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Chapitre 2 : Détours méthodologiques

3/ Le niveau d’équipement essentiel

2.2 Le travail empirique

2.2.2 L’analyse qualitative par entretiens

Cette phase d’enquête a été réalisée au printemps et à l’été 2010. En plus de l’observation participante, elle demeure importante puisqu’elle nous rapproche au plus près de la réalité sociale. Notre approche se centre ici principalement sur l’ensemble des connectivités ou des dé- connectivités régies par l’institution sportive rurale. L’objectif demeure donc de recueillir l’itinéraire relationnel des enquêtés dans et/ou à partir du sport rural. Au travers d’entretiens semi- directifs525, nous construisons et analysons, petit à petit, le maillage affinitaire construit à partir des relations tissées au sein des clubs ruraux. Comprendre comment et pourquoi ce maillage s’articule permet de comprendre comment et pourquoi certains clubs fonctionnent, se développent et tiennent une place importante dans la structuration des villages. Ainsi, le public concerné par notre enquête par entretiens peut être très varié puisqu’il dépend des connexions et des déconnexions réelles entre les acteurs du sport local. Ce maillage ne concerne donc pas simplement les seuls adhérents des clubs mais également d’autres individus et différents acteurs institutionnels. La grille d’entretien fut donc adaptée selon le statut de la personne interrogée mais elle reste sensiblement la même en gardant pour objectif, celui de recueillir le rôle et le poids de l’institution sportive dans l’itinéraire relationnel de la personne526. En plus des pratiquants sportifs527 et des dirigeants de club528, dans certains cas, il était donc nécessaire d’interroger les maires des communes observées, les conseillers municipaux529 ou d’autres acteurs, les médecins par exemple530 pour comprendre les processus en jeu. Nous avons donc réalisé un ensemble de 38 entretiens dont 8 exploratoires. 26 pratiquants sportifs ont été interrogés à partir du premier échantillon quantitatif de 333 personnes, en fonction de l’activité sportive de référence, du club d’adhésion et du groupe social d’appartenance. Parmi ces pratiquants, plus de la moitié (14) cumulent leur pratique avec une autre fonction au sein du club :

524 Une méthode AFC admet en entrée un "tableau croisé dynamique", et produit en sortie une ou plusieurs cartes ou

images de répartition des valeurs et des variables. Le principe de ces méthodes est de partir sans a priori sur les données et de les décrire en analysant la hiérarchisation de l'information présente dans les données. Pour ce faire, les analyses factorielles étudient l'inertie du nuage de points ayant pour coordonnées les valeurs présentes sur les lignes du tableau de données. La "morphologie du nuage" et la répartition des points sur chacun de ces axes d'inertie permettent alors, de rendre lisible et hiérarchisée l'information contenue dans le tableau.

525 Les différentes thématiques abordées au cours de l’entretien sont : le passé dans le club / l’intégration dans le club /

les activités dans le club / l’image du club / les liens dans le club / la 3ème mi temps / les liens avec le club.

526 Voir les grilles d’entretien : ANNEXE n°9 527 Voir la grille d’entretien n°1 en ANNEXE n°9 528 Voir la grille d’entretien n°2 en ANNEXE n°9 529

Voir la grille d’entretien n°3 en ANNEXE n°9

150 éducateur, dirigeant, président. Au total, nous avons donc interrogé une dizaine de dirigeants d’association, trois élus municipaux et une assistante sociale531. Ces entretiens ont été retranscris intégralement et leur contenu analysé sous forme longitudinale et transversale pour en faciliter l’interprétation.

Le propre d’un travail sociologique n’est pas de présenter des histoires singulières auxquelles nous pouvons facilement s’identifier mais de mettre à jour des dispositions durables, des régularités voire des ordres au sens wébérien du terme532. Dans une perspective compréhensive, nous avons tenté de construire des processus typiques propres à une recherche sociologique. En effet, notre approche ne consiste pas à « élaborer des histoires spécifiques, du genre de celles que

les romanciers et les historiens élaborent. (…) On cherche au contraire à élaborer des histoires typiques, des histoires qui fonctionnent à peu près de la même manière chaque fois qu’elles se produisent.533 » Plus précisément, il s’agit d’une « méthode consistant à regrouper empiriquement

et inductivement les schèmes spécifiques d’entretiens en tas relativement homogènes permettant la nomination de concepts typologiques d’ordre sociologique.534 » Cette perspective passe inévitablement par un travail comparatif (analyse transversale), selon une confrontation de faits et de récits. L’aboutissement de ce travail fut atteint lorsque nous sommes parvenus à ce que l’on nomme la « saturation du modèle535 ». Dans ce sens, modifier l’identité des interviewés n’est pas dommageable à l’enquête. Au contraire, cette modification permet de sortir des seuls conflits d’intérêts locaux qui peuvent apparaître suite à une enquête.

Par ailleurs, nous avons conscience que l’entretien est une production narrative élaborée à postériori de l’action et correspond par conséquent à une construction mémorielle. Cet état de fait provoque des critiques qui consistent à penser que les enquêteurs sont naïfs parce qu’ils se fient à ce que disent les gens de leurs expériences, alors que rien de ce que disent ces acteurs ne peut être tenu pour certain. Cette position s’appuie sur le postulat que les personnes entretenues mentent la plupart du temps. Nous sommes donc partis du principe que l’opinion qui consiste à dire que les acteurs mentent n’est qu’une spéculation, puisqu’elle « constitue un présupposé qui s’appuie sur aucune

observation empirique536 ». De plus, il nous parait difficile de déduire que toute production narrative n’est qu’une reconstruction ou un artifice. Donc comment limiter les artefacts qui ont lieu lors d’un entretien ? La question est complexe et il n’existe aucun outil ou technique qui permettrait de rendre indiscutables les résultats. Cependant, si la situation de l’entretien ne va pas de soi pour l’interviewé, cela ne signifie pas pour autant que les propos échangés ne contiennent pas une part de

531 Voir le tableau récapitulatif des entretiens : ANNEXE n°11

532 Weber M., Economie et société. Les catégories de la sociologie, op.cit., p.64-65.

533 Becker H.S., Les ficelles du métier : comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte,

2002, p.109.

534 Demazière D., Dubar C., Analyser les entretiens biographiques. L’exemple des récits d’insertion, Paris, Nathan,

1997, p.10.

535 Voir à ce propos : Glaser B.G., Strauss A.L., The discovery of Grounded Theory : Strategy for Qualitative research,

Chicago, Aldine, 1967.

151 vérité. L’échange se passera d’autant mieux que l’on fera usage de questions ouvertes, que l’on s’appuiera sur des hésitations (phrases non finies), des silences ou des encouragements à aller plus loin. De plus, c’est au sociologue de veiller à mettre à l’aise l’enquêté. L’entretien semi-directif n’est pas une situation qui va de soi, puisqu’il repose sur une série d’interrogations, plus ou moins préparées à l’avance, qui orientent le propos : « La question est une main-mise d’ordre symbolique

sur le corps, le temps et la parole de l’autre du seul fait qu’elle brise le silence et ouvre un espace verbal : un espace d’échange langagier qui constitue par lui-même, parce qu’il est situé dans le champ général des rapports sociaux, un domaine dont l’appréciation et le contrôle sont immédiatement en jeu. Prise redoublée par le fait que la question oriente l’espace verbal qu’elle instaure ou si l’on préfère tente de contrôler la réponse. (…) La réponse n’apparait pas seulement comme une information faisant suite à la demande formulée par la question, mais comme réaction du questionné face au « coup de force » plus ou moins acceptable du questionnement. Cette réaction peut aller de la coopération à la résistance passive ou même explicite, soit que l’interrogé se prête avec plus ou moins de complaisance à la prise, soit qu’il tente de s’en dégager selon ses « ressources ». Quoi qu’il fasse, ce que le répondeur inscrit dans sa réponse est fonction des différentes espèces de capital (capital proprement linguistique compris) dont il dispose et ceux qu’il évalue chez la questionneuse537 ». La qualité de l’entretien réside dans le type de formulation des questions. Ainsi, certains chercheurs orientent l’entretien en fonction de ce qu’ils aimeraient trouver sur le terrain, en projetant, sans forcément en être conscients, leur propre vision ou découpage du monde social. Ce que nous souhaitons souligner ici, c’est la nécessité de contrôler au maximum sa propre perception d’un phénomène social. On pourrait nous rétorquer que, quoique l’on fasse, il restera toujours une part de subjectivité. Ce que nous ne nions pas, mais il convient de ne pas se laisser gagner par une sorte de fatalisme scientifique aujourd’hui en vogue qui a pour conséquence de n’accorder aucun crédit à l’auto réflexion sur la production d’une étude scientifique. Le chercheur se contentant de recueillir une parole sans qu’il interroge sur son rôle dans la production du discours de la personne qui lui fait face.