• Aucun résultat trouvé

La survivance du contrat lors de la rupture abusive de crédit

L’ANTICIPATION DE LA FORMATION DU CONTRAT DE PRET EN CAS DE COMPORTEMENT FAUTIF DU BANQUIER

B) La survivance du contrat lors de la rupture abusive de crédit

157. La sanction de la rupture abusive de crédit tirée du droit commun -. Il est question ici de la sanction de la rupture abusive de crédit. Le droit commun de la responsabilité conduirait le banquier, en présence d’un préjudice subi par l’emprunteur, à réparer ce préjudice au regard de l’article 1147 du Code civil. En effet, la faute commise par le débiteur de l’obligation mal exécutée réside justement dans le non respect de l’impératif de bonne foi au stade de l’exécution du contrat, qui impose le préavis au profit du crédité. La responsabilité civile contractuelle peut alors servir de fondement à une action en responsabilité contre le banquier. La victime de la rupture abusive n’aura alors qu’à apporter l’existence d’un préjudice à son encontre et la preuve de l’absence de préavis. Au contraire, le droit spécial encadrant la rupture du crédit prévoit une sanction spécifique, celle du rétablissement du concours abusivement rompu. L’article L. 313-12 du Code monétaire et financier a repris cette sanction aux termes de son alinéa 3. Ainsi cet article prévoit que la responsabilité pécuniaire de l’établissement de crédit est engagée en cas de préjudice.

158. La jurisprudence applique cette disposition avec rigueur208 en allouant des dommages-intérêts à l’emprunteur209. Cette rigueur s’apprécie d’ailleurs moins au regard de son principe qu’à celui de la diversité des cas dans lesquels la responsabilité est encourue : cette responsabilité est donc large. Ainsi, lorsque la rupture du concours entraîne la procédure collective du débiteur, le prêteur est tenu de réparer le préjudice résultant de l’aggravation du passif ou de l’insuffisance d’actif210. La caution peut pareillement rechercher la responsabilité de la banque lorsque cette caution, appelée en garantie répond de la dette aggravée du débiteur principal211. Sur ce point, il convient de préciser que cette responsabilité n’est pas tant fondée sur un appel en garantie anticipé, causée par la faute du banquier, mais est davantage fondée sur l’étendue du passif garanti qui s’est accru par sa faute : la faute à l’égard du garant réside dans le fait que ce dernier, par le fait du prêteur, devra plus. Pour la caution, le préjudice est donc pécuniaire. A contrario, si le banquier résilie le concours de manière fautive, sans préavis, et que cette rupture n’emporte aucune aggravation du passif du débiteur, la caution ne pourrait, selon nous, se prévaloir de cette rupture fautive. En

208 Cass. com., 31 mars 1992, JCP éd. G 1992, IV, 1615, p. 177 ; Cass. com., 18 mai 1993, JCP éd. E 1993, pan.

894, p. 285 ; LPA, n° 149, 13 décembre 1993. 16, note COURTIER.

209 Cass. com., 13 janv. 1987, RD bancaire 1987, p. 53, obs. F-J. CREDOT et Y. GERARD.

210 Pour une illustration, V. Cass. com., 21 juin 2005, n° 02-17.721, Gaz. proc. coll. 2005/3, 4-5 nov. 2005, p. 45, obs. R. ROUTIER.

211 Cass. com., 21 juin 2005, n° 03-18.595, RD banc. Fin. sept.-oct. 2005, p. 21, obs. D. LEGEAIS.

effet, la responsabilité étant une responsabilité pour faute, à défaut de préjudice pour la caution, celle-ci ne paraît pas pouvoir se prévaloir d’une résiliation sans préavis. La caution ne pourrait pas davantage opposer au banquier la déchéance anticipée du terme convenu au contrat de cautionnement, laquelle déchéance est causée par la défaillance du débiteur perdant ses concours. Il en serait ainsi car, en toute hypothèse, la caution s’est engagée, pour le cautionnement de dettes déterminées, à garantir pour celles-ci dans leur totalité. Au demeurant, l’extension de la déchéance du terme à la caution étant une clause de style dans les contrats de cautionnement bancaire, cette caution est parfaitement informée de la possibilité de répondre précocement des dettes garanties. Celle-ci ne pourrait pas se prévaloir d’un quelconque préjudice. En effet, la caution ne doit pas plus, elle doit simplement honorer plus tôt son engagement. L’aggravation de la dette du débiteur principale semble donc être la pierre angulaire de la responsabilité du banquier envers la caution.

159. C’est sur ce fondement que la caution pourra engager la responsabilité du banquier. Mais ce n’est pas le seul. La perte de chance a ainsi pu être prise en compte212 pour une caution qui a perdu toute possibilité de ne pas être actionnée : le banquier rompant le concours, n’a pas laissé suffisamment de temps au débiteur pour trouver un autre prêteur, ce qui oblige le créancier à actionner la caution alors que cette dernière aurait pu ne pas être appelée en garantie. Toutefois cette solution n’emporte pas notre adhésion. Si les juges du fond ont déjà pu utiliser la notion de « perte de chance » pour réparer un préjudice subi par une caution qui ne pouvait plus résilier son engagement à durée indéterminée de garantir des dettes213, c’est avant tout sur la sanction de l’inexécution d’une obligation légale d’information que ces mêmes juges se sont fondés, ce qui peut enjoindre à relativiser la solution pour la perte de chance. Toutefois, la réparation du préjudice subi par le crédité ne s’opère pas que sur le seul plan pécuniaire.

160. La sanction spécifique du rétablissement du crédit en droit spécial -. Une sanction plus originale, que le droit commun ne connaît pas, réside dans le rétablissement du concours résilié. Celle-ci, plus radicale aussi pour le créancier, vient consacrer un cas d’atteinte à la liberté de contracter, puisque ce dernier sera contraint de prolonger une relation contractuelle dont il avait la possibilité de se départir au regard de la prohibition des

212 CA Paris, 27 janv. 1995, JCP éd. E 1995, pan. 800.

213 CA Lyon, 6 févr. 2003, n° 2001/07579 relatif à la perte de chance d’une caution de bénéficier de la faculté de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier relatif à la résiliation du contrat de cautionnement à durée indéterminée.

engagements perpétuels. En effet, la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique instaure, par le biais de l’alinéa 1er de l’article L. 313-12, la nullité de la rupture abusive du concours. Le banquier ne pourra alors rompre tout concours qu’en respectant le préavis et sa notification. La démarche optée par le législateur est particulière : elle consiste à prévenir l’existence d’un préjudice pour le crédité, plutôt qu’à le réparer par l’allocation de dommages et intérêts consécutivement à la rupture du concours financier. Précisément, si l’indemnisation du préjudice aurait suffi à compenser les dommages subis par l’emprunteur lors de la décision litigieuse de la banque, il n’en apparaît pas moins que le rétablissement du concours plaide faveur de l’efficience économique. Lourde pour le prêteur, la réparation ne compense pas tous les dommages annexes tels que la perte de clients importants, l’ouverture d’une procédure collective ou encore l’incidence sur l’emploi que pourrait engendrer la situation compromise de l’entreprise. A tout le moins, le rétablissement du crédit opère une remise en l’état de la situation du débiteur antérieurement à la décision de rupture. Comme l’expose le professeur BONNEAU214 pour le cas de l’ouverture de crédit, « si la rupture […]

est abusive, la banque doit tenir sa promesse », si bien qu’il doit honorer son engagement.

161. Si la sanction de l’article L. 313-12 apparaît comme originale, elle n’en est pas pour autant novatrice : déjà, le juge des référés s’est reconnu compétent pour ordonner le rétablissement du crédit rompu, en s'appuyant sur les articles 809 alinéa 1er et 873 du Nouveau code de procédure civile qui permettent au président, même en présence d'une contestation sérieuse, de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite215 : c’est notamment le cas lorsque le rétablissement du concours permet au débiteur d’éviter la réalisation d’un préjudice née de l’absence de liquidité suffisante.

162. La sanction du rétablissement de crédit, aux termes de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier, est une sanction originale. Elle se rapproche de ce que connaît le droit du travail, à l’article L. 1235-3 du Code du travail, vis-à-vis du licenciement sans cause réelle et sérieuse avec la procédure de réintégration du salarié216. Certes, ces deux techniques de protection n’ont pas la même inspiration, l’une, en droit social, relève de l’ordre public de protection, l’autre, en droit du crédit, sanctionne le comportement fautif du contractant qui n’a

214 T. BONNEAU, op. cit., n° 506.

215 Cass. com., 14 févr. 1989, n° 87-14.564 et n° 87-14.629, RTD com. 1989, p. 507, obs. M. CABRILLAC et B.

TEYSSIE ; Cass. com., 3 déc. 1991, n° 90-13.714, RJDA 1992, n° 1, n° 63 ; Banque 1992, p. 734, note J.-L.

RIVES-LANGE.

216 V. J. DJOUDI, Les nullités dans les relations individuelles de travail, D. 1995, p. 192.

pas satisfait à l’exigence de bonne foi lors de l’exécution du contrat. Elles aboutissent cependant à la même finalité, prolonger un contrat qui a été résilié unilatéralement, conformément au droit qu’a ce contractant de ne pas être lié perpétuellement si le contrat est à durée indéterminée, ou de résilier pour motif jugé légitime s’il est à durée déterminé. Cette faculté de résiliation, que cela soit pour un motif lié à la relation de travail, l’inaptitude217 par exemple, ou l’insolvabilité prévisible de l’emprunteur, n’exclut toutefois pas l’idée de faute, laquelle se matérialise, pour le crédit, par le non respect des dispositions de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier.

163. Sévère, cette sanction procède, selon nous, de la volonté du législateur de privilégier le « moindre mal ». Il est en effet préférable économiquement de prolonger une relation contractuelle contre la volonté du prêteur plutôt que d’engager la responsabilité de ce dernier pour le cas où la rupture de crédit engendrerait l’ouverture d’une procédure collective envers l’emprunteur. Toutefois, nous pensons que le prêteur n’est pas pour autant protégé s’il doit prolonger la relation contractuelle et que le soutien aboutit, rapidement, avant qu’il ait pu reprendre une procédure de rupture du soutien exempte de fautes, à la déconfiture du client.

En ce sens, le nouvel article L. 650-1 qui protège le prêteur, nous le reverrons, n’a pas vocation, à nos yeux, à s’appliquer dans ce cas. L’insertion de cet article dans la Chapitre relatif aux difficultés des entreprises nous incline à penser que le domaine d’application de cet article se limite aux concours fournis aux entreprises déjà en difficultés. Le crédit ruineux, celui qui engendre la situation irrémédiablement obérée de l’emprunteur, postérieurement à la conclusion du contrat218, nous semble exclu du dispositif de la loi du 26 juillet 2005. Ce serait alors une hypothèse dans laquelle, le prêteur, toujours lié par le contrat, engagerait sa responsabilité pour fourniture inadaptée. Le seul moyen de défense serait celui offert par l’alinéa 2 de l’article L. 313-12 qui autorise une rupture brutale si la situation de l’emprunteur est « irrémédiablement compromise ». Faut-il encore que ce prêteur puisse déceler cette situation. Nous ne doutons pas du caractère délicat de cette appréciation, d’autant plus que le prêteur prend le risque de rompre un concours et que cette décision lui sera reprochée si la situation de l’emprunteur n’est pas désespérée. Il ne peut être alors conseillé au banquier que s’informer avec précision, comme le devoir de mise en garde le lui impose, de la situation réelle de son cocontractant. Prudent, et de nature à restreindre de manière globale, l’accès au

217 Sur l’inaptitude, V. F. HEAS, Les conséquences de l’inaptitude sur l’emploi du salarié, JCP éd. S, 6 déc.

2005, n° 30, 1395.

218 V. en ce sens pour une distinction entre crédit ruineux et soutien abusif, J. MOURY, La responsabilité du fournisseur de "concours" dans le marc de l'article L. 650-1 du code de commerce, D. 2006, p. 2883.

crédit pour les entreprises, ce comportement évitera au prêteur de tomber de Charybde en Sylla219, d’une responsabilité pour rupture abusive de crédit à un soutien fautif de celui-ci.

164. La responsabilité du banquier, lors de l’octroi des concours illustre la protection de l’emprunteur fondée sur l’anticipation du contrat. Loin de fonctionner à sens unique, ce mécanisme témoigne, à l’image de la stipulation d’une condition suspensive de réception des fonds lors de la conclusion d’un contrat de vente, cette protection semble pouvoir jouer en sens inverse, par des mécanismes de protection retardant la perfection de l’acte. Il en irait de même de ceux paralysant les effets de l’acte quand l’obligation d’une partie sera suspendue à la survenance d’un événement, lequel pouvant apparaître indispensable pour l’exécution des obligations de l’autre partie.

Outline

Documents relatifs