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Le principe de la liberté de refuser de créditer

L’ANTICIPATION DE LA FORMATION DU CONTRAT DE PRET EN CAS DE COMPORTEMENT FAUTIF DU BANQUIER

A) Le principe de la liberté de refuser de créditer

118. Un certain nombre d’opérations bancaires diverge du modèle contractuel de droit commun en ce que l’intuitu personae y est particulièrement marqué. La relation entre le banquier et le client étant avant tout une relation de confiance. Ainsi si le droit commun du contrat de prêt n’est pas foncièrement marqué par le sceau de la confiance, il en va autrement du contrat de prêt bancaire. En effet le prêteur peut ne pas répondre à une sollicitation de

l’éventuel emprunteur. C’est uniquement après examen de sa situation personnelle, que la confiance sera donnée à celui-ci, et le prêt accordé. Au surplus, l’octroi des fonds est conditionné à une capacité suffisante de remboursement, ce qu’illustre le devoir de vigilance132 du banquier quand il prête les fonds déposés. En effet, il ne doit pas les engager avec légèreté, sous peine de voir sa responsabilité encourue, précisément pour le cas où l’emprunteur ne saurait pouvoir rembourser les fonds prêtés133.

119. Il n’y a donc pas de droit au crédit134. Cette règle est réaffirmée par une réponse ministérielle135 et trouve écho en jurisprudence136. Et cette position trouve une illustration légale, aux termes de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, en son article 47, qui prévoit que le banquier qui n’accepte pas la garantie sur un bien nécessaire à l’exploitation proposée par l’entrepreneur individuel, peut renoncer à consentir le crédit sans que sa responsabilité soit mise en cause.

120. Il a cependant été soutenu par un auteur, M. BONNEAU137, qu’un droit crédit aurait été consacré par la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 avec l’article L. 511-10 du Code monétaire et financier. En vertu de ce texte, « pour fixer les conditions de son agrément, le Comité des établissements de crédit (…) peut prendre en compte la spécificité de certains établissements (…) appartenant au secteur de l’économie sociale et solidaire. Il apprécie notamment l’intérêt de leur action au regard (…) de la reconnaissance effective d’un droit au crédit ». Le texte semble évoquer l’existence d’un droit au crédit, qu’en penser ?

121. La jurisprudence la plus récente tend à infirmer cette hypothèse, dans un arrêt rendu dans « l’affaire Tapie »138. La Cour d’affirmer que « le banquier est toujours libre, sans

132 Le devoir de vigilance est défini par la jurisprudence comme l’obligation de procéder pour le banquier à certaines vérifications et à refuser de participer à certaines opérations. La finalité est d’instaurer une norme d’appréciation du caractère normalement diligent du professionnel. V. T. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 7ème éd., 2007, n° 408.

133 V. ainsi T. BONNEAU, op. cit., n° 737.

134 De nombreux auteurs penchent pour cette solution, notamment Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit bancaire, Litec, n°368-6 ; F. GRUA, Contrats bancaires, Economica, 1990, n° 233 ; T. BONNEAU, op. cit., n°

490.

135 JO Sénat, CR 1992, p. 2181

136 Pour une illustration, V. Cass. Com., 2 juill. 2002, BRDA 2002, n° 15, p. 9.

137 T. BONNEAU, Du droit au crédit, RD bancaire et financier, 2002, n° 1, p.3

138 Ass. plén., 9 oct. 2006, n° 06-11.056 et n° 06-11.307, Sté CDRR créances et Sté Le Crédit Lyonnais c/

SELAFA MJA ès qual., D. 2006, AJ p. 2525, obs. X. DELPECH ; JCP éd. G 2006, II, 10175, note T.

BONNEAU ; JCP E 2006, p. 2618, note A. VIANDIER ; RD banc. fin. nov.-déc. 2006, p. 25, note C. KLEITZ ; Gaz. Pal. 11 oct. 2006, n° 284, p. 20 ; Bull. Joly 2007, p. 57, note F.-X. LUCAS ; D. 2007, p. 753, obs. D.-R.

avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire ». A priori, la solution tombe sous le coup du bon sens qui se justifie au regard de l’autonomie de la volonté139.

Il convient toutefois de justifier l’absence de droit au crédit : deux éléments de réflexion doivent nous faire penser que l’article L. 511-10 ne reconnaît pas un droit au crédit en tant que tel. Tout d’abord, l’objectif du texte est de permettre le développement des établissements qui ont finalité à répondre aux besoins des personnes défavorisées en délivrant un agrément à ces établissements suivant des considérations d’ordre social. Il s’agit de développer une politique de crédit aux caractéristiques suffisamment variées pour ne pas exclure une partie de la clientèle des banques.

Conséquemment, et en second lieu enfin, cela conduit à opérer une distinction entre l’impératif de développer le recours au crédit pour une partie de cette clientèle qui n’y a habituellement, pour des raisons financières ou médicales, pas droit140 et un quelconque droit au crédit que le client pourrait opposer à son banquier. L’on doit alors distinguer nettement le

« droit à un certain crédit », conditionnel, du « droit à un crédit certain » qui n’existe pas.

La question de l’accès au crédit n’implique que le client y ait droit sans conditions : ainsi sera-ce notamment le cas lorsque sa solvabilité fait craindre la défaillance de ce dernier dans le remboursement du prêt.

122. Pour autant, le devoir de vigilance justifie conduit à refuser l’octroi d’un prêt141 sous prétexte que l’emprunteur n’a pas une solvabilité satisfaisante. L’on peut alors se poser

MARTIN ; RDT civ. 2007, p. 115, note J. MESTRE, B. FAGES ; RTD civ. 2007, p. 148, note P.-Y. GAUTIER ; RTD com. 2007, p. 207, note D. LEGEAIS ; RDI 2007, p. 408, obs. H. HEUGAS-DARRASPEN.

139 Ce bon sens se justifie d’ailleurs tout autant par l’ancienneté du principe de l’autonomie de la volonté que par sa manifestation actuelle dans la lettre de l’article 1134 du Code civil. Ainsi, E. KANT, déjà, évoquait ce principe dans sa Critique de la Raison Pure, 1781.

140 V. ainsi, la loi n° 2007-131 du 31 janvier 2007, publiée au JO du 1er février 2007, p. 1945, relative à l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé. Initiée par la convention AERAS signées par les banques, cette loi assouplit l’accès au crédit aux personnes à la santé fragile en prévoyant notamment la suppression d’un questionnaire de santé pour les crédits à la consommation affectés quand l’emprunt, contracté par une personne de moins de cinquante ans pour une durée supérieure à quatre ans, ne dépasse pas quinze milles euros : V. art. L. 1141-2 du Code de la santé publique.

141 Si le devoir de vigilance conduit le banquier, en bon professionnel, a devoir se renseigner sur les affaires de son client et avoir le discernement suffisant pour apprécier les risques de l’opération que souhaite réaliser son client, il n’est pas toujours aisé de déterminer s’il peut ou non, en vertu de ce devoir, refuser de consentir un concours financier. Certains le pensent, V. notamment R. ROUTIER, Obligations et responsabilité du banquier, Dalloz Référence, 2ème éd., 2008, p. 519, n° 362.21 ; d’autres non, V. ainsi JCP éd. E 2006, 1522, note D.

LEGEAIS qui affirme que « le crédit, même excessif, peut être accordé à la condition que le client ait été alerté et qu’il ait accepté le risque ». V. spécialement nos développements sur cette question, infra n° 487.

la question de savoir si le banquier peut refuser pareillement son concours à un emprunteur solvable.

L’hypothèse est celle d’un emprunteur à qui on refuse l’octroi d’un emprunt bien que le client dispose de revenus suffisants pour honorer le remboursement du prêt. La liberté de refus se justifie-t-elle encore ? Le principe est que le banquier conserve le droit d’accorder ou pas les fonds, sans que la situation personnelle de l’emprunteur ne puisse imposer l’octroi des fonds. Il peut refuser de prêter à un client solvable comme il pourra créditer, non sans risque, un client à la solvabilité incertaine. Cette faculté d’accorder un crédit est discrétionnaire142. Le client, même solvable, n’est donc pas protégé contre le refus du banquier de le créditer.

La liberté de refuser un concours nous semble émaner de l’intuitu personae qui teinte la relation contractuelle liant les parties.

123. Toutefois cette liberté n’est pas sans limites, et nous amènent à nous interroger sur la pertinence du refus lorsque celui-ci ne semble pas justifié. Il pourrait être en effet possible, à première vue, de fonder le refus de créditer sur le modèle du refus de vente.

L’article 30 de l’ordonnance du 30 décembre 1986, devenu l’article L. 122-1 du Code de la consommation, dispose qu’ « il est interdit de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime ».

L’analogie avec le refus de vente est pertinente. Le motif légitime qu’évoque l’article L. 122-1 pourrait être, transposé dans la matière bancaire : ce motif légitime résiderait dans le doute émis par le prêteur sur la solvabilité de son emprunteur, il pourrait alors lui refuser le concours demandé, et a contrario ne pourrait s’opposer alors à créditer un client solvable. La logique, mais aussi l’équité, sembleraient a priori commander la solution. Cette solution se rapprocherait de celle admise en droit des assurances qui est une activité subordonnée au respect des dispositions de l’ordonnance du 1er décembre 1986143, et notamment à celle issue de l’article 30 applicable au refus de vente.

142 L’expression a d’ailleurs déjà été évoquée en jurisprudence, pour un exemple flagrant, V. CA Paris, 10 mars 1989, Banque 1999, obs. J.-L. RIVES-LANGE, dans lequel l’expression « droit discrétionnaire » est mentionnée.

143 Cass., crim., 12 févr. 1990, n° 89-90.815, D. 1991, somm. p. 247, obs. Ch. GAVALDA et C. LUCAS DE LEYSSAC.

124. Cela reviendrait à consacrer, de manière générale, un droit au crédit, comme un droit au compte est déjà reconnu par l’article L. 312-1 de Code monétaire et financier144.

Cependant le crédit est une activité autrement plus risquée que la simple tenue d’un compte, tant pour le banquier que pour son client : l’un risque de ne pas pouvoir restituer les fonds prêter si sa situation se dégrade, et l’autre pâtira de ce risque. Enfin, calquer le refus de vente à l’hypothèse du refus de créditer engendrerait un contentieux qui se cristalliserait sur la notion de « motif légitime » pour justifier le refus. Et l’on peut penser, d’après la relation liant les parties, que la perte de confiance suffirait, à elle seule, à satisfaire à ce motif légitime. Le client n’aurait alors jamais aucune chance de prouver que la confiance existe toujours, puisque par essence, la confiance relève de la conscience de chacun. La perte de confiance est donc suffisante pour refuser de créditer.

C’est d’ailleurs ce qui, en pratique, justifie le refus opposé à un emprunteur solvable, dont ses revenus dépassent de loin le montant des mensualités de remboursement, lorsque l’endettement total est de moins d’un tiers des revenus de cet emprunteur. L’application du mécanisme consumériste de l’article L. 122-1 paraît donc ne pouvoir se justifier au refus de

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