent intégralement voilées, réitérant ainsi l’infraction et expliquant qu’elles agissent ainsi par conviction religieuse ou ne reconnaissent pas la loi française. Toutefois, les contrôles de police peuvent parfois dégénérer en incident plus graves.

Ainsi, à Argenteuil (95), le 11 juin, lors de sa verbalisation sur la voie publique, une jeune femme porteuse du voile intégral a attiré l’attention d’une soixantaine d’individus qui ont tenté d’empêcher l’interpellation de la contrevenante. Deux fonctionnaires de police ont été légèrement blessés. De même, à Trappes (78), le 18 juillet 2013, le contrôle d’une récidiviste a dégénéré, suite au comportement outrageant de la contrevenante à l’égard des policiers et de l’homme qui l’accompagnait. Depuis, l’intéressée a été contrôlée à trois reprises et verbalisée. Cette intervention a entrainé trois jours de violences urbaines dans la ville. Dans ces cas, les contrôles de police ou de gendarmerie se déroulent dans un climat tendu, certaines contrevenantes faisant preuve de provocation, conformément aux recommandations des sites internet des associations de soutien aux femmes entièrement voilées.

Les forces de police et de gendarmerie veillent au respect des dispositions de la loi du 11 octobre 2010, comme elles veillent à faire appliquer toutes les lois. Elles agissent, comme dans l’exercice de l’ensemble de leurs missions, avec discernement et professionnalisme, dans le respect des personnes, mais aussi avec fermeté.

La justice européenne sera conduite prochainement à apprécier la compatibilité de cette loi avec les principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH). En effet, une ressortissante française a introduit le 11 avril 2011 une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la loi.

Par courrier du 11 avril 2013, le greffe de la Cour a informé le Gouvernement français que la chambre chargé d’examiner cette affaire a décidé de se dessaisir au profit de la Grande Chambre, procédure utilisée si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation de la Convention ou s’il y a un risque de contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la Cour. La Grande Chambre composée de 17 juges a examiné l’affaire le mercredi 27 novembre 2013 en audience publique. Il est à noter que, fait rare, la Belgique, qui dispose également d'une loi interdisant le voile intégral, s'est jointe à la procédure pour soutenir la France. La représentante du gouvernement français, a appelé les 17 juges de la Grande chambre à « ne pas tomber dans le piège tendu par les conseils de la requérante : il ne s'agit pas d'une loi antireligieuse, mais visant simplement à favoriser la vie en société ».

La décision de la Grande Chambre de la CEDH sera rendue dans le courant de l'année 2014 (probablement après les élections européennes).

Bilan de l’application des lois

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