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Le consentement comme élément de formation du contrat de prêt

LA PROTECTION PAR LA FORMATION SOLO CONSENSU DU CONTRAT DE PRET

A) Le consentement comme élément de formation du contrat de prêt

33. Le rôle pris par l’échange des consentements dans la formation du contrat de prêt s’explique par l’éviction progressive de la remise de la chose comme critère de formation de ces contrats (1°). Si le consensualisme vise notamment à protéger le client du banquier, spécialement en matière de prêt en permettant à celui-ci d’être créancier d’une obligation de remise des fonds, il a pour conséquence de modifier les solutions sur le terrain de la preuve de l’existence du contrat (2°).

1° L’éviction du rôle classique de la remise des fonds

34. Evoquer la remise des fonds dans l’opération de crédit implique tout d’abord de présenter cette notion d’« opération de crédit ». Le terme de crédit désigne une pratique, à l’origine comptable. Le législateur en a fait une notion juridique et définit cette opération à l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier. « Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie. » De ce texte il ressort que l’opération de crédit peut revêtir trois formes : l’octroi d’un délai de paiement, l’engagement de garantir une dette ou enfin la mise à disposition de fonds, au travers d’une ouverture de crédit au profit du client. Cette mise à disposition de fonds est polymorphe, elle regroupe notamment la cession Dailly, l’escompte, l’affacturage, le crédit-bail, le découvert en compte courant, etc. Alors que l’opération de crédit constitue un terme générique pour qualifier

l’opération en vertu de laquelle le client bénéficie d’un financement, le terme « ouverture de crédit » se rattacherait à l’opération juridique permettant au client de bénéficier de l’engagement du banquier de lui déposer les fonds. Toutefois, le législateur, au contraire de la jurisprudence48, ne retient jamais cette expression d’« ouverture de crédit ». La loi n’a donc jamais défini cette notion.

35. La lecture de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier semble cependant donner quelques indications sur la nature de l’ « ouverture de crédit » : le choix des termes

« met ou promet de mettre des fonds à la disposition » du client nous incite à penser que l’ouverture de crédit s’analyserait en une promesse de contracter. La conception traditionnelle du contrat de prêt comme contrat réel conduirait à la même solution : le contrat se formant par la remise de la chose, le banquier, dès l’ouverture, ne serait créancier que d’une obligation de faire. Il aurait l’obligation de répondre à son client et s’engage au terme d’une promesse de délivrer les fonds pour le cas où ce dernier lève l’option.

L’engagement du prêteur ne serait pas donc définitif, et ne l’engagerait alors nullement à délivrer la chose promise, mais seulement à répondre au client qui lève l’option.

La promesse de crédit peut donc analysée en une mise à disposition future de fonds49. La Cour de cassation confirme cette analyse dans un arrêt du 21 janvier 200450. L’attendu, limpide, expose que « l'ouverture de crédit, qui constitue une promesse de prêt, donne naissance à un prêt, à concurrence des fonds utilisés par le client ». La doctrine, qui avait déjà pu pencher auparavant pour la même analyse, confirme cette solution51.

Il convient alors de distinguer, au terme de cet arrêt, les notions de « crédit » et d’« ouverture de crédit » : d’après l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier, l’ouverture de crédit, par le biais de la promesse de remise de fonds, est une forme

48 A titre d’illustration, V. ainsi Cass. com., 24 sept. 2003, n° 00-19.067, Bull. civ. IV, n° 136 ; D. 2003, AJ, p.

2568 ; JCP éd. E 2004, n° 6, p. 231, note G. LAMORIL ; Banque et Droit nov.-déc. 2003, n° 50, obs. N.

RONTCHEVSKY ; Banque et Droit janv.-févr. 2004, n° 56, obs. T. BONNEAU ; RJDA 2004, n° 227 ; Dr.

sociétés 2004, n° 52, obs. F.-G. TREBULLE ; Bull. Joly 2003. 1260, note J.-F. BARBIERI.

49 T. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 7ème éd., 2007, n° 502.

50 Cass. com., 21 janv. 2004, Bull. civ. IV, n° 13 ; Banque et droit, n° 95, mai-juin 2004, n° 50, obs. T.

BONNEAU ; LPA 9 févr. 2004, p. 5, rapport M. COHEN-BRANCHE ; JCP éd. G 2004, II, 10062, note S.

PIEDELIEVRE ; JCP éd. E, n° 649, note O. SALATI ; JCP éd. E, n° 736, obs. J. STOUFFLET ; RTD com.

2004, p. 352, obs. D. LEGEAIS ; D. 2004, jur. p. 1149, note C. JAMIN ; RD bancaire et fin. mai-juin 2004, n°

178, obs. F.-J. CREDOT et Y. GERARD ; RJDA juin 2004, n° 744. V. aussi. D.-R. MARTIN, De l’ouverture de crédit, RD bancaire et fin. mars-avr. 2004, n° 134 ; Y. TCHOTOURIAN, L’engagement pris par l’emprunteur d’utiliser le crédit que la banque met à sa disposition constitue-t-il le nouveau critère de la distinction du prêt et de l’ouverture de crédit ?, RJDA juill. 2004, p. 731.

51 F. GRUA, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n° 324 ; Ch. GAVALDA et J.

STOUFFLET, Droit bancaire, Litec, 7ème éd., 2008, n° 3621 ; pas plaire à tout le monde.; S. PIEDELIEVRE, Droit bancaire, PUF Thémis, 2003, n° 414 ; T. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 7ème éd., 2007, n° 502.

d’opération de crédit. Le crédit est donc une notion plus vaste qui comprend l’ouverture de crédit. Techniquement, cette ouverture a pu être vue comme « le droit pour le banquier à consentir »52.

36. L’ouverture de crédit engendre donc au profit du client une promesse de prêt, qui ne devient un contrat de prêt qu’une fois la remise des fonds effectuées. Cette conception respecte, comme DARTIGUELONGUE a pu le montrer « le caractère réel du contrat de prêt, tel que l’a nettement déterminé, l’article 1892 du Code civil »53 .

Précisément, cet article dispose que « le prêt de consommation est un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité ».

Cet article renseigne sur la nature du contrat de prêt : l’emploi de l’expression « livre à autrui une certaine quantité de choses » ne laisserait que peu de doute quant à la nature réelle du contrat. C’est ainsi la remise d’une chose qui est la prestation caractéristique de ce contrat54. Aucun élément du contrat autre que la remise des fonds ne pourrait influencer la nature du contrat de prêt : peu importe alors l’objet sur lequel porte le contrat de prêt, que cela soit un prêt d’argent ou un prêt d’un bien meuble. Aux termes de l’article 1892 du Code civil, tous les contrats de prêts auraient vocation à se former re.

37. Toutefois, l’étude de la législation sur certaines opérations spécifiques de crédit semble remettre en cause cette analyse traditionnelle. Précisément, l’article L. 311-15 du Code de la consommation, relatif au crédit à la consommation, dispose que « lorsque l’offre préalable ne comporte aucune clause selon laquelle le prêteur se réserve le droit d’agréer la personne de l’emprunteur, le contrat devient parfait dès l’acceptation de l’offre préalable par l’emprunteur ». Cette disposition diverge de la conception réelle du contrat de prêt que l’on présente traditionnellement. Selon cet article L. 311-15, le contrat se forme par la rencontre des volontés et non plus par la remise de la chose, puisque c’est l’acceptation de l’offre qui entraîne la perfection de l’acte. Il s’agit donc ici d’une exception spéciale de la loi au caractère réel du contrat de prêt du Code civil.

52 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 2, LGDJ, 17ème éd., 2004, par Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, t. 2, n° 363 ; J. ESCARRA, Principes de droit commercial, t. 6, p. 479 ; J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, Dalloz, 1995, n° 363.

53 B. DARTIGUELONGUE, L’ouverture de crédit, th. Paris, 1938, p. 10.

54 B. DARTIGUELONGUE, op. cit., p. 10.

Le crédit à la consommation n’est pas le seul à connaître cette exception à la conception réelle du prêt, il semble en être de même pour le crédit immobilier, mais de manière moins flagrante. Le législateur est intervenu pour protéger l’emprunteur contre les dangers supposés du crédit immobilier. Le texte fondateur est issu de la loi du 13 juillet 1979, devenu les articles L. 312-1 à L. 312-36 du Code de la consommation. L’article L. 312-11 renseigne sur la nature du contrat de prêt immobilier, et fait de l’échange des consentements un élément fondamental du crédit immobilier. Celui dispose en effet que « jusqu'à l'acceptation de l'offre par l'emprunteur, aucun versement, sous quelque forme que ce soit, ne peut, au titre de l'opération en cause, être fait par le prêteur à l'emprunteur ou pour le compte de celui-ci, ni par l'emprunteur au prêteur. Jusqu'à cette acceptation, l'emprunteur ne peut, au même titre, faire aucun dépôt, souscrire ou avaliser aucun effet de commerce, ni signer aucun chèque. Si une autorisation de prélèvement sur compte bancaire ou postal est signée par l'emprunteur, sa validité et sa prise d'effet sont subordonnées à celle du contrat de crédit ». L’acceptation de l’offre préalable conditionne donc l’exigibilité des obligations des parties. Or conditionner l’exigibilité d’obligations contractuelles implique le contrat soit déjà formé, et si la remise des fonds n’a pas encore eu lieu, c’est que seul l’échange des volontés a suffit à la perfection de l’acte, si bien que le contrat ne peut se former que solo consensu.

38. Il semble donc que l’acceptation de l’emprunteur soit, de manière similaire pour le contrat à la consommation, l’élément qui forme le contrat. En effet si l’emprunteur ne peut procéder à aucun versement tant que son acceptation n’a pas été donnée, l’on doit alors considérer que le législateur subordonne l’exigibilité de cette obligation à la manifestation de son accord à l’offre de prêt. La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé, dans un avis du 9 octobre 199255 et par un arrêt du 27 mai 199856, que « les prêts régis par les articles L. 312-7 et s. du Code de la consommation n’ont pas la nature de contrat réel ». Sans pour autant le mentionner expressément, le législateur a donc calqué le régime du crédit immobilier sur celui du crédit à la consommation. Le propos n’est guère surprenant. En effet ces deux régimes visent la protection de l’emprunteur non professionnel57, ce qui exclue alors l’emprunteur professionnel. L’opposition avec la conception du contrat de prêt retenue par le

55 Cass. avis, 9 oct. 1992, Bull. avis, n° 4 ; D. 1993, somm. p. 188, obs. P. JULIEN, 6ème espèce.

56 Cass. civ. 1ère, 27 mai 1998, D. 1999, jur. p. 194 ; D. 1999, somm. p. 28, obs. N. JOBARD-BACHELIER ; Defrénois 1999, p. 21, obs. S. PIEDELIEVRE ; D. 2000, jur. p. 50.

57 L’on rapprochera dans les deux régimes les cas d’exclusion du professionnel visés aux articles L. 311-3 pour le crédit à la consommation et L. 312-3 pour le crédit immobilier.

Code civil est patente. La remise de la chose, objet du contrat, les fonds, devient une obligation d’un contrat déjà née. Les conséquences du caractère consensuel du contrat ne touchent d’ailleurs pas que l’exigibilité des obligations de l’emprunteur, celles-ci ont un impact sur le terrain de la preuve.

2° L’influence du consensualisme sur la preuve du contrat

39. Dans les contrats qui ne sont pas régis par le Code de la consommation ou qui ne sont pas conclus avec des professionnels du crédit58, la remise de la chose est, en plus de former le contrat, un moyen de prouver pour le prêteur l’existence de la convention de prêt.

Lorsque d’un créancier remet des fonds à un client, il aura ainsi tout intérêt de prouver qu’il s’agit d’un prêt pour bénéficier du paiement des intérêts.

En pratique, la question se pose souvent lorsque qu’un créancier remet un chèque à un débiteur et qu’il invoque l’existence d’un contrat de prêt. Pour la jurisprudence, la seule remise de la chose, par l’endossement d’un chèque par exemple, ne vaut pas preuve du contrat de crédit, mais simplement commencement de preuve59.

40. Pour les contrats se formant par la traditio, cette solution est conforme à l’orthodoxie juridique. Il convient de rappeler au regard de l’interdiction de se constituer des preuves à soi-même, que le prêteur ne peut invoquer un écrit émanant de lui-même. Par un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation semble confirmer le propos en ces termes : « l'écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s'en prévaut ».

Conséquemment, la preuve du contrat de prêt régi par le Code civil nécessite alors la démonstration de l’existe d’une remise des fonds certes, mais aussi de la cause de cette remise. C'est-à-dire la volonté de fournir une chose à charge pour l’autre partie de la restituer.

Cette preuve de la restitution est importante car il en est qui sont à titre gratuit, pour la donation, d’autres à titre onéreux, pour le prêt d’argent. Enfin si la restitution n’existe pas,

58 La Cour de cassation a étendu le caractère consensuel à tous les contrats de prêt consentis par des professionnels, peu important l’objet de ceux-ci, V. infra n° 77 ; V. notamment en ce sens pour l’arrêt de principe : Cass. civ. 1ère, 28 mars 2000, Bull. civ. I, n° 105, p. 70 ; JCP 2000, II, 10296, concl. Avocat général J.

SAINTE-ROSE; JCP N, 2000, p. 1270, note D. LOCHOUAM; Contrats, conc., consom. 2000, comm.. n° 106, obs. L. LEVENEUR; Defrénois 2000, art. 37188, n° 41, obs. J.-L. AUBERT; D. 2000, jur. p. 482, note S.

PIEDELIEVRE; ibid.

59 Cass. civ. 1ère, 3 juin 1998, n°96-14.232 ; Bull. civ. 1998, I, n° 195 ; JCP G 1999, II, 10062, note PRIEUR ; D.

1999, p. 453, note Ch. RAVIGNEAUX ; JCP E 1998, 1072, note P. MORVAN.

contra. Cass. Civ. 1re, 11 avril 1995, n° 93-13.246 ; JCP G 1995, II 22554, pour les juges, constitue au contraire un commencement de preuve par écrit.

l’emprunteur peut alléguer qu’il s’agit d’une vente s’il y a transfert de propriété d’une chose en contrepartie. L’enjeu est donc de démontrer la cause de cette remise de fonds. En pareil cas, la preuve de l’usage de fonds à charge de les restituer, ne saurait être prouvée que par l’existence d’un accord de volonté des parties sur cette modalité de prêt et de restitution.

L’écrit semble alors s’imposer à cette fin. Sans la preuve de ces éléments, l’emprunteur ne peut pareillement pas opposer au banquier l’existence d’un contrat de prêt.

41. A l’inverse, pour ce qui est du contrat de prêt conclus en vertu du Chapitre I et II du Livre III du Code de la consommation, nous montrerons que la remise des fonds n’a plus aucun rôle probatoire dans la preuve du contrat de prêt.

Il s’agit dorénavant d’une modalité dans l’exécution de la convention et non d’un élément de formation de celle-ci. La conséquence de la formation solo consensu du contrat sur le régime probatoire est qu’il suffit de démontrer l’existence d’un accord de volonté entre les parties pour prouver la réalité du prêt, mais plus que les fonds ont été remis.

Cela contraindra tant le prêteur au versement des fonds, que l’emprunteur au paiement des intérêts. L’écrit qu’impose le formalisme des articles L. 311-8 et L. 312-7 du Code de la consommation facilite d’ailleurs cette preuve60.

Cette protection des parties, fondant leur responsabilité sur le respect de la parole donnée par l’autre, revient sur la rigueur de la jurisprudence qui ne voyait dans la preuve de la remise qu’un commencement de preuve61.

42. Une question se pose naturellement. Si le régime de la preuve est modifié par la technique de protection du client fondée sur le consensualisme, cette technique a-t-elle une influence sur les obligations des parties ? Cette se pose avec d’autant plus d’acuité que la remise a changé de rôle au sein de la formation du contrat.

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