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Audition de M. Joël Mergui, Président du Consistoire central israélite de France

Le domaine de la laïcité est de plus en plus important. Ma présentation consistera à donner quelques éléments de ressenti sur la laïcité. Veuillez m’excuser si je conserve un certain franc-parler.

Le premier point que je voulais aborder concerne l'installation de votre Observatoire de la laïcité : c’est à mon sens une très bonne chose. Vous avez déjà fait et rendu beaucoup de travaux. Néanmoins, je pense qu'il aurait été préférable que les représentants religieux soient membres de cet Observatoire afin d’y apporter un autre regard. La présence de responsables religieux au sein même de l'Observatoire aurait donné un signal fort pour notre société.

Aujourd'hui, le mot laïcité en France ne veut plus dire la même chose selon la personne qui le prononce. Quand on me parle de laïcité je ne sais jamais si on veut parler de la laïcité ‘positive’ ou si cela veut dire que la religion n'a plus le droit de s’exprimer. Je pense qu'il faudrait rappeler la définition de la laïcité car cela pose un problème si selon les représentants de l’État la définition change.

Je suis président du consistoire central depuis 8 ans, et avant j’en étais vice-président : cela fait donc 15 ans que je fais partie de cette institution. À cette occasion, j'ai remarqué une certaine progression des questions entourant la laïcité. Il y a des élections au consistoire et à cette occasion chacun fait un programme. J'ai relu attentivement tous les programmes. Il y a 15 ans, il n'y avait dans les programmes, ni le sujet de l’antisémitisme, ni celui de la sécurité. Il y a 8 ans, la sécurité et l'antisémitisme étaient mis en avant. Et cette année, c'est la liberté religieuse et la laïcité qui constituaient les premières des préoccupations.

Durant mes études, je n'ai pas eu le même ressenti que celui de mes enfants aujourd'hui. J'ai pu faire mes études de médecine en harmonie avec ma religion, car des arrangements étaient possibles.

Aujourd'hui, il y a un malaise, il y a de nombreux blocages et de nombreuses interdictions. Pourtant, le consistoire a été créé sur l'idée et la devise, ‘patrie et religion’ : nous n’avons jamais été en contradiction avec les règles de la République, bien au contraire.

Les juifs qui vivent en France ne sont pas tous très pratiquants, mais nous ne devons pas pour autant exclure ceux qui pratiquent davantage, sinon ils partiront ailleurs et affaibliraient le judaïsme français.

Les juifs ont souvent quitté leur pays, lorsqu'il y avait une atteinte à la liberté religieuse.

C’est une raison qui dépasse celle de l'antisémitisme, auquel nous sommes malheureusement habitués.

Le consistoire a immédiatement dit ‘oui’ à la séparation entre les Eglises et l’Etat, ‘oui’ à la laïcité.

Mais la définition de la laïcité a muté. Et aujourd’hui, la laïcité devient parfois un prétexte pour refuser des adaptations qui jusqu'à présent étaient admises.

La communauté juive est aujourd'hui à son maximum numérique. En effet, aujourd'hui, il n'y a plus de juifs qui viendront d'autres pays. De plus, nous avons à Paris la plus grande communauté juive d'Europe. Le nombre de juifs ne fera dorénavant que baisser, du fait de l’absence de prosélytisme et l’augmentation du phénomène d’assimilation, des gens d'origine juive qui oublient leur origine. Mais

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il y a aussi d'autres juifs, qui, parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité, ou parce qu'ils ne peuvent plus vivre leur religion comme ils l'entendent, partent, notamment pour se rendre en Israël.

Nous nous demandons comment conserver cette communauté et quels sont les moyens pour y arriver. Il faut que les juifs qui pratiquent leur religion de façon la plus forte, ne se sentent pas gênés par des redéfinitions de la laïcité en France. Si je constate que des membres quittent la France parce qu'ils pensent qu'ils ne peuvent plus pratiquer leur religion dans notre pays, j'aurai échoué dans ma mission et la France aussi.

Le judaïsme est la religion ayant les règles les plus complexes. Pour autant, cela a toujours fonctionné et il faut que ça fonctionne encore dans notre pays.

De plus en plus d'étudiants font face, dans les universités à une incompréhension de la part de l’administration pour de très légères adaptations du calendrier universitaire à des contraintes limitées liées à des demandes religieuses. Une majorité des juifs pratiquants est scolarisée dans des écoles confessionnelles.

L'article 13 de la charte de la laïcité prévoit que :« Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l'École de la République ». Cet article peut être perçu de façon positive, lorsqu'il s'agit par exemple de ne pas pouvoir contester l'étude de la Shoah à l'école.

Mais le problème serait l’absence de possibilité d’aménagements qui pourrait en résulter.

De plus, il y a des interrogations pour lesquelles nous sommes en contact avec le ministère de l'intérieur concernant l’abattage rituel. En effet, ici, on a pris un autre biais que la laïcité (l'obligation d'étourdir les animaux préalablement à leur abattage). Je crains qu'on soit dans une véritable difficulté d'accéder à du casher. Cela est aussi le cas, en prison avec des impossibilités pour les détenus d'avoir de la nourriture casher.

Il est fondamental qu'il y ait une réflexion et qu'on ne se retrouve pas dans une laïcité qui exclut ceux qui veulent vivre leur religion de façon non-prosélyte, sans signes distinctifs autre que la kippa.

Si l’on associait toutes les demandes religieuses des juifs et qu'on faisait des aménagements pour que tous les croyants puissent vivre sereinement leur religion, on ne bouleverserait aucunement le fonctionnement de notre Etat.

Si un juif demande dans une entreprise de s'absenter pour une fête juive, je ne pense pas que cela puisse poser problème tant nous sommes peu nombreux. On me répond souvent que les juifs disposent de plus de jours fériés. Mais leur prise en compte ne perturberait pas beaucoup le temps de travail qui est déjà réduit en France. Je suis persuadé que des adaptations intelligentes sont possibles pour que les juifs de France puissent être traités au moins de façon équivalente à ceux qui ont des contraintes personnelles (maladie, déménagement, etc.).

J'attache beaucoup d'importance à vos travaux et je propose d’y participer. Cela, afin d'éviter que, dans notre société, les convictions religieuses s’éteignent progressivement.

Je ne veux pas que des juifs en France se voient réduire à l'avenir la possibilité de pratiquer leur religion.

Pour conclure, traversant la France toutes les semaines, je peux vous affirmer que nous avons une communauté juive pleine d'optimisme, avec une envie très marquée de vivre notre identité dans la République et de participer à la construction de notre pays. »

Extraits des échanges avec les membres de l’Observatoire de la laïcité Réponse à une question concernant les revendications particulières

« J'ai eu à me battre sur la question des cimetières confessionnels, où l'interprétation des maires varie trop souvent. Heureusement que des circulaires règlent désormais cette question, car certains maires empêchaient l’existence de tout carré confessionnel. »

En réponse à une question concernant la pratique religieuse

« En France, il y a sans doute l'équivalent de 100 000 juifs très pratiquants : mais ce n'est guère quantifiable et ça n'a pas de répercussion sur le ressenti. Il n'est pas normal que la communauté juive soit prise dans l'étau d'une laïcité qui cherche à réorganiser les choses. Ceux qui risquent d’être les plus grands perdants de cette redéfinition de la laïcité, ce sont les juifs. »

En réponse à une question concernant l’enseignement privé

« Toutes les écoles confessionnelles qui sont aidées par l'Etat respectent les règles de l'éducation nationale. De plus, les écoles juives sont des vecteurs d'intégration exceptionnelle dans notre société, à travers l'histoire du judaïsme français. Nos élèves ressortent de ces écoles avec une plus grande citoyenneté. »

En réponse à une question concernant l’évolution potentiellement liberticide de la laïcité :

« Oui je crains que la laïcité devienne liberticide ».

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Paris, le 21 janvier 2014

Audition de M me Marie-Stella Boussemart,

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