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État des lieux concernant la gestion du fait religieux dans l’entreprise

privée

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par MmeArmelle Carminati,

présidente du comité « diversité » du Medef

En entreprise,les encadrants sont confrontés à la question de la diversité de l’expression des convictions religieuses, plutôt qu’au« fait religieux »: ce sont des situations de travail quotidiennes et infiniment variées qu’il faut gérer, pas un fait.

De quoi parle-t-on ?Pour comprendre l’intensité du sujet,il faut d’abord étudier les chiffres plutôt que les émotions ou les anecdotes.

Quelques instruments récents74existent, dont le baromètre annuel sur la perception des discriminations du Défenseur des Droits, et le tout récent baromètre de« perception du climat d’égalité des chances en entreprises du MEDEF ». Ce dernier a été construit par la Commission richesse des diversités et réalisé en février 2012 et en mars 2013, par LH2 auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française salariée du privé et âgée de 16 ans et plus (l’édition 2014 est prévue en avril-mai).

Il en ressort quel’indice général du climat d’égalité des chances en France a fléchi en 2013 par rapport à la mesure initiale de 2012. En effet, on relève que :

l'appartenance religieuse affichée est le sujet qui a fléchi le plus fortement d’une année sur l’autre.

C'est le critère de « facilité de carrière perçue » (construite comme perception de la facilité à être recruté, à occuper un poste en contact direct avec la clientèle ou à haute responsabilité) à la fois le plus bas de tous les critères testés, et aussi celui qui perd le plus de points.

Qc'est un des sujets personnels les plus difficiles à aborder en entreprise, encore plus que l’année précédente, mais toutefois moins que son orientation sexuelle.

Qles moqueries liées aux convictions religieuses se développent sur le terrain.

Qpourtant, etde façon paradoxale, les sondés ne voient pas ce thème comme action prioritaire quand il s’agit de lutter contre les discriminations en entreprise. On peut parler d’« angle mort »dans les attentes des sondés.

Q[Néanmoins, il est utile de rappeler qu’il n'y aurait « que » 6% des situations qui seraient conflictuelles et échapperaient au savoir-faire managérial courant des encadrants75. On

73- Cet exposé s’est tenu lors de la séance de l’observatoire de la laïcité du 4 juin 2013. Il ne s’agit ici que d’un résumé et non d’une retranscription.

74- « Fait religieux en entreprise :les chiffres», MEDEF, 2013.

75- Cf. étude de l’Observatoire du fait religieux en entreprise de Sciences Po Rennes, en partenariat avec le groupe Randstad France, publiée par fin mai par Le Monde

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observe cependant uneforte disparité géographique, la proportion de cadres concernés par des problèmes pouvant atteindre 43% en région parisienne pour une moyenne nationale de 14%].

Quels impacts pour les managers en entreprise ?Cet état des lieux chiffré par plusieurs instruments appelle sans douteun besoin de pédagogie, beaucoup plus que d'une loi.

QOn observe unevéritable solitude des managers, qui pour la plupart ignorent tout des sujets religieux et réagissent en toutesubjectivité, parfois différemment d’un étage de la même entreprise à l’autre.

QNombreux sont ceux qui ignorent aussi vers qui se tourner pour réfléchir et agir, certains s’ajustant au rapport de force de la majorité locale perçue, d’autres agissent par hantise d’être perçus comme phobiques et répressifs ou bien au contraire par hantise du communautarisme. Au fond,l’ignorance est mère de la peur et trouble le jugement managérial, dans ce domaine comme dans les autres champs de la diversité.

Q[Notons sur ce point que l’étude précitée de l’Observatoire du fait religieux constate queseuls 12%

des cadres RH interrogés estiment qu’une loi serait« une solution à privilégier », ainsi que seuls 2% des managers et que seuls 16% des employés].

Il est très clair queles managers, sur le terrain, ont besoin de connaître les outils dont ils disposent, que ce soit le cadre législatif (européen et français), la jurisprudence accumulée, la doctrine de leur entreprise en matière de gestion des diversités. Le Baromètre MEDEF précité montre à quel point les managers sont perplexes et peu outillés.

Quelles pistes de solutions sur le terrain aujourd’hui ?Dans un louable effort pour proposer des solutions institutionnelles qui éviteraient les dissonances toujours possibles dans la gestion au cas par cas, à la main des managers, on a pu observer récemment de« fausses bonnes idées ».

QAinsi par exemple, l'ANDRH76, qui est un des nombreux clubs (non représentatifs) de DRH, a proposé en juillet 2012 de légiférer pour banaliser trois des jours fériés en France afin que certains salariés puissent« poser des jours »pour raison religieuse.

QAu premier abord, neutre et bienveillante, on s’aperçoit vite qu’une telle mesure obligerait certains salariés à se dévoiler malgré eux, voire provoquer un regroupement « en tant que communauté »et créer de l'antagonisme.

L'essentiel des travaux actuels se fait donc autour de lacréation de guides managériaux regroupant des outils utiles et concrets:

QA titreinstitutionnel, avec le guide de l’Observatoire de la laïcité, intitulé « Gestion du fait religieux dans l’entreprise privée ».

QÀ titre collectif, par des associations comme l’IMS en 2009, l’AFMD77en 2013, et le MEDEF en 2014.

QÀ titreindividuel, par certaines grandes entreprises comme EDF, La Poste, la RATP, Orange, le groupe Casino, Accenture, la SNCF, etc.

On peut repérer quelques points communs traversant ces démarches78:

76-« Association nationale des directeurs de ressources humaines ».

77-« Association française des managers de la diversité ».

78- Concept et méthodologie développé par Bouzar-expertise.

QOn rappelle le cadre légal et réglementaire, de façon pédagogique, souvent illustré par des études de cas concrets. On note d’ailleurs que le « règlement intérieur » des entreprises ne peut en aucun cas apporter de restriction universelle à la liberté de conscience de chacun et que les éventuelles interdictions doivent toujours rester justifiées par les fonctions exercées (par nature différentes d’un poste à l’autre) et proportionnelles au but recherché.

QOn relève trois règlesimportantes pour éclairerla gestion managériale:

a.Partir des demandes particulières exprimées pour rechercher une solution apportant un bénéfice universel, y compris pour ceux qui n’ont rien demandé. Cette démarche est issue du concept du Plus Grand Dénominateur Commun développée par Dounia Bouzar auprès des entreprises qui la sollicitent. Cela signifie contrairement aux « accommodements raisonnables » à la canadienne que tous les salariés sont incorporés dans la formulation des réponses.

b. Invoquer leprincipe d'équidistance: neutralité et discrétion par rapport à ses confrères, à ses clients, à ses fournisseurs, etc.

c.Ne pas tenter d’interpréter les textes religieux et s'en tenir à la situation de travail dans l'entreprise, sans entrer dans un débat sur la pertinence de la demande.

QOn relève une typologie de six situations de travail auxquelles les salariés et leurs managers sont confrontés : les préférencesalimentaires, lecomportemententre salariés, leshorairesaménagés, les demandes derecueillement, les demandes de jours« fériés »supplémentaires,l’apparencevestimentaire et le port de signes. Lorsque les trois règles précitées sont utilisées, la plupart de ces six situations sont facilement désamorcées (par exemple : les demandes de recueillement ne sont souvent pas concrètement différentes des demandes de pause cigarette de la part de fumeurs ; les préférences alimentaires pour motifs religieux peuvent être traitées en élargissant la réponse aux besoins moins explicites et pourtant réels d’affichage de l’offre en matière de composants de type gluten, arachide ou sucre, apportant ainsi un bénéfice universel y compris à ceux qui n‘ont rien demandé).

La démarche in concreto est donc largement recommandée, mais est conditionnée par un fort investissement dans la pédagogie et la formation, seuls remparts contre les inégalités de traitement sur le terrain.

QTrois observations pour affiner l’analyse :

a. Il faut prendre en considération la surface de jeu des entreprises :les frontières sont poreuses pour les entreprises internationales, grandes (avec des bureaux ou établissements dans d’autres pays) ou petites (avec pourtant des fournisseurs ou des clients hors de France), or les

« règles du jeu »ne sont pas les mêmes selon les pays ce qui augmente d’autant la complexité managériale face à la diversité d’expérience des collaborateurs exposés à travailler dans d’autres contextes et pratiques, bien que pour le même employeur.

b.Les situations de travail à traiter sont autant managériales(entre un ou des salariés et leur superviseur)qu’horizontales(entre salariés ou groupes de salariés).

c.Le« cliquet émotionnel »touche davantage les femmes que les hommes, notamment en ce qui concerne l’apparence vestimentaire. L’émotion n’étant jamais un bon guide, c’est la question dite du « voile » qui est souvent l’une des plus longues à désamorcer, plus particulièrement lorsque des femmes managers ont à se prononcer sur la conduite à tenir dans certaines situations de travail impliquant d’autres femmes.

Armelle Carminati

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