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Définition des techniques de suspension de l’exigibilité des obligations

LA PROTECTION PAR LA SUSPENSION DE LA PERFECTION OU DE L’EFFICACITE DU CONTRAT

A) Définition des techniques de suspension de l’exigibilité des obligations

248. Traditionnellement, le droit commun connaît ces techniques qui suspendent l’exigibilité d’une obligation. L’on citera notamment l’exception d’inexécution par laquelle une partie peut refuser d’exécuter sa propre prestation tant qu’il n’a pas reçu la prestation qui lui est due par son cocontractant. Le contrat n’est ainsi pas anéanti, ses obligations sont simplement ajournées318. Cantonnée dans le cadre des obligations interdépendantes et à exécution simultanée, l’exceptio non adimpleti contractus n’est pas le seul vecteur de suspension d’une obligation. L’article 1184 alinéa 3 du Code civil dispose quant à lui que le défendeur à l’action en résolution d’un contrat peut obtenir « un délai selon les circonstances ». Ce délai de grâce conduit pareillement à la suspension de l’exécution de l’obligation du débiteur. Mais contrairement à l’exception d’inexécution, ce n’est plus un moyen de pression au profit du créancier, mais davantage une faveur consentie au débiteur.

Toutefois, l’on aurait tort de limiter l’exécution ajournée de l’obligation au seul domaine de la

318 Répertoire droit civil, Dalloz, 2005, V. Existence de la cause, n° 103 ; P. GROSSER, Les remèdes à l'inexécution du contrat : essai de classification, th. Paris I, 2000, n° 204.

violation du lien contractuel. En est-il ainsi des moratoires légaux qui sont fondés sur une suspension pour cause de difficultés dans l’exécution de l’obligation contractuelle319.

249. Pareillement, les obligations conditionnées, ou assorties d’un terme, sont des techniques de suspension. Toutefois si pour le cas de la condition, c’est l’existence de l’obligation qui est remise en cause, le terme ne conduit qu’à retarder son exigibilité. Les deux notions décalent dans le temps la réception pour le créancier de la contrepartie attendue, mais procèdent selon une technique différente. Ainsi, l’article 1185 du Code civil dispose que « le terme diffère de la condition, en ce qu’il ne suspend point l’engagement, dont il retarde seulement l’exécution ».

Défini comme l’événement futur et certain auquel est subordonnée l’exigibilité ou l’extinction d’une obligation, le terme se différencie de la condition en ce que l’obligation existe déjà. L’arrivée du terme, contrairement à la survenance de l’événement conditionnel, ne fait donc pas naître rétroactivement l’obligation, celle-ci existe déjà, mais en précipite l’exigibilité. Au sein de la relation avec le banquier, ce mécanisme d’ajournement existe par le biais des règles de droit commun, par exemple quand l’emprunteur sollicite un délai de grâce auprès du juge d’instance, conformément aux conditions de l’article 1244-1 du Code civil, et se voit consacré par des dispositions relevant de lois spéciales.

Ainsi, en matière de crédit à la consommation, l’article L. 311-20 alinéa 1er dispose en effet que « lorsque l'offre préalable mentionne le bien ou la prestation de services financé, les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation... ».

250. Il convient de s’interroger sur la nature de cette règle. L’article L. 311-20 du Code de la consommation pourrait être analysé comme une condition suspensive, soit un terme suspensif, ou soit relèverait de l’exception d’inexécution.

L’assimilation à une condition suspensive paraît, à première vue, envisageable. Pour la jurisprudence, l’obligation de l’emprunteur devient exigible si l’absence de livraison du bien financé par le prêt lui est imputable320, ce qui tend à rapprocher le mécanisme de l’article L.

319 Nous citerons à titre d’illustration la loi du 5 août 1914 qui suspend temporairement toutes les échéances pour tous les débiteurs, le décret-loi du 1er sept. 1939 pour les actions en justice en faveur des prisonniers de guerre, la loi du 11 déc. 1963 pour les rapatriés d’Algérie, la loi du 31 juill. 1968 relative aux événements de mai 68, la loi du 27 déc. 1974 pour la suspension de la forclusion pour cause de grèves postales ou encore la loi du Scrivener du 10 janv. 1978 dans son art. 14 qui suspend l’exécution des obligations de l’emprunteur en cas de licenciement.

320 Cass. civ. 1ère, 16 avr. 1991, précité.

311-20 de l’article 1178 du Code civil. Toutefois la qualification de condition suspensive doit être évincée : en effet, le contrat principal existe déjà, de sorte que l’obligation de délivrer la chose est certaine : soit qu’elle surviendra du fait de son débiteur, soit qu’elle sera délivrée au terme de l’exécution forcée.

251. Si l’événement est certain, ce serait alors un terme, mais cela supposerait déjà d’écarter la qualification d’exception d’inexécution. Pour la qualification d’exceptio, Il pourrait être argué que les obligations de l’emprunteur peuvent demeurer inexécutées tant que l’acheteur n’a pas délivré la chose achetée à crédit. Cela ressemblerait en effet aux effets produits par l’exceptio. L’exception d’inexécution suppose que les deux obligations soient réciproques et à exécution simultanée, et l’on avancerait que les deux contrats étant interdépendants, les obligations de l’emprunteur et du vendeur seraient réciproques, pas que l’une trouve sa cause dans l’autre, mais parce que le contrat de prêt est causé par le contrat de vente.

Cela ne convainc pourtant pas. La doctrine la plus autorisée affirme que les obligations sujettes à l’exception doivent être réciproques et à exécution simultanée321. Précisément, « si le contractant s’engage, ce n’est pas seulement pour obtenir que l’autre s’oblige de son coté.

Les deux obligations corrélatives ne sont qu’un premier stade destiné à préparer le résultat définitif qui est l’exécution des prestations promises »322. La cause est donc conçue non pas comme l’obligation de l’autre, mais davantage comme l’exécution de l’obligation de l’autre.

Si l’un ne s’exécute pas, l’autre peut refuser d’honorer son engagement sur le fondement de la disparition, temporaire, de la cause de cet engagement. Encore faut-il que les obligations soient réciproques. Réciproque signifie que les obligations doivent être nées du même contrat.

L’exception d’inexécution ne vaudrait alors que pour les obligations nées d’une même convention. L’article L. 311-20 ne relèverait alors pas de l’exceptio.

252. Ainsi l’impossibilité d’invoquer l’exception d’inexécution a été confirmé dans une affaire opposant un bailleur devenu débiteur et son preneur en raison d’un emprunt, le preneur ne peut suspendre le paiement des loyers au motif que la somme empruntée ne lui est pas remboursée323. Un auteur a pourtant avancé que l’exception d’inexécution s’appliquerait à

321 A ce titre, nous citerons F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 10ème éd., 2008, n° 634 et s., p. 616.

322 H. CAPITANT, De la cause des obligations, th. Paris 1923, n° 14 ; A. CERMOLACCE, Cause et exécution du contrat, th. Aix, éd. 2001.

323 CA Rouen, 1er févr. 1854, S. 1856.2. 398.

l’hypothèse des obligations nées d’un groupe de contrats interdépendants324, ce qui serait le cas de l’article L. 311-20.

Selon nous, valider le raisonnement serait opérer une confusion, volontaire, entre

« cause de l’obligation » et « cause du contrat ». L’exceptio puise sa légitimité dans l’inexécution d’une obligation réciproque, cette dernière trouvant sa cause dans l’obligation que le cocontractant fautif est sensé attendre en retour. Ce mécanisme ne vaudrait que pour les obligations réciproques d’un même contrat synallagmatiques. Se permettre de ne pas exécuter la prestation d’un contrat de prêt au motif que le cocontractant n’a pas honoré une obligation née d’un contrat de vente qui lui est interdépendant revient à fonder le mécanisme sur la cause, subjective, du contrat. Il a été néanmoins soutenu que la cause du contrat de prêt, l’achat d’un bien à crédit, quand elle rentre dans le champ contractuel, pourrait fonder l’exceptio. D’ailleurs rien n’interdit aux parties de faire d’un élément, à l’origine extrinsèque au contrat, un motif impulsif et déterminant de leur consentement qui serait commun à eux et pourrait, si cet élément fait défaut, justifier d’anéantir ce contrat sur le terrain de l’erreur325. De plus, l’article L. 311-20 ne dispose t-il pas « l’offre préalable mentionne le bien ou la prestation de services financé » ?

Cette analyse présentée ici est certes plaisante, mais elle prend certaines libertés avec les concepts. Tout d’abord la jurisprudence a toujours imposé que les obligations soient interdépendantes pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée326. Enfin, l’interdépendance suppose que les obligations naissent de la même convention. La cause de ces obligations est à rechercher dans leurs prestations réciproques, non dans l’utilité de la convention327, qui s’apparente à la cause du contrat. Cet argument nous conduit alors à exclure le rapprochement de l’article L. 311-20 avec le mécanisme de l’exception d’inexécution.

253. Il ne donc être question que de terme suspensif : l’exécution des obligations de l’emprunteur nées du contrat de prêt est conditionnée à la survenance d’un élément futur et certain : la livraison de la chose ou de la prestation objet du contrat principal au

324 S. BROS, L’interdépendance contractuelle, th. Paris II, sous la direction de Ch. LARROUMET, 2001, n°

614.

325 Il y irait ainsi par exemple si les parties convenaient que la chose achetée présente certaines qualités et que les deux parties en eurent eu connaissances, V. en ce sens Y. LOUSSOUARN, obs. RTD civ. 1971, p. 131 ; J.

GHESTIN, note JCP éd. G, II, 16916 ; Cass. civ. 1ère, 26 févr. 1980.

326 Cass. req., 14 mai 1938, DH 1938, p. 419 ; Cass. com., 26 nov. 1973, Bull ; civ. IV, n° 340, p. 303, Defrénois 1975, p. 388, obs. J.-L. AUBERT.

327 Il existe pourtant, pour la Cour de cassation, une prise en compte de cette utilité de la convention, notamment au travers de la jurisprudence Chronopost, mais cette notion est appréhendée au sein du même contrat.

consommateur. Techniquement, le terme suspensif d’origine légale est subordonné à l’exigence d’une mention dans l’acte de prêt de la destination des fonds reçus nés du prêt.

Toutefois, il n’existe pas d’obligation d’insérer cette stipulation au contrat de prêt, ce qui a pour conséquence que l’emprunteur peut être contraint d’exécuter ses obligations avant la réception de la chose convenue quand la destination des fonds n’est pas mentionnée. Ce sera donc le cas pour tous les contrats non affectés. L’inverse n’est cependant pas vrai : encore faut-il que le contrat principal comporte une stipulation expresse suffisamment précise quant à la nature du bien financé, sans quoi l’article ne peut être invoqué328. Il en va de même du fait de l’emprunteur qui provoque la déchéance du terme. Ainsi, si l’obligation de ce dernier envers le prêteur n’est exigible que lorsqu’il accuse réception de la chose achetée à crédit, le prêteur est en droit de demander le versement des mensualités avant la réception si l’emprunteur a fait échec à la livraison de la chose329.

254. Il peut être permis de s’interroger sur le caractère facultatif de cette règle protectrice. Les parties peuvent évincer le terme légal posé par l’article L. 311-20 du Code de la consommation lorsque le bien financé n’est pas mentionné dans l’offre préalable. A l’inverse, la loi impose la condition suspensive dès lors que le contrat principal est financé par un prêt, quand bien même le contrat ne le stipule. Pourquoi alors une telle différence de traitement dans la protection de l’emprunteur ? L’emprunteur prend alors de risque devoir payer les intérêts nés du prêt pour le cas où le contrat principal n’est pas encore exécuté. Nous considérons que cette solution n’est pas satisfaisante. Selon nous, la technique de protection légale visant à insérer une retarder l’exigibilité des prestations contractuelles doit s’imposer aux parties et non être conditionnée à la présence d’une mention dans le contrat.

255. Le droit du crédit consenti aux personnes visées par l’article L. 311-3 du Code de la consommation témoigne d’autres dispositions visant à paralyser l’exigibilité des obligations. Certaines de ces dispositions appellent quelques remarques. Ainsi l’article L.

311-17 dispose que « Tant que l'opération n'est pas définitivement conclue, aucun paiement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, ne peut être fait par le prêteur à l'emprunteur ou pour le compte de celui-ci, ni par l'emprunteur au prêteur. Pendant ce même délai, l'emprunteur ne peut non plus faire, au titre de l'opération en cause, aucun dépôt au

328 Cass. civ. 1ère, 26 nov. 1991, Bull. civ. I, n° 336 ; Cass. civ. 1ère, 29 juin 2004, Bull. civ. I, n° 188 ; D. 2004, p.

2565, note AUBY ; JCP éd G. 2004, IV, 2803 ; Contrats conc. consom. 2004, n° 165, obs. G. RAYMOND ; RTD com. 2004, p. 795, obs. D. LEGEAIS ; RJDA 2004, n° 1257 ; RDC 2005, p. 319, obs. BRUSCHI.

329 Cass. civ. 1ère, 16 avr. 1991, Bull. civ. I, n° 140 ; D. 1991, IR, p. 139.

profit du prêteur ou pour le compte de celui-ci. Si une autorisation du prélèvement sur son compte bancaire ou postal est signée par l'emprunteur, sa validité et sa prise d'effet sont subordonnées à celles du contrat de crédit. »

Quand le contrat principal n’est pas encore conclu, ni l’emprunteur, ni le prêteur ne sont contraints d’exécuter leur prestation. Cet article souligne que la prohibition pour le prêteur de verser les fonds sur le compte de l’emprunteur assure la liberté pour ce dernier de revenir sur son engagement et assure l’effectivité du délai de réflexion. Cela protège l’emprunteur si, suite au versement des fonds demandés, il serait moralement contraint d’accepter à son tour l’offre sans révocation, pour honorer sa prestation. Un mécanisme similaire existe en droit du crédit immobilier à l’article L. 312-11330.

256. Enfin, le droit applicable au démarchage de produits bancaires et financiers connaît de même une protection fondée sur l’ajournement de l’exécution des obligations de la personne démarchée. Il existe toutefois quelques points sur lesquels la protection diffère.

La loi n° 2003-706 du 1er août 2003 sur le démarchage de produits bancaires et financiers, complétée par la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, instaure à l’article L. 341-16 II du Code monétaire et financier un mécanisme de conditionnement de l’exécution des obligations de la personne démarchée. Celui-ci dispose que le démarcheur « ne peut exiger le paiement s'il a commencé à exécuter le contrat avant l'expiration du délai de rétractation sans demande préalable de la personne démarchée ». La disposition diverge quelque peu avec l’article L.

311-17 relatif au crédit à la consommation, les obligations de la personne démarchée ne peuvent être exécutées qu’une fois le contrat conclu, quand le délai de rétractation a expiré.

En définitive, l’emprunteur ne s’exécute que lorsqu’il est certain de ne plus pouvoir de se délier. A l’inverse, l’emprunteur peut être contraint par le prêteur d’honorer sa prestation dès que le contrat est conclu, peu importe que le délai de rétractation de l’article L. 311-15 court encore. Techniquement, il n’y aura que si le prêteur insère une clause d’agrément que les régimes s’assimilent. C’est le cas visé à l’article L. 311-16, puisqu’en pareil cas, le contrat de prêt à la consommation ne sera parfait qu’une fois le délai de rétractation expiré.

330 L’article L. 312-11 dispose en effet que « jusqu'à l'acceptation de l'offre par l'emprunteur, aucun versement, sous quelque forme que ce soit, ne peut, au titre de l'opération en cause, être fait par le prêteur à l'emprunteur ou pour le compte de celui-ci, ni par l'emprunteur au prêteur. Jusqu'à cette acceptation, l'emprunteur ne peut, au même titre, faire aucun dépôt, souscrire ou avaliser aucun effet de commerce, ni signer aucun chèque. Si une autorisation de prélèvement sur compte bancaire ou postal est signée par l'emprunteur, sa validité et sa prise d'effet sont subordonnées à celle du contrat de crédit. »

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