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Audition de M. Georges Pontier, Président de la conférence des évêques de France

« Je vous remercie de votre invitation. Pour ma part j'intitulerai mon propos au sujet de la laïcité aujourd’hui en France comme la perception d’une évolution ou d'une hésitation entre une ‘laïcité d’Etat’ et une ‘laïcisation de la société’.

La première option de la laïcité, c’est celle prévue par la loi du 9 décembre 1905 qui consistait en une séparation et non pas à l'ignorance. Mais ce concept a évolué d'une toute autre manière au cours du XXIesiècle.

QPour illustrer mon propos, j'aimerais citer un article du Monde du 9 janvier 2014 :

« Au nom de la ‘laïcité’, un tribunal a récemment contraint l'administration pénitentiaire à servir des repas halal à des détenus musulmans. Au nom de la ‘laïcité’, une école a, il y a un an, envisagé de priver les enfants de Père Noël lors de la fête de fin d'année. Au nom de la ‘laïcité’, une fonctionnaire territoriale protestante a été sanctionnée pour avoir distribué des calendriers portant le logo de son Eglise. Au nom de la ‘laïcité’, des mères voilées sont régulièrement interdites de sorties scolaires avec leurs enfants. Et c'est encore au nom de la ‘laïcité’

que les responsables politiques de droite et de gauche s'empoignent depuis des années sans désemparer » Dans la conception première de la laïcité, il s'agit du comportement de l'Etat envers les Églises, à savoir la stricte neutralité, mais dans le respect de tous les citoyens et une acceptation de la manifestation religieuse dans le respect de l'ordre public.

Durant le 20esiècle, la jurisprudence a plutôt tranché dans l'esprit d'Aristide Briand, dans le sens de privilégier le respect de la liberté de conscience. L'Eglise a vécu ces événements de manière difficile, puis peu à peu une relation de dialogue s'est inscrite entre l’État et l'Eglise. Depuis Pie XII jusqu'à Benoit XVI – le pape François ne s'étant pas encore prononcé –, il y a eu des textes qui témoignent que l'Eglise apprécie cette relation, à condition que l'Etat respecte la liberté de conscience et de religion.

Il y a eu cependant un second courant de la laïcité qui s'est développé, celui d’une ‘laïcisation de la société’, ce qui soulève beaucoup d'interrogations de notre part.

Ce n'est pas seulement pour nos intérêts particuliers que nous le craignons. Mais nous ne pensons pas juste d'aller vers une laïcisation de la société et le maintien de la manifestation des convictions religieuses uniquement dans la sphère privée, intime.

Existent des courants de pensée qui s'expriment pour une ‘laïcité de combat’ : pour eux la religion relève de l'obscurantisme. Ils sont favorables à des retours en arrière et aimeraient notamment revenir sur la loi Debré avec le slogan ‘argent public école publique’ pour instaurer des coupures radicales et ramener la République dans quelque chose de beaucoup plus strict.

La laïcité ne serait plus un mode de fonctionnement, mais une doctrine.

On a ensuite un autre sous-courant, qui s’exprime à travers une laïcité qui serait comme la fille de la sécularisation : Il s’agit de supprimer ce qui fait référence au monde chrétien pour organiser sa vie sociale. Nous le voyons à travers la question des presbytères, qui appartiennent généralement aux communes, et lorsqu'il n’y a plus de prêtre résident, le débat s’instaure pour l’ouvrir à d’autres

personnes, membres de la communauté chrétienne pour continuer à animer sa vie. Cela se fait de manière plus ou moins harmonieuse. Dans les édifices religieux, c'est la dimension culturelle qui sera la plus mise en avant, et on ne se demandera pas toujours si les spectacles qui sont donnés dans les églises sont en accord avec les conceptions des croyants.

De plus, on voit qu'à cause des resserrements budgétaires les aumôneries d’hôpitaux, de prison…

peuvent passer au second plan.

Le troisième courant considère lui que l'espace public n'est plus un espace public où chacun pourrait vivre sans freiner sa conscience. Pour ce courant l'espace public serait une extension du domaine de l'Etat.

On peut le remarquer, par exemple, dans le fait que des personnes ont eu du mal à comprendre que l'Eglise se positionne sur des questions de société.

Mais on peut aussi le trouver dans des exemples de tous les jours avec les histoires de Père Noël qui ne devraient pas venir à l'école.

Il y a aussi la question des changements de jours fériés, avec une proposition de supprimer des fêtes chrétiennes du calendrier.

Il me semble que pour ce courant, ce qui a été l'élément déclencheur, c'est l'arrivée de l'islam et surtout la prise de conscience qu'il s'agit d'une présence de l’islam qui va durer, puisque nombreux sont les Français musulmans. De plus s'est rajouté à cette réalité le développement d'un islam radical et sectaire.

Mais ce radicalisme ne reflète pas la réalité de l’islam et pollue la réflexion autour de la laïcité.

On est alors passé de la question : Est-ce qu'il faut leur accorder les mêmes droits et avantages qu’aux autres religions ? à la question : Ne devrait-on pas supprimer les avantages et droits qu'on a accordés aux autres religions afin de ne pas avoir à les leur accorder ?

En conclusion de ce premier point il me semble qu'on est passé d'une laïcité qui était un mode de fonctionnement à une laïcité qui devient une opinion, une philosophie, dont on veut imposer une certaine conception stricte comme solution pour le vivre ensemble, au détriment de la neutralité de l'Etat et de la conception première d’Aristide Briand.

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur un point important :

Il serait dangereux de penser que les religions ne sont qu'une affaire personnelle, individuelle, alors qu'elles jouent un rôle social, en accompagnant les jeunes, en participant aux loisirs, en donnant des repères, en participant à l'enseignement, la formation. Elles jouent aussi un rôle dans l'aide aux plus pauvres et d'une manière générale, les élus sur le terrain se réjouissent de ce rôle. Elles jouent également un rôle dans l'accompagnement aux personnes éprouvées par la maladie, et celles en fin de vie.

Elles offrent encore un cadre institutionnel au dialogue avec l'Etat et permettent de donner des repères et de lutter contre les fondamentalismes toujours possibles en leur sein.

Il arrive que lorsque nous organisons une activité avec des jeunes, les caisses d’allocations familiales ne veulent pas nous subventionner parce qu'un temps est prévu pour une messe.

La laïcité deviendrait une culture, voire une ‘religion laïque’ à promouvoir ou même à imposer.

On peut comprendre la volonté de transmettre aux jeunes certaines valeurs avec la charte de la laïcité, mais on peut s'inquiéter lorsqu'on prétend arriver à une ‘reconquête’ des esprits qui auraient été ‘travestis’ par l'influence familiale ou religieuse. Étonnante généralité : ce ne sont pourtant pas les idéologies religieuses qui ont commis les deux grands drames du 20esiècle.

RA P P O R T A N N U E L D E LO B S E R V A T O I R E D E L A L A Ï C I T É 2 0 1 3 - 2 0 1 4

Le troisième point concerne l'enseignement laïc de la morale. Dans la présentation qui en est faite, l'égalité est bien exprimée tout comme la liberté mais le pilier de la fraternité semble malheureusement absent de cet apprentissage. La fraternité est une des valeurs de la République. Elle est aussi une valeur chrétienne qui nous pousse à regarder l'être humain avant toute autre considération. Et s'il y avait un encouragement à donner pour contribuer à la paix sociale, le pilier de la fraternité mériterait d'être renforcé.

Le dernier point que j'aimerais évoquer serait une invitation à une pratique de la laïcité exigeante et respectueuse.

Constater que les citoyens ne sont pas identiques n'est pas une catastrophe mais une réalité. L'Etat doit aider les citoyens à vivre ensemble. Aussi, chaque courant de pensée doit savoir jusqu'où aller.

La laïcité est exigeante pour tout le monde, pour l'Etat bien sûr, mais aussi pour les religions. Elle est un mode de fonctionnement que nous acceptons mais qui doit nous aider à savoir jusqu'où on peut aller, parce que la société est plurielle, nous sommes des citoyens et nous avons tous droit au débat.

Extraits des échanges avec les membres de l’Observatoire de la laïcité :

Réponse à une question concernant la transmission de l’expérience de la laïcité de l’Eglise catholique aux autres religions :

« La première chose que je souhaite dire c'est qu'il ne faut surtout pas réduire la question simplement au facteur religieux.

Les difficultés de la communauté musulmane que certains évoquent sont d’abord d'ordre économique, social, éducatif. Beaucoup de membres de la communauté musulmane connaissent des difficultés concrètes et sérieuses, et cela les rend vulnérables. Nous voyons tous, également, des musulmans bien insérés et qui vivent bien leur foi. L'aspect économique et social est à prendre en considération.

La deuxième chose est de rappeler que la rencontre sert bien plus que la stigmatisation. » Réponse à une question concernant le rôle des religions dans le développement du vivre ensemble :

« Je préfère promouvoir le concept de vivre ensemble que le concept strict de laïcité parce que, justement, celui-ci est parfois employé de façon très dure et dans un sens d’exclusion.

Promouvoir une ‘laïcisation’, si cela veut dire que les conceptions qui sont religieuses ne doivent pas s’exprimer mais que toutes les autres ont ce droit, je ne peux que m'y opposer.

Mais si vous me demandez quelle part je prends à expliquer qu'il faut vivre dans une société plurielle en bonne entente, alors oui je me battrai pour faire taire les nostalgiques d'une époque qu'ils n'ont pas connue.

Le but c'est de collaborer à une société du vivre ensemble, le monde est pluriel, c’est ainsi et cela ne peut être nié. »

Réponse à une question concernant la place des religions dans le débat public :

« Il faut accepter le fait que l’approche de l'homme ‘purement matérialiste’ qu’ont certains courants philosophiques puissent nous apparaître mauvaise et insuffisante. Il faut accepter que des avis différents et que les religions s'expriment dans des débats. »

Paris, le 4 février 2014

Audition de M. Mohammed Moussaoui,

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