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Histoire de la laïcité en France 79

Par M. Jean-Noël Jeanneney, historien, ancien Secrétaire d’État

La « laïcité » est un mot postérieur au concept qui se développe au début des années 1870.

Auparavant, on n’utilisait que l’adjectif « laïque80» . C’est en 1946 et en 1958, qu’apparaît le mot

« laïque » dans la Constitution.

L’évolution du principe de laïcité en France s’est fait d’avancées successives entrecoupées de retours en arrière.

La Révolution française a fait émerger cette notion de laïcité comme« fille des Lumières ».

Les Lumières excluaient tout principe d'autorité du pouvoir ecclésiastique sur les attitudes des sujets. On pense notamment au livre de Nicolas de Condorcet sur« l'esquisse d'un tableau historique des progrès l'esprit humain »(publié après sa mort), qui a eu une influence très nette à son époque et traduisait cette volonté de séparation entre l'Église et l'État.

À l’inverse, Pie VI, devenu pape en 1775, dénonçait en 1789 ce que pouvait« suggérer l'imagination la plus déréglée ».

Le décret du 3 ventôse de l’an III (21 février 1795) de François-Antoine de Boissy d'Anglas, connu pour son combat en faveur des protestants, institue pour la première fois la séparation de l’Église et de l’État et la liberté des cultes et stipule notamment :« nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'un culte, la République n'en salarie aucun ».

Sous Napoléon, en 1801, le Concordat, qui réinstaure le lien entre l'État et la religion, fait du catholicisme la religion, non de l’État, mais« de la majorité des Français ».

Le 19esiècle voit ensuite la laïcité tantôt progresser et tantôt régresser.

En particulier au moment de la Restauration où la religion catholique romaine redevient« religion d'État ».

En 1825, suite à la seconde Restauration, la loi sur le sacrilège est« offerte »à l’Église catholique par le roi Charles X et prévoit la peine capitale pour ceux qui se seraient emparés des hosties :« une expiation nécessaire après tant d'années d'indifférence et d’impiété »déclare le garde des Sceaux, Pierre-Denis de Peyronnet.

L'arrivée de Louis-Philippe et de la monarchie de juillet, entre 1830 et 1848, rétablit le catholicisme comme religion« de la majorité des Français ».

Le dernier roi ayant régné en France, Louis-Philippe, demande en 1833 à son ministre de l’Instruction nationale, François Guizot, d'enjoindre à chaque commune d'ouvrir une école publique avec des

79- Cet exposé s’est tenu lors de la séance du 14 mai 2013 de l’observatoire de la laïcité.

80- M. Jeanneney rappelle que de nombreux chercheurs ont produit des études très utiles sur le sujet, comme M. Émile Poulat ou M. Jean

instituteurs rémunérés par l'État. De même il est demandé que les mariages religieux se fassent après les mariages civils.

Pas en arrière, la Constitution de 1848 se proclame« sous les auspices de l'Église ».

Sous le second empire, Napoléon III ne va pas remettre en cause le Concordat.

Durant les vingt-deux années au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte, il y a trois données majeures : - Le rétablissement, le 4 juillet 1849, du pontificat du pape Pie IX grâce notamment aux troupes françaises.

- La loi Falloux de 1850 qui laisse une place très ample à l’enseignement confessionnel.

Victor Hugo a ce mot resté fameux contre la loi Falloux dans son discours du 20 janvier 1850 :

« Je veux l'État chez lui et l'Église chez elle ».

- Enfin, le Syllabus du 8 décembre 1864 qui fustige la liberté de conscience.

Les principaux opposants à Napoléon III reprennent souvent ce principe de séparation de l'Église et de l'État dans leurs discours (cf. notamment Léon Gambetta dans son« programme de Belleville »en 1869).

C'est dans ce climat que va à nouveau se développer l'idée de séparation des Églises et de l’État, qui sommeillait depuis le décret de Boissy d'Anglas sous la Révolution.

Sous la Commune de Paris, le décret du 2 avril 1871 anticipe largement les termes de la loi du 9 décembre 1905 :« considérant que la liberté de conscience est la première des libertés (...) décrète 1/ L'Église est séparée de l'État 2/ Le budget des cultes est supprimé 3/ Les biens dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriété nationale ».

Le communard Édouard Vaillant rattache le droit à l'instruction à l'idée de laïcité.

L'idée d'émancipation laïque va ici de pair avec le féminisme et la première volonté d'instruction des jeunes filles.

En 1875, Léon Gambetta déclare :« les affaires religieuse sont affaires de conscience et par conséquent de liberté (...) nous voulons que l'État nous ressemble et que la France soit le pays laïque par excellence ».

Lors des différents débats parlementaires au 19eet au début du 20esiècle, tous d’un style soutenu, beaucoup d'orateurs, à gauche comme à droite rappellent les paroles de Jésus : « mon royaume n'est pas de ce monde ». À droite, certains déclarent aussi :« la loi ne peut pas se constituer en juge des offenses envers Dieu ». À gauche, le positionnement se fait davantage du côté des« progrès de l'esprit humain ».

Lors des débats en 1905, il faut noter le souhait de l'Église catholique de ne pas être sujet de l'État. Il faut bien distinguer deux courants au sein du catholicisme français. Charles de Montalembert pensait ainsi nécessaire de séparer l'Église et l'État. Il souhaitait une séparation du spirituel et du temporel pour chaque individu et voulait« laisser les sociétés humaines à l'indépendance de leur destinée temporelle ».

Néanmoins, en 1883, la séparation de l'Église et de l'État n'est toujours pas réalisée. Jules Ferry, président du Conseil, explique alors que« l'infaillibilité pontificale » (défini en 1870 lors du premier concile œcuménique du Vatican) montre aux yeux de tous, à l’époque, le succès de l'ultramontanisme sur le gallicanisme. Selon Jules Ferry, il y a dans ce climat, dans ce contexte, plusieurs options : ou bien l'Eglise devient propriétaire et libre, ou bien elle devient persécutée, ou bien elle demeure salariée et reste sous le régime concordataire. Son choix est celui-ci. La promesse de l'enseignement laïque

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gratuit et obligatoire est, elle, tenue.

L'évolution vers la séparation de l'Église et de l'État est favorisé par trois éléments essentiels : le« ralliement » à la IIIeRépublique du pape Léon XIII en 1890 ; l'affaire Dreyfus (1894-1906) qui a – malgré certains Dreyfusards catholiques – compromis l'Église ; et la rupture en juillet 1904 avec le Vatican (on se souvient de la convocation par le Vatican de deux évêques, sans l'autorisation de l'État, ce qui provoqua la fermeture de l'ambassade de France à Rome en 1904 ; et de la visite du président de la République Émile Loubet au roi Victor-Emmanuel III en Italie sans qu’il ne rende visite au pape).

Également, on connaît le rôle essentiel du protestantisme. On retrouve des protestants autour de Jules Ferry, comme Francis de Pressenssé (président de la ligue des droits de l'Homme). Le rôle de la franc-maçonnerie aussi, du point de vue de la continuité des Lumières du 19ème siècle et sans esprit de vengeance à l'égard de l'Église.

- On pense à Ferdinand Buisson, protestant et franc-maçon.

La loi de 1905 est une des plus grandes batailles politiques de la troisième République et est de très haut niveau. Le« jeu »ne se joue pas à deux camps mais plutôt à trois voire à quatre.

En effet, à gauche, il y a bien deux camps : d'un côté celui d'Émile Combes qui applique les lois de 1901 et 1904 sur le droit des associations et sur la liberté d'enseignement des congrégations religieuses avec intransigeance (seules 5 congrégations d'enseignement sont acceptées sur 60 ; 2.500 établissements d'enseignement privés sont fermés).

On note également, au départ, l’opposition (qui deviendra une alliance) entre Jean Jaurès et Georges Clemenceau sur l'enseignement scolaire : le second veut une loi d'apaisement et non une loi schismatique. Jean Jaurès évoluera ensuite et sera sur la même position. Cette sensibilité schismatique, reprise par le radical Émile Combes, est représentée par le député du Var Maurice Allard, qui souhaite priver l'Église de tous ses biens.

Aristide Briand, soutenu par Jean Jaurès et Georges Clemenceau, défend une autre ligne.

Une ligne de conciliation, avec l'idée de la création des« associations cultuelles ». Cette ligne est aussi celle qui souhaite autoriser l’enseignement confessionnel sans directement le financer.

Georges Clemenceau parle alors de la « paix de consciences libérées ». Aristide Briand dénonce la gauche de Maurice Allard qui veut commettre la même faute que celle de l'Église commise auparavant vis-à-vis de l'État.

Pie X refuse l'idée des associations cultuelles et c'est seulement après la guerre, en mai 1921, sous le pontificat de Benoît XV, que les liens diplomatiques avec le Vatican sont rétablis, permettant que la papauté accepte bientôt le principe des associations cultuelles, devenues« diocésaines »et désormais soumises à l'autorité des évêques.

On voit ensuite se développer un certain apaisement, même si, bien entendu, des difficultés persistent toujours.

Une anecdote : en 1919, certains cardinaux s’étonnent que l'État ne remercie pas Dieu de la victoire française. Le président du Conseil, Georges Clemenceau, leur répond alors que« jamais les Français ne sont empêchés de remercier Dieu s'ils le souhaitent ».

La laïcité, une étrangeté française

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