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Audition de M. François Clavairoly, Président de la Fédération Protestante de France

Je vous remercie pour cette invitation à nous exprimer devant vous.

Je voulais, en introduction, faire mention tout simplement et avec reconnaissance de la présence de M. le Premier Ministre lors de la présentation des vœux le 9 janvier dernier au siège de la FPF 47 rue de Clichy à Paris. Nous en avons été d'autant plus heureux que ce fait est rare : c’est à l’occasion du centenaire de la FPF en 2005 que le Premier Ministre d’alors avait répondu pour la dernière fois à notre invitation.

Pour ce qui est du rapport de la Fédération protestante de France à la laïcité, je me permets de rappeler que l'histoire est riche et longue et que, d'une façon ou d'une autre, elle a été marquée par plusieurs dates clefs dont je retiens les principales.

Tout d’abord l’Edit de Nantes, en 1598, qui place à distance du pouvoir politique les religions présentes dans le pays, religions qui se trouvent en conflit. Cette mise à distance inaugure, à bien des égards, le processus de laïcisation de l’Etat. Puis 1789, créant la rupture avec la monarchie absolue et ouvrant en même temps le projet de construction de la République. Enfin, 1905 qui établit les conditions des relations entre le religieux et le politique, et définit les rapports entre les Eglises et l’Etat. Dans notre pays, à chacune de ces étapes, le protestantisme a été présent et a même été acteur. Il a d’ailleurs été, dans une certaine mesure et sur certains points, parmi les corédacteurs de la loi de 1905.

Le deuxième point que je voulais souligner consiste dans ce fait que la laïcité, comme le disait Paul Ricœur, est l'occasion d'un « vivre ensemble », l'occasion organisée par la République d'un débat où les opinions diverses, notamment religieuses, peuvent s'exprimer. Je crois que cet élément-là doit être sans cesse rappelé : la séparation des Eglises et de l’Etat est aussi la construction commune d'un espace public où le débat peut avoir lieu et peut être assumé : c’est la République, autrement dit l’Etat qui est laïque mais non la société où s’expriment publiquement toutes les opinions.

La compréhension de la laïcité en France a cependant évolué et nous sommes aujourd'hui dans une phase où, semble-t-il- il, les uns et les autres sont placés dans un climat où se ressent un sentiment d'inquiétude et d’incertitude. Sans doute parce que les uns se vivent ou se situent dans une posture de fragilité ou de remise en question: les religions sont en effet, et ce depuis quelques temps déjà, déstabilisées par la sécularisation, questionnées par les évolutions de la société, et même critiquées pour tel ou tel motif. D’autre part, il existe, pour ce qui est des religions, une diversité de situations qui les distinguent les unes des autres quant à leur relation avec l’administration : la République, bien qu'elle soit ‘une’ a tout de même curieusement maintenu sur son territoire une pratique diversifiée et divers régime des cultes, en métropole mais également en Outre-Mer (Concordat, articles organiques, loi d’association 1901, d’association cultuelle 1905, diocésaine 1924, droit local Alsace Moselle, ordonnance de Charles X, décret-loi Mandel,…).

L'autre point que je voudrais signaler, pour prolonger la réflexion et mieux comprendre les raisons de ce sentiment de malaise ou d'inquiétude, c’est qu’un sérieux effort pourrait ou devrait être mené, notamment par l'Observatoire de la laïcité, au plan pédagogique et informatif :

Tout d’abord, un effort pédagogique, notamment auprès des autorités (Mairies, administration), concernant le rapport aux religions et aux cultes: pour éviter un a priori méfiant ou inquiet à l'égard, notamment, de ces Eglises qui s'établissent sur le territoire et qui sont en recherche de locaux, des

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Eglises de confessions protestante (évangéliques, baptistes, pentecôtistes, presbytériennes, etc.) comportant à la fois des membres de nationalité française mais aussi des membres d'origine étrangère. Ces Eglises, en effet, faut-il le rappeler, sont très concrètement des lieux d'intégration forts, des instances responsables et des facteurs de socialisation.

Devant les refus d’autorisation ou ce qui peut ressembler à des tracasseries administratives, la réaction de ces Eglises ne peut pas être, cela est évident, le recours à la justice par la plainte devant le tribunal administratif : comment s’installer dans une commune si les premiers contacts avec les autorités sont conflictuels ? Cependant il y a des cas où les mairies, sachant que ces dernières veulent acquérir un terrain afin d’y construire un lieu de culte, désirent exercer leur pouvoir de préemption ou proposent des lieux peu commodes. Il est probable que cette attitude soit liée à une espèce de crainte diffuse, celle de la présence jamais totalement acceptée de l'islam, même si cette crainte n’a en réalité aucun fondement. Et je fais l’hypothèse (mais suis-je bien le seul ?) qu’on refuse ici l’installation d’Eglises évangéliques car on a peur que là, des musulmans fassent un jour la même demande.

En plus d’être infondé, ce raisonnement est injuste.

Ici, par conséquent, un effort d’information auprès des autorités administratives sur ce qu’est le protestantisme, sur ce qu’est le droit et la règlementation en matière religieuse, est plus que jamais nécessaire, pour que règne un climat de confiance.

Le dernier point que je voudrais présenter est celui que j'ai évoqué en commençant :

Lors des vœux, j’ai interpellé M. le Premier Ministre sur le fait que l’article 43 du projet de loi relatif à l’Economie Sociale et Solidaire excluait de son dispositif les associations cultuelles. Pourquoi donc exclure les associations cultuelles alors que toutes les autres associations d’intérêt général sont concernées ? C'est un problème factuel, certes, mais derrière ce problème peut se profiler la volonté de décourager les Eglises nouvelles de s'inscrire dans le cadre prévu pourtant pour elles et défini par la loi de 1905 qui avait été très largement accepté et adopté au début du XXe siècle par les Eglises protestantes. Rappelons que sur les 4.000 associations cultuelles en France, près de 3.000 protestantes.

Si l’on continue à développer un système qui favorise les associations de type Loi

1901 au détriment des associations cultuelles qui voient ainsi leur statut dégradé, ne serons-nous pas tentés de suggérer à nos prochaines Eglises de se former plutôt en association loi 1901 ?

Finalement, nous nous demandons si nous n’entrons pas dans un processus où le traitement inéquitable des associations cultuelles par rapport aux autres associations ne crée par un déséquilibre en leur défaveur. Or la loi de la République ne doit pas être inéquitable.

En conclusion, je tiens ici à redire, pour la Fédération protestante de France, que je suis très heureux de la relation que nous avons avec l’Observatoire, depuis notre rencontre avec M. Bianco et M. Cadène.

Je me permets toutefois de souhaiter que par le travail qui est le vôtre, vous « observiez » à la fois les religions, certes, mais aussi la laïcité et ses évolutions, comme l’indique l’intitulé de votre institution

« L’observatoire de la Laïcité » qui doit être aussi, en effet, le regard que l’on porte sur la laïcité dans ce pays : afin que vous soyez vigilants pour que le « vivre ensemble » dans ce pays soit défendu et développé, et afin que nous ayons toujours pour horizon non la crainte ou l’exclusion mais la paix et la réconciliation entre les uns et les autres.

Extraits des échanges avec les membres de l’Observatoire de la laïcité Réponse à une question concernant la place des religions dans la société

« Nous ne sommes ni en surplomb de la société pour donner une leçon sur la vérité de Dieu, ni dans le désert où notre parole serait marginalisée : nous sommes dans la société et donc nous prenons le risque, s’il le faut, que notre parole apparaisse parfois peu audible parce que minoritaire.

Depuis une vingtaine d'année a été mis en place le Conseil des Eglises Chrétiennes en France, qui permet aux trois voix principales du christianisme de se retrouver, de même que, pour ce qui est des religions, la Conférence des Responsables des Cultes de France. Ces rassemblements ou instances ne sont pas là pour créer un ‘front des religions’ mais pour permettre et favoriser un échange, un dialogue. »

Réponse à une question concernant le fait que dans certains pays les évangéliques se politisent

« Il est vrai qu’en Amérique latine le protestantisme évangélique a eu tendance à se politiser, mais aujourd'hui sur le terrain social c'est, de fait, souvent lui qui fait avancer les choses. La prise de conscience sociale de ces Eglises a été un marqueur décisif dans ce continent et nul ne leur conteste cet engagement.

Les Eglises évangéliques en France se créent avec des gens comme vous et moi, elles créent des associations et célèbrent des cultes. Elles ne proposent absolument pas une alternative à la République mais dans la République, elles agissent et attestent de leur foi.

Je crois aussi que c'est à la République de trouver les mots justes dans son rapport à la foi et à la spiritualité. Le discours républicain n'est pas, lui non plus, en surplomb du religieux, ni supérieur à lui ni donneur de leçon. On peut évidemment très bien être républicain et être croyant. Faut-il rappeler ici qu'au moment de la Révolution française, 95% de la population était croyante. Et que ce sont donc aussi –et peut-être surtout ?- des croyants qui ont fait la République. »

Réponse à une question concernant l’influence des religions sur le vivre-ensemble

« La religion est comprise comme la possibilité d’un lien entre les hommes et avec Dieu (religare). Mais il semble que le malaise provient parfois aussi du fait qu'une partie de la population n'a pas la possibilité de relier sa vie personnelle ou son itinéraire à l’histoire même du pays. Une population qui n'a pas suffisamment eu l'occasion de relier l’histoire du pays où elle vit à sa propre histoire, à son destin, vit un certain malaise. Cette remarque qui a valu jadis pour le protestantisme (religion souvent perçue à tort comme venant « d’ailleurs », comme le parti de l’étranger ou pire, de l’ennemi – Allemagne, Angleterre, Suisse, États-Unis, et maintenant Afrique !), cette remarque est aussi vraie à propos du judaïsme qui a vécu une histoire douloureuse, avec un rapport complexe aux nations dans lesquelles il s’est déployé, comme à propos de l’islam aujourd’hui qui écrit aussi largement son histoire ici-même, en France…

Le devoir des religions est donc aussi d'arriver à relier et relire (religere) l’histoire dans une cohérence et un projet. Mais il faudrait pour cela qu'elles aient véritablement des lieux pour le dire et le vivre. Il faut donc ne pas hésiter à favoriser la création de ces lieux, à organiser davantage de colloques, d’occasions de rencontres. Je crois qu'il y a de plus en plus un esprit d’ouverture à ce sujet, et je m’en réjouis : la possibilité et les projets concernant l'enseignement du fait religieux, notamment, dans les établissements scolaires, illustrent mon propos.

Un citoyen, qu’il soit religieux ou non, croyant ou non, n'est donc pas une abstraction, mais bien une personne à part entière qui vit et transporte avec elle son histoire, sa généalogie, sa culture et, parfois, au cœur de cette culture, un culte. Ce citoyen n'est pas un républicain ou un citoyen ‘abstrait’ : il est traversé par cette dimension humaine dont l’expression se traduit par une parole qui témoigne et atteste.

C'est l'empêchement de cette parole qui est l’un des facteurs de la crispation actuelle dans notre société. »

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Paris, le 28 janvier 2014

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