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1.1 Pour une lecture de la société rurale à travers la perspective des

1.1.1 La société analysée à travers le prisme sportif

Au cours des cinquante dernières années, le milieu rural a beaucoup évolué, le conduisant à un bouleversement de sa structure sociale, tant au niveau de son organisation ou de sa cohésion que de son autonomie. De nouvelles valeurs investissent la campagne où « la localisation d’une part

croissante de ses habitants relève d’un choix de vie pour certains, d’un arbitrage "économique" pour d’autres, et enfin d’une ruralité plus subie que choisie pour les derniers.134 » Le bouleversement observé au niveau des campagnes tend à transformer la composition et la répartition des différents groupes sociaux et à engendrer certains conflits. Un ensemble d’acteurs réinvestissent la campagne (néo-ruraux, pauvres, cadres, etc.) entraînant dans leur sillage un ensemble de valeurs symboliques (patrimoniale, écologique, identitaire) et, par conséquent, interpellent le groupe isolé des agriculteurs, historiquement structurant du milieu rural. Comme le souligne Henri Mendras dans son analyse de la société rurale pointant le passage d’une forme de société traditionnelle à une forme de société moderne, nous pouvons considérer que celle-ci n’est plus constituée de communautés unies par l’interconnaissance135.

L’éclatement de la structure sociale au niveau rural génère une multiplication des acteurs (individuels / associatifs), des mobilités croissantes, une déterritorialisation des groupes, une

134 Kayser B., Brun A., Cavailhes J., Naissance de nouvelles campagnes, Paris, Datar, Editions de l’Aube, 1992. 135 Mendras H., Eléments de sociologie, Paris, Armand Colin, 1967, P.143-144. L’auteur définit la société

d’interconnaissance dans les termes suivants : « Tous les gens sont nés et vivent ensemble de la naissance jusqu’à leur mort. C’est pourquoi cette société se définit comme d’interconnaissance. Chacun des membres de la société connaît tous les aspects de la personnalité de tous les autres membres ».

55 multiplication des formes d’appartenances locales et une individualisation des rapports à l’espace. Face à cette situation complexe de réorganisation, de restructuration, de recomposition du lien social, François Dubet nous invite à « essayer de maîtriser les effets de cette mutation en inventant

des figures institutionnelles plus démocratiques, plus diversifiées et plus humaines136 ». La massification du sport dans la société et sa diffusion institutionnelle touche aujourd’hui les campagnes les plus reculées. Ainsi, le cadre sportif ne deviendrait-il pas une de ces figures institutionnelles dont parle François Dubet ? La recomposition sociale des campagnes ne peut-elle pas se lire à travers le prisme sportif ?

Il convient dès lors, de s’interroger sur la pertinence d’une recherche en sciences sociales portant sur le sport. Les travaux de Jean-Paul Callède montrent que « le sport n’est pas un sujet

« exotique » importé tardivement parmi les thèmes susceptibles d’intéresser la sociologie universitaire en plein essor.137 » En France, la sociologie du sport se développe à partir des années 60 avec les recherches statistiques ou descriptives sur le sport de Joffre Dumazedier ou de Michel Bouet. Ceux-ci s’emploient à combler ce qui leur apparaît comme un déficit d’information sociale et/ou sociologique sur un domaine d’activités culturelles appelé à prendre une place grandissante, voire omniprésente. Il faut attendre le tournant des années 70-80 pour trouver des publications qui inscrivent leur problématique sociologique dans un cadre plus théorique. C’est notamment à cette période, que Pierre Bourdieu est sollicité par l’INSEP138 pour s’exprimer sur ce sujet. En 1983, grâce aux liens qu’il entretient avec des chercheurs en sociologie du sport comme Christian Pociello et Jean-Paul Clément, il prononce la conférence d’ouverture du congrès international de sociologie du sport. Selon lui, « la sociologie du sport ne pouvait devenir une dimension importante et

respectable de la science sociale qu’à condition d’entrer dans la science sociale139 » en se constituant comme section à part entière de la sociologie en « se branchant réellement sur des

pratiques scientifiques et sur des constructions théoriques140 ». Il termine sa conférence de manière ambitieuse où la perspective de la sociologie du sport serait de « chercher ce que pourrait être la

contribution spécifique de la sociologie du sport à une théorie générale des sciences sociales141 ». Comme l’interprète Jean-Paul Callède, « de fait la formule montre que, pour l’intéressé, il ne

saurait exister de petit domaine d’études pour peu que celui-ci soit à même d’éclairer, de par sa

136 Dubet F., Le déclin de l’institution, op.cit. 137

Callède J-P, La sociologie française et la pratique sportives (1875-2005). Essai sur le sport. Forme et raison de l’échange sportif dans les sociétés modernes, op.cit., p.255.

138 INSEP : Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance

139 Bourdieu P., conférence introductive (thème 4 : « Sports, classes sociales et sub-cultures »), Sports et sociétés

contemporaines, VIIIè symposium de l’ICCS (International Committee for Sociology of Sport), INSEP (6-10 juillet 1983), Paris, éd. Société Française de Sociologie du Sport, 1984, p.323-331, cité par J-P Callède, La sociologie française et la pratique sportives (1875-2005). Essai sur le sport. Forme et raison de l’échange sportif dans les sociétés modernes, op.cit., p.400.

140

Ibid., p.400.

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singularité, la connaissance scientifique.142 » En outre, de nombreux chercheurs se sont emparés de ce domaine de recherche en s’appuyant sur des constructions théoriques et ainsi, constituer un champ à part entière de la sociologie. Toutefois, aujourd’hui, la question demeure de savoir si la sociologie du sport s’est constituée comme un champ à part entière de la sociologie143 en produisant des conceptualisations et modélisations spécifiques ou si elle n’est qu’une sociologie d’une pratique sociale (sportive), empruntant et utilisant des grilles de lecture aux champs parallèles (culture, travail, association, etc.)144.

L’intérêt de notre recherche réside dans une construction théorique du sport en milieu rural à partir de ses différentes caractéristiques et en l’associant à une lecture plus globale de la société rurale. Aussi, les valeurs véhiculées par le sport rural au sein des associations ont des résonances dépassant le simple cadre de l’activité physique pour s’affirmer dans la société entière, et plus particulièrement au sein de la société villageoise. L’analyse des clubs ruraux et de leurs adhérents peut être lue comme un système ouvert sur un environnement social dont les finalités sont à même de différer d’un club à l’autre. En d’autres termes, ne pourrait-on pas considérer le sport rural avant tout comme un jeu social avant d’être un jeu sportif ?

Norbert Elias y voit « le laboratoire privilégié pour l’analyse des rapports sociaux et pour

l’examen de leurs évolutions145 ». De nombreux auteurs partageant cet avis ont choisi de regarder la société au travers du prisme du sport. Christian Pociello considère qu’il « contient tout notre monde

social146 ». Dominique Bodin et Stéphane Héas soulignent que « quel que soit l’angle d’analyse,

[il] renseigne sur le fonctionnement global de nos sociétés contemporaines147 » et Jean-Paul Callède considère que « l'analyse du sport ouvre à la compréhension des sociétés locales et de leurs

transformations148 ». Appréhendé comme un analyseur possible d’un groupe d’individus, le sport en milieu rural tend à dévoiler le sens profond des liens, des significations et des valeurs de la communauté édifiées par le groupe sportif. A travers cette fonction herméneutique, se dégage une lecture liée à la représentation de la société rurale. L’observation de ces associations sportives permet de découvrir la clé pour comprendre l’essence de la recomposition des sociétés rurales. Il s’agit de comprendre comment chacun participe à la construction de sa société, par quels mécanismes il s’y attache, quels procédés il met en place pour l’organiser et de quelle manière il s’inscrit dans son fonctionnement. Si, comme le dit encore une fois Norbert Elias, « la connaissance

142 Callède J-P., La sociologie française et la pratique sportives (1875-2005). Essai sur le sport. Forme et raison de

l’échange sportif dans les sociétés modernes, ibid., p.402.

143

Voir à ce titre : Collinet C., « Le sport dans la sociologie française », L’Année sociologique, PUF, n°2, vol.52, 2002, p.269-295.

144 A l’image de l’organisation par les membres du GT 16 de l’Association Internationale de Sociologie de Langue

Française (AISLF) d’un colloque international portant sur « Les concepts mobilisés dans la sociologie du sport de langue française : état des lieux et approches comparatives », les 28 et 29 juin 2010 à l’UFR Staps de Besançon.

145 Cité par Pociello C., « Le sport entre mesure et démesure », in Communications, Nature extrêmes, n°61, 1996, p.21-

39.

146 Pociello C., Les cultures sportives, Paris, PUF, 1995. 147

Bodin D., Héas S., Introduction à la sociologie des sports, Paris, Chiron, 2002.

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du sport est la clef de la connaissance de la société149 », alors la dynamique de ce même sport doit renseigner sur les caractéristiques du développement local contemporain.