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La laïcité en France : répercussions internationales

La loi sur le port de signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics (mars 2004) et la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace publique (octobre 2010), dite « loi sur la burqa » ou « loi sur le voile intégral » ont provoqué des réactions internationales manifestant une incompréhension certaine de la laïcité française

Les différents rapports américains sur la liberté de religion qui sont publiés depuis une quinzaine d’années manifestent également la différence profonde entre les systèmes américain et français.

La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a validé la loi de 2004 et doit se prononcer dans les mois à venir sur la loi de 2010.

1. RÉACTIONS INTERNATIONALES AUX LOIS DE 2004 ET 2010 SUR LE PORT DU VOILE DANS LES ÉCOLE ET SUR LA DISSIMULATION DU VISAGE

1.1. Réactions à la loi de 2004

La loi sur le voile a provoqué de nombreuses réactions notamment dans le monde arabe.

Argumentant sur le vocabulaire choisi, la réfutation principale des autorités musulmanes du monde arabe a porté sur la question du « symbole » : pour elles,le voile n’est pas un « signe » ou un « symbole » mais une prescription religieuse.

Le cheikh Qardaoui, autorité religieuse égyptienne sunnite, proche des Frères musulmans, avait réaffirmé l’obligation du port du voile et estimait que son interdiction portait atteinte aux libertés individuelles et religieuses.Le Guide suprême des Frères musulmans(Maamoun al Hodeiby) a demandé à la France de reconsidérer sa décision, usant des mêmes arguments.

Plusieurs « lettres ouvertes » émanant d’autorités religieuses reconnues, dont le grand ayatollah Fadlallah, référence chiite au Liban, le grand mufti du Liban, le mufti sunnite de Syrie, le vice-président du Conseil supérieur chiite au Libanont eux aussi regretté la décision française.

Certaines autorités musulmanes « modérées » ont néanmoins soutenu la décision française.

Le cheikh Tantaoui, grand imam d’Al Azhar, est intervenu au Caire pour estimer que « la France traitait les musulmans de façon acceptable » et qu’il « s’agissait d’une affaire interne dans laquelle personne ne devait intervenir ». Gamal Al Banna, penseur égyptien et frère du fondateur des Frères musulmans, Hassa el Banna, n’a pas hésité à déclarer que « le voile n’était pas une obligation » et que son port était basé sur une interprétation erronée du Coran.

La spécificité française du principe de laïcité a souvent fait l’objet de commentaires et de comparaison avec les positions britanniques et américaines – jugées plus respectueuses des libertés individuelles.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, dexénophobieet de l’intolérance, M. Doudou Diène, dans sonRapport sur la situation des populations musulmanes et arabes dans diverses régions du monde, en 2004,a également adressé un certain nombre de critiques aux pouvoirs publicsfrançais, considérant notamment que « c’est l’islam dans son expression qui est visé à travers son signe », que la loi française était une réponse idéologique ou « laïciste » à la question de la place de la religion dans la société.

Les autorités indiennes se sont également fait les relais des difficultés rencontrées par les Sikhsen France ont remisen 2009 un aide-mémoire au Président de la Républiquesur le port du voile et sur la circulaire du 6 décembre 2005 imposant de poser tête nue pour les photos d’identité à usage officiel. Un non-papier de réponse a été transmis aux autorités indiennes à l’occasion de la visite du Président de la République en Inde en février 2013.

Le 1ernovembre 2012, leComité des droits de l’Homme des Nations uniesestime, dans un avis que l’État français « n’a pas apporté la preuve irréfragable que le lycéen [sikh] sanctionné aurait porté atteinte», en n’ôtant pas sonkeski, « aux droits et libertés des autres élèves, ou au bon fonctionnement de son établissement ». L’avis critique du comité des Droits de l’Homme de l’ONU n’est cependant pas contraignant pour nous.

1.2. Réactions à la loi de 2010

Les critiques visent désormais le plus souvent sans distinction les deux lois de 2004 et 2010.

Néanmoins, la loi sur la dissimulation du visage, adoptée en octobre 2010 et entrée en vigueur en mars 2011 a provoquédes réactions négatives mais moins virulentes qu’en 2004. Dans le monde musulman, la presse a commenté de façon critique mais plutôt modérée. Il convient surtout de noter que, si la presse a fait des commentaires,les autorités religieuses n’ont pas réagicomme en 2004.

Lerapport du Département d’Etat sur la liberté religieuseen 2012 a considéré quecette loi « affecte négativement les musulmans ». Néanmoins, ce type de commentaire est absent du rapport du Département d’Etat publié le 20 mai 2013 ; il était cependant toujours présent dans le rapport de la commission américaine sur la liberté religieuse internationale du 30 avril. On rappellera qu’en 2009, dans son discours du Caire, le Président américain avait défendu le port du voile pour les musulmanes en Occident.

2. LES RÉACTIONS AMÉRICAINES AUX PROBLÉMATIQUES DE LA LAÏCITÉ EN FRANCE 2.1. Position américaine sur la liberté de religion et/ou de conviction

L’adoption en 1998 duInternational Religious Freedom Act(IRFA) constitue un tournant dans la politique américaine en matière de liberté de religion et de conviction. Cette loi a créé d’une part la Commission sur la liberté religieuse (USCIRF), dont les membres sont nommés par le Président américain et le Congrès, et d’autre part, au Département d’Etat, un ambassadeur en charge de la liberté religieuse, lesquels font deux rapports distincts. La création de cette Commission et de ce poste d’ambassadeur a mis en avant la promotion de la liberté de religion au sein de la politique sur les droits de l’homme.

2.2. Rapport 2013 de la Commission américaine sur la liberté religieuse

Les rapports de l’USCIRF se caractérisent par leursrecommandations souvent très intrusivesà l’égard des différents Etats concernés. Ils font d’ailleurs l’objet de la part des universitaires américains de critiques souvent virulentes. L’action du gouvernement américain en matière de

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liberté de religion et ou de conviction apparaît souvent comme instrumentalisée par des groupes d’intérêt, notamment la droite chrétiennes et les mouvements évangéliques conservateurs.

Pour la première fois, la commission américaine sur la liberté religieuse, a consacré un chapitre de son rapport annuel, publié mardi 30 avril 2013, à l'Europe occidentale. La commission se montre très critique envers plusieurs pays européens, dont la France, notamment en raison de l'interdiction duvoileintégral dans les espaces publics français et belge. A l’occasion de la présentation de ce rapport, MmeKatrina Lantos Swett, Présidente de la Commission, a évoqué la « laïcité très agressive » de certains pays européens.

Le rapport cite les restrictions croissantes votées ces dernières années en Europe concernantles signes religieux, l'abattage rituel des animaux, la circoncision en Allemagne et la construction de mosquées et minarets en Suisse. La commission évoque plus précisémentles interdictions du voile intégral votées en 2010 en France et en Belgique.

Le rapport mentionne ensuite que le Président de la République et plusieurs ministres ont appelé au vote d'uneloi sur les signes religieux dans certains lieux privés, notamment les structures de petite enfance, faisant référence à la décision de la Cour de Cassation dans l’affaire Babyloup.

Enfin le rapport signale la décision du Président de la République en décembre 2012 de créer un Observatoire de la laïcité. Il cite le Ministre de l’Éducation qui aurait déclaré qu’il s’agissait de lutter contre l’extrémisme religieux et qui aurait donné pour exemple les créationnistes, les islamistes radicaux, les catholiques traditionnalistes, les juifs ultra-orthodoxes (sic) ; le rapport soulignant à cet égard l’absence de mention de l’usage de la violence ou sa justification.

Les critiques et recommandations américaines concernant notamment la question de la loi de 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles et la loi de 2010 sur la dissimulation du visage dans l’espace public se sont exprimées également à l’occasion de l’Examen Périodique Universel de la France le 21 janvier dernier.

2.2. Rapport 2013 du Département d’Etat sur la liberté religieuse

Le rapport international sur la liberté religieuse du Département d’Etat pour l’année 2012 est paru le 20 mai 2013. Il pointe en priorité les principales violations de la liberté religieuse dans le monde, qui sont le fait des mêmes pays que les années précédentes. Les huit pays classés dans la catégorie des « Countries of Particular Concern » sont étudiés avec une rigueur particulière : la Birmanie, la Chine, l’Erythrée, l’Iran, la Corée du Nord, l’Arabie Saoudite, le Soudan et l’Ouzbékistan.

En ce qui concerne la France, il présente un inventaire chronologique des évènements qui ont marqué l’année 2012 et aborde différents aspects de la législation française.Le constat qu’il formule est par de nombreux aspects similaires à celui du rapport de l’an passé. L’accent est mis sur les aspects factuels et le Département d’Etat adopte une position relativement prudente. Il n’adresse aucune critique directe à la France ; les réserves que ce rapport contient sont en général formulées par des organismes non-gouvernementaux. En cela, sa tonalité est très différente de celle du rapport de la Commission nord-américaine pour la liberté religieuse, rattachée au Congrès, qui a rendu son propre rapport le 30 avril dernier (voir note n°49/CAR du 2 mai 2013).

Le rapport rappelle quele gouvernement français est impliqué dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et qu’il il combat les actes criminels prenant pour cible un groupe religieux. Il évoque toutefois le fait qu’au cours de l’année de nombreux actes de discrimination fondés sur l’appartenance religieuse, les croyances ou les pratiques religieuses ont été recensés.

De manière générale,les pratiques gouvernementales, selon le Département d’Etat, respectent la liberté religieuse et encouragent le dialogue interreligieux.

Dans le rapport, on rappelle que certaines politiques se sont employées à « restreindre les expressions religieuses dans la sphère publique ».Il est souligné que le gouvernement continue de faire appliquer l’interdiction légale de se couvrir le visage dans l’espace public. La loi de 2010 à cet égard avait été adoptée pour « répondre à un impératif de sécurité », pour que tous les individus soient identifiables.

Mais le rapport affirme qu’« il a été reconnu que cette loi avait pour objectif principal d’interdire aux femmes musulmanes de porter la burqa ou le niqab ».

Les gouvernements français et américain échangent régulièrement sur les questions qui concernent la liberté de religionselon le rapport qui met en valeur l’implication des postes américains en France. L’ambassade américaine promeut le dialogue interreligieux et a organisé des rencontres avec des représentants des pouvoirs publics, des groupes religieux et des ONG. Elle a par ailleurs mené une politique d’ouverture envers les groupes qualifiés de « minorités religieuses ».

Selon le rapport, les groupes religieux les plus touchés par les discriminations sont les juifs et les musulmans. On constate que l’ethnicité et la religion sont souvent très liées lorsqu’il s’agit d’analyser des phénomènes de discrimination et de violence. Les assassinats perpétrés par Mohamed Merah sont mentionnés. Le rapport relève que 17 Témoins de Jéhovah ont fait l’objet d’agressions physiques en 2012.

Le rapport délivre par ailleurs des informations variées sur la politique française en matière de liberté religieuse. Il dresse un état des lieux de la démographie religieuse française, notamment en termes d’appartenance religieuse, fondé sur des informations de presse. Le rapport mentionne que le gouvernement ne réalise pas de statistiques sur l’appartenance religieuse ou ethnique.Il expose par ailleurs les dispositions légales garantissant la liberté de religion et de conscience en droit français et européen, ainsi que le régime de non-reconnaissance des cultes et les procédures d’inscription en tant qu’association cultuelle ou culturelle. Le régime concordataire en Alsace-Moselle est également présenté.

La nature laïque de notre système éducatif public et l’interdiction de porter des signes religieux dans les institutions scolaires sont évoquées.On note que les régimes alimentaires et les célébrations religieuses telles que le Ramadan sont respectés.

La fonction de la MIVILUDES est clairement explicitée. Le rapport affirme que les membres de certains groupes religieux, qualifiés par lui de « groupes religieux minoritaires », à l’instar de l’Eglise de Scientologie, s’inquiètent del’attitude méfiante du gouvernement à leur égard et des actes de discrimination que cette attitude entraîne indirectement. Qu’elles soient religieuses ou séculières, les associations qui mettent en danger l’intégrité physique ou morale de leurs adhérents, violent leurs droits ou leur dignité, sont soumises à des mesures préventives ou punitives.

Il est rappelé que le 28 février 2012, le ministre des Affaires étrangères avait publié une tribune dans le journal La Croix rappelantl’engagement français vis-à-vis des chrétiens d’Orient. L’engagement de la France pour protéger la mémoire de la Shoah est souligné. Le rapport mentionne que le gouvernement est membre de la Taskforce Internationale pour la Mémoire de la Shoah et rappelle que lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv en juillet 2012, le Président Hollande a publiquement reconnu la responsabilité de la France dans les crimes antisémites commis sur le sol français et la collaboration de l’Etat français avec l’occupant allemand.

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3. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

La loi de 2004sur les signes religieux à l’école a étéjugée conforme au système européen de protection des droits de l’hommepar la Cour européenne des droits de l’homme.

En ce qui concernela loi sur la dissimulation du visage de 2010, la décision de la CEDH est pendante. La CEDH a décidé le 30 mai 2013, de manière exceptionnelle, de confier directement à son instance suprême, la Grande Chambre, la requête d’une jeune musulmane qui proteste contre l’interdiction en France de porter le voile intégral dans l’espace public. Cette affaire a étéexaminée en audience publique en novembre 2013 et la décision devrait intervenir dans les mois à venir. Les décisions rendues par la Grande Chambre sont définitives.

4. COMMENTAIRES

Il faut noter que le MAE a préparé des argumentaires et des actions de communication élaborés au moment des lois de 2004 et de 2010. Si une nouvelle loi devait être adoptée en France suite à la décision de la Cour de Cassation à l’affaire Baby Loup, il est évident qu’on aura à faire à de fortes contestations dans le monde musulman et dans le monde anglo-saxon. On nous reprocherait alors d’imposer des discriminations accrues aux musulmans de France et de porter de manière répétitive atteinte à leur liberté religieuse.

En tout état de cause, un travail d’explication et de communication sur la laïcité française s’avère nécessaire pour promouvoir une meilleure compréhension de notre système à l’étranger. Il conviendrait en particulier d’insister sur le fait que le principe de laïcité est en France au cœur des libertés publiques. Il ne s’agit pas de brimer la liberté de religion ou de conviction, puisque la laïcité est liée dès le départ à la liberté de conscience, mais au contraire de protéger la liberté des individus.

Roland DUBERTRAND

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