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Durant la seconde moitié du XXème siècle, les pratiques sportives ont changé les habitudes journalières des français. Le sport n’est plus seulement l’histoire des fédérations et de l’Etat mais bien une forme de loisir au même rang que le cinéma ou la télévision. Cette période marque l’entrée

81 Bale J., Sports geography, Londres, Spon Press, 1989. p.268.

82 Christian Bergelin, originaire de Haute Saône, fut ancien secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports de Jacques

Chirac de 1986 à 1988. Après une carrière d’élu particulièrement chargée, comme député et maire, mais aussi comme président du conseil général de Haute Saône, il quitta la scène politique en 2002.

40 dans l’ « ère des pratiques sportives83 ». Ces dernières ne sont plus le lot d’une minorité, jeune ou performante. Le sport n’est alors plus isolable des autres formes de pratiques sociales, notamment culturelles qui ont également connu une massification durant cette période84. Aujourd’hui, les pratiques sportives des français appartiennent à leur patrimoine culturel.

La culture peut être représentée comme un ensemble de pratiques, de systèmes de pensée, ou d’actions, et permet à un individu ou un groupe social, de se situer par rapport aux autres dans une singularité qui autorise à la fois son identification et son identité. Les intellectuels se sont efforcés de clarifier cette notion, ainsi, pour Edgar Morin, « une culture constitue un corps complexe de

normes, symboles, mythes et images qui pénètrent l’individu dans son intimité, structurent les instincts, orientent les émotions85 ». Différentes approches dominent actuellement l’analyse des styles de vie en permettant de théoriser le social à travers la multiplicité des goûts et des choix de pratiques culturelles, des acteurs sociaux mais ces problématiques « paraissent bien éloignées des

thèmes de la massification ou de la culture de masse, termes auxquels Paul Yonnet veut redonner de l’autorité, alors qu’ils paraissaient datés et décalés par rapport aux préoccupations dominantes de la sociologie actuelle86. » Nous pouvons définir cette idée de masse avec Marc Guillaume, en excluant de la notion, l’idée de son opposition à l’élite. Il considère que « la masse se différencie du

peuple, de la classe sociale, de la communauté en ce sens que le lien social y semble réduit à son minimum. A moins qu’un évènement, un projet collectif et immédiat ne l’embrasent et ne le transforment, par exemple en un groupe de fusion, la masse est un collectif, une série amorphe, pour reprendre la terminologie sartrienne87. » Par cette formule, cela désigne l’indifférenciation d’objets consommés par un grand nombre d’individus, eux-mêmes non repérés du fait de leur appartenance à un groupe ou à une classe sociale. Les interrogations sur cette culture de masse montre qu’elle se caractérise par la recherche du bien être. Paul Yonnet reprendra une idée chère à Edgar Morin pour qui « la consommation de masse s’inscrit en grande partie dans le loisir

moderne88 ». Ainsi, dans son ouvrage, Paul Yonnet fournit la démonstration que les pratiques sportives sont entrées dans la culture de masse conduisant à une massification du sport dans la société.

Par la suite, d’un point de vue statistique, un premier bilan en 1947 fait apparaitre l’existence de 43 fédérations89 rassemblant un million et demi de licenciés, qui sont dans leur

83 Rauch A., « L’ère des pratiques sportives (1958-1997) », Science et motricité, n°34, 1998, p.3-6.

84 Yonnet P., Jeux, modes et masses. La société française et le moderne (1945-1985), Paris, Gallimard, 1985. L’auteur

traite d’une tranche d’histoire située entre 1945 et 1985, dans laquelle vont l’intéresser les transformations de pratiques sociales, parmi lesquelles, une pratique sportive, le jogging qui prend toute son importance à côté du tiercé ou des modes. Dans cet ouvrage, il théorise la « culture de masse ».

85 Morin E., L’esprit du temps, Paris, éd. Grasset/Frasquelles, 1975 (1962), p.13. 86

Le Pogam Y., « La massification des pratiques sociales : enjeux sur la culture », Corps et Culture, n°1, 1995.

87 Guillaume M., « Digressions sur les masses et les médias », p.127, in Zylberberg J., Masses et postmodernité, Paris,

éd. Méridiens Klincksieck, 1986.

88 Morin E., L’esprit du temps, op.cit., p.75. 89

Ces fédérations sportives agréées sont rassemblées en trois collèges par Jeunesse et Sports, entre les fédérations unisports olympiques, les fédérations unisports non olympiques et les fédérations ou groupements multisports.

41 immense majorité des jeunes de moins de 30 ans. C’est dans la seconde partie du XXème siècle que la progression et le renforcement institutionnel va s’accélérer. On compte en 1978, 73 fédérations pour 9 millions de licences90. En 1996, le ministère de la jeunesse et des Sports a agréé 113 fédérations sur l’ensemble de la France91. En 2004, nous dénombrons près de 110 fédérations pour plus de 14 millions de licences réparties en club ou sections de clubs92. On estime le nombre de clubs ou sections à plus de 170 000 constituant l’unité de base du sport français, notamment en regroupant les pratiquants sur le principe d’une proximité élargie. Ainsi, en un demi siècle, le nombre de fédérations a été multiplié par plus de deux, le nombre de clubs ou de sections de club par six et celui des licenciés par près de dix. Plus précisément, les licenciés de la fédération française de football sont passés de 440 000 en 1949 à plus de 2 millions au début des années 2000, ceux du tennis de 79 000 à 1 million (après avoir atteint le chiffre de 1,3 million en 1992), ceux du basket de 95801 à 427 000, ceux du judo et des sports associés de 5000 à 552000 et ceux du rugby de 40 705 à 277 00093. Comme le souligne Jean Pierre Augustin, « les grandes fédérations sont

devenues d’énormes machines administratives avec des relais internationaux, nationaux, régionaux et locaux qui gèrent des milliers de clubs et de dirigeants, et des centaines de milliers de licenciés. Le mouvement sportif a bénéficié d’un soutien accru de l’administration centrale, des municipalités et de la vogue du « sport pour tous » promus par les dispositifs de l’Etat.94 »

Pour autant, l’activité sportive licenciée est la résultante de la demande de pratique adressée aux associations affiliées à des fédérations sportives nationales. En général, cette forme de pratique a pour finalité la compétition mais, en réaction à une demande croissante de pratique non compétitive, la majorité des fédérations proposent aujourd’hui des licences loisirs destinées à attirer une partie des ces nouvelles aspirations. La définition juridique fondée sur la compétition ne peut plus actuellement rendre compte de toute la réalité en matière sportive. « L’étude des licenciés ne

donne évidemment qu’une indication limitée par rapport à l’ensemble des pratiques sportives.95 » Dès lors, il convient de mesurer la réalité et l’évolution de cette sportivisation qui se complexifie par des effets constants de diversification et de délocalisation des activités. Face aux sports institutionnalisés, essentiellement fondé sur la compétition, d’autres activités de type consommatoire accompagnent le processus d’individualisation de la société et ne cessent de se développer aux marges des clubs traditionnels. A ce titre, les résultats de l’enquête MJS-INSEP96 font apparaître qu’en France, en 2000, 83% des français déclaraient pratiquer une activité sportive

90 Augustin J-P., Bourdeau P., Ravenel L., Géographie des sports en France, Paris, éd. Vuibert, 2008, p.14. 91

Gasparini W., Sociologie de l’organisation sportive, op.cit., p.61.

92 Augustin J-P., Bourdeau P., Ravenel L., Géographie des sports en France, op.cit., p.14. 93 Ibid, p.16.

94 Ibid. 95

Gasparini W., Sociologie de l’organisation sportive, op.cit., p.62.

96 Mignon P, Truchot G., Les pratiques sportives en France, Paris, INSEP, 2000. Cette enquête nationale « Pratiques

sportives des français », a été réalisée en 2000 par une équipe de sociologue de l’Institut national du sport et de l’éducation physique (dépendant du Ministère des sports) auprès d’un échantillon de 6 526 personnes représentatives de la population française âgées de 15 à 75 ans. Cette enquête par téléphone a recensé toutes les formes de pratique sportive, du sport institutionnel aux nouvelles modalités de pratique sportive (sports de glisse urbaine, fitness…).

42 de manière « volontaire » (soit 36 millions de « sportifs »), au moins une fois dans l’année. Parmi eux, près de 23% le font au moins en partie dans le cadre associatif. Près de 20% des français de 15 à 75 ans possèdent une activité sportive compétitive, mais seulement 12% dans le cadre d’un club. Un noyau encore plus restreint pourrait être identifié, à savoir les sportifs de haut niveau : près de 6000. Au niveau de la compétition, les décrochages sportifs ont lieu dès l’adolescence pour les femmes et après 40 ans pour les hommes. Etre jeune favorise la pratique d’activités physiques et sportives : la moitié des personnes participant à des compétitions ont entre 15 et 30 ans. Les jeunes sportifs sont d’ailleurs beaucoup plus nombreux que ceux repérés dans notre enquête puisqu’on peut estimer que 30 à 40 % des licences sportives sont prises par des jeunes de moins de 15 ans.

Les données disponibles concernant les pratiques sportives abondent dans le sens d’une sportivisation de notre société puisque « les ruraux sont tout autant « sportif » que les urbains :

81% des premiers déclarent pratiquer des activités physiques et sportives contre 84% des habitants des zones urbaines 97 ». Ces chiffres, même s’ils résultent d’une conception très large du sport, témoignent de l’importance des pratiques sportives à la ville comme à la campagne. Néanmoins, cette apparente massification de l’accès aux pratiques sportives masque de profondes inégalités qui persistent malgré les politiques de démocratisation du sport et de « sport pour tous ».