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Parallèlement au manque de visibilité médiatique souligné précédemment, le sport rural comme objet d’étude est très peu abordé au sein des sciences sociales. Les travaux de référence en la matière, ancrent les associations sportives au sein d’une culture populaire trop peu analysée sous le versant rural. Mais les travaux de Jean Michel Faure124 et Nicolas Renahy125 montrent bien les rapports particuliers qu’entretiennent les classes populaires avec leur sport préféré, le football, dans

120

Voir à ce propos : Talleu C., « Etre ensemble » dans les associations sportives. Contribution à une sociologie des sociabilités », Thèse de Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives à l’Université de Strasbourg, octobre 2009.

121 Brubaker R., « Au-delà de l’identité », op.cit. 122

Talleu C., « Etre ensemble » dans les associations sportives. Contribution à une sociologie des sociabilités, op.cit., p.10.

123 Voir sur ce point : Waser A-N., Sociologie du tennis. Génèse d’une crise (1960-1990), Paris, L’Harmattan, coll.

« Logiques sociales », 1995.

124

Faure J-M, « « Voutré, mon village », le football dans la culture populaire », op.cit.

49 le maintien d’une « honorabilité populaire menacée » et la construction d’une vie sociale rurale. Cette culture sportive joue un rôle fondamental pour les adhérents puisqu’elle contribue au « processus de socialisation, d’acquisition, d’individuation, d’identification, de singularisation, de

distinction, voire d’exclusion mettant en situation des personnes et/ou des groupes126 ».

Par contre, nous pouvons souligner le peu de travaux réalisés sur ces associations sportives sous l’angle des liens sociaux. Ceci pourrait s’expliquer par la croyance commune dans la capacité des clubs sportifs à produire du lien social, le tout renforcé par les discours des politiques ; les adhérents partageant les mêmes lieux, les mêmes passions pourraient créer et renforcer des liens. Dans ces conditions les connectivités accompagneraient naturellement, quasi mécaniquement, la pratique d’un sport. L’étude de ces connexions deviendrait dès lors purement anecdotique.

Pour autant, nous ne pouvons pas nier l’existence de travaux de recherche en sociologie des activités physiques et sportives portant sur cette question des liens sociaux127. Mais comme le souligne Clotilde Talleu dans l’introduction de sa thèse, « l’étude sociologique des sociabilités de

club est généralement juste un chapitre de la sociologie du sport sur lequel converge de nombreux travaux, une dimension semble devoir accompagner toute analyse portant sur les pratiques sportives. Jamais véritablement ignorées, elles sont rarement véritablement étudiées, élevées au rang d’objet d’étude. (…). Dès lors, les sociabilités sportives associatives semblent s’apparenter à une notion « absente-présente » dans de nombreuses investigations128 ». Les logiques d’affiliation ne constituent donc pas un aspect majeur des analyses sur les associations sportives. A l’heure actuelle, d’autres objets d’étude semblent être privilégiés par la sociologie du sport, comme les pratiques auto-organisées, l’insertion sociale par le sport, les organisations sportives, la professionnalisation, etc.

S’intéresser aux mécanismes de connexions et de déconnexions entre les individus dans et à partir des associations sportives au sein de villages, nous donne l’opportunité de travailler d’autres concepts comme l’intégration ou l’identité. Comme le souligne Jean-Paul Callède, « la sociabilité

sportive reste encore peu étudiée par les sciences sociales. Pourtant, de toute évidence, elle s’impose comme un champ non négligeable de la vie sociale. La sociologie des groupes intermédiaires (des groupes secondaires centrés sur une activité commune) est un domaine important pour aborder l’intégration de la société autant que l’autonomie des individus. Les thèmes de la socialisation et de la construction de l’identité culturelle y sont particulièrement centraux.129 »

126 Callède J-P., La sociologie française et la pratique sportive (1875-2000). Essai sur le sport. Forme et raison de

l’échange sportif dans les sociétés modernes, Maison des Sciences de L’Homme d’Aquitaine, Bordeaux, 2007, p.470.

127

Entre autres, Callède J-P., « La sociabilité sportive. Intégration sociale et expression identitaire », Ethnologie française, vol. XV, n°4, 1985, p.327-344. Waser A-N., Sociologie du tennis. Génèse d’une crise (1960-1990), op.cit.

128 Talleu C., « Etre ensemble » dans les associations sportives. Contribution à une sociologie des sociabilités »op.cit.,

p.9.

129

Callède J-P., La sociologie française et la pratique sportive (1875-2000). Essai sur le sport. Forme et raison de l’échange sportif dans les sociétés modernes, op.cit., p. 434.

50 Notre thèse porte donc sur les connectivités et les dé-connectivités au sein des associations sportives en milieu rural. Plus précisément, notre recherche prend place au sein de la région de Franche Comté130 dont le caractère campagnard est très marqué. Les Francs-Comtois représentent 2 % de la population française et sont disséminés dans de très nombreuses petites communes malgré l’influence de plus en plus croissante de certains pôles urbains. Aussi, notre objet d’étude traite des connectivités sportives associatives rurales en Franche Comté. Cet angle d’analyse nous permettra d’aborder le concept d’intégration et d’exclusion.

5 Contexte et historique de la recherche

S’interroger sur ce type de pratiques sportives n’est pas le fruit du hasard. Cette recherche possède une signification ancrée dans une histoire universitaire et personnelle. Universitaire puisqu’elle découle de différents travaux de recherche pour les mémoires de Master 1 et Master 2 « Sport et Société », concernant l’étude des loisirs sportifs en milieu rural131.

Mais les expériences biographiques passées sont sans doute à l’origine de cette envie d’inscrire nos travaux de recherche au sein de cet espace. Cette production s’inscrit dans un riche parcours en tant que pratiquant sportif dont l’engagement nous a conduit dans de nombreuses associations sportives implantées dans des espaces différents : tantôt à la ville, tantôt à la campagne. Le lien noué avec les clubs sportifs s’est perpétué tout en se modifiant, passant de simple pratique à objet d’étude cherchant à souligner cette volonté de s’interroger sur le sport rural. Ainsi, comprendre le choix d’un objet d’étude, c’est retracer quelques aspects de la trajectoire de l’apprenti chercheur132.

Par ailleurs, cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE) en partenariat avec la Mutualité Sociale Agricole de Franche Comté133 (MSA FC). Historiquement, cette dernière demeure un acteur majeur de la société rurale à travers sa forte implication au sein des territoires ruraux. La mise en place d’actions diverses en direction de ses ressortissants (les professionnels agricoles) mais plus généralement de l’ensemble

130 La Franche-Comté est située à proximité de la Suisse avec laquelle elle partage 230 km de frontière. Son relief,

dominé par la moyenne montagne le long de la frontière, laisse progressivement place à des plateaux puis à des plaines en direction de la Bourgogne voisine à l’ouest. Sa superficie représente 3 % du sol français ; 44 % est recouverte par des surfaces boisées.

131 Previtali C., Le loisir sportif en milieu rural, mémoire de Master 1, Université de Franche Comté, 2005 et De

l’espace associatif sportif à l’identité sportive en milieu rural. Enquête au sein de trois villages ruraux en Franche Comté : Montferrand le Château (25), Saint Aubin (39) et Rioz (70), mémoire de Master 2, Université de Franche Comté, 2006.

132 Comprendre et analyser les conditions sociales de sa propre pratique est une étape essentielle dans le métier

d’apprenti sociologue. Remettre en question ses enracinements et expliciter ses présupposés inconscients, le sociologue se prémunit de la tentation d’universaliser une expérience singulière. Sur ce point, cf. Bourdieu P., Chamboredon J-C., Passeron J-C., Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1983 (1968).

133 La Mutualité Sociale Agricole est le régime de protection sociale du monde agricole et rural. Entreprise privée à

mission de service public, la MSA fonctionne sous la forme d’un guichet unique puisqu’elle mène des actions dans les domaines de la santé (médecine du travail, prévention des risques professionnels, éducation et prévention de la santé, etc.), de la famille (prestations familiales, aide au logement, RSA, etc.), de la retraite en complément de la protection sociale légale.

51 des ruraux lui confère une légitimité importante dans le développement local de ces territoires. Par cette présence, la MSA possède une parfaite connaissance des problématiques touchant actuellement l’ensemble de cette société. En Franche Comté, compte tenu de la localisation géographique de certains territoires éloignés, une des préoccupations essentielles concerne l’affaiblissement, l’effritement des liens sociaux pouvant entraîner des situations d’exclusion sociale, voire d’isolement, de certaines populations. Ainsi, plus généralement, le travail multidisciplinaire et notamment l’apport des sciences sociales et de la sociologie en l’occurrence, peut permettre à la MSA FC de développer, de renforcer ses connaissances des phénomènes sociaux observés au sein de la société rurale. Ce type de recherche donne l’occasion d’apporter des réponses aux problématiques auxquels se trouvent confrontés les acteurs de terrain.

Durant trois années, en étroite collaboration avec la MSA FC, nous avons donc mené notre recherche au sein de l’équipe du service Education santé de la Direction Santé, dirigée par le Docteur Jean-Jacques Laplante.

6 Plan de la thèse

Notre thèse s’articule autour de trois grandes parties comportant au total huit chapitres. La première partie correspond à la construction de notre objet sociologique qui est centré sur la relation entre sport, association, ruralité et connectivité. Dans le premier chapitre, nous présentons l’ensemble des angles d’analyse de notre objet et nous élaborons notre cadre conceptuel en tentant de justifier notre approche des connectivités sportives associatives rurales. Ce chapitre théorique se termine sur la construction de notre problématique et l’exposition de nos trois grandes hypothèses. Le deuxième chapitre, plus pragmatique, concerne les détours méthodologiques où nous présentons nos choix et les questionnements qui nous ont suivis sur le terrain. Si cette première partie s’appuie moins sur une démarche empirique que sur l’exploitation de références bibliographiques, les deux suivantes doivent essentiellement à l’observation.

La deuxième partie présente le cadre général de notre recherche où les connectivités / dé- connectivités sportives s’inscrives dans une configuration particulière, au sens de Norbert Elias. Le troisième chapitre apporte une description précise des pratiquants sportifs ruraux et des modes d’organisation des associations sportives rurales dont l’ensemble forme cette configuration. Le quatrième chapitre fournit une clef de notre recherche et concerne l’ « esprit club » qui demeure au centre de la configuration.

Enfin, la troisième et dernière partie représente le cœur de notre recherche et s’apparente à une plongée analytique dans la vie sociale des clubs sportifs ruraux où nous étudions l’itinéraire des sportifs ruraux au sein de ces structures, de leur accès à leur sortie. Nous examinons les connectivités/dé-connectivités sportives rurales et leur rapport avec le double processus d’intégration / exclusion. Dans le cinquième chapitre, nous nous centrons sur les éléments de

52 l’engagement dans les associations sportives rurales. Dans le sixième chapitre, nous analysons précisément la structuration des connectivités / dé-connectivités dans et/ou à partir des clubs sportifs ruraux. Dans le septième chapitre, nous tentons d’étudier les enjeux de ces connectivités et nous présentons une construction ideal-typique des connectivités sportives rurales différenciées. Enfin, le huitième et dernier chapitre présente les éléments favorisant l’émergence de dé- connectivités sportives rurales dont nous interrogeons les rapports avec le processus d’exclusion et de marginalisation.

Cette thèse s’achève par une conclusion où nous avons tenté de prendre du recul par rapport à notre parcours d’apprenti-chercheur et dans la synthèse des résultats. Cela nous donne également l’occasion de resituer notre recherche dans le champ de la sociologie.

53

1

ère

Partie

Un objet d’étude centré sur la relation entre

sport, association, ruralité et connectivité

Composée de deux chapitres, l’un théorique et l’autre méthodologique, cette première partie consiste à présenter notre objet d’étude sociologique où, à partir d’une démarche scientifique, il s’agit d’élaborer une problématique de recherche. Dans un premier chapitre, nous précisons et justifions le cadre conceptuel et les dimensions sur lesquelles repose notre travail, à savoir : le milieu rural, le sport et le club. Ainsi, nous déterminons l’angle d’analyse à partir duquel s’articule la thèse c'est-à-dire la construction des connectivités / dé-connectivités dans leurs rapports respectifs avec les modalités d’intégration et/ou d’exclusion. Le deuxième chapitre développe les choix méthodologiques que nous avons effectués pour mener à bien ce travail. Cela nous donne l’occasion, ici, de pouvoir questionner les phases empiriques des recherches en sociologie.

Chapitre 1 : Les connectivités sportives associatives en

milieu rural comme objet d’analyse sociologique

Notre objet d’étude se situe au sein du milieu rural que nous avons présenté comme se trouvant dans une phase de changement social à travers, entre autres, le bouleversement de ses valeurs traditionnelles. La société rurale se trouve donc en pleine recomposition. Aussi, nous envisageons cette recomposition sociale à partir du prisme sportif. L’intérêt de la recherche est de présenter les caractéristiques du sport rural et de l’associer à une lecture plus globale de la société rurale.

Dans ce premier chapitre, il s’agit, pour nous, de fixer le cadre théorique de notre recherche puis de faire émerger un questionnement nous permettant d’appréhender cette recomposition sociale. Tout d’abord, en nous appuyant sur la sociologie du sport, nous définirons ce que nous entendons par sport rural. L’aborder à partir des associations nous conduit, dès lors, dans le champ de la sociologie des organisations sportives. Nous présenterons les différents acteurs, le fonctionnement et l’environnement propre aux associations sportives rurales. La composition de ces structures sociales nous entraînera par la suite dans le champ de la sociologie des liens sociaux.

Effectivement, dans notre travail, nous nous intéressons aux processus par lesquels les individus s’agrègent ou se désagrègent les uns aux autres dans et/ou à partir de ces groupes.

54 De quelle manière les associations sportives participent à la construction ou à la déconstruction de liens sociaux ? Nous porterons notre analyse sous l’angle du concept de « connectivité ».

Dans ce chapitre, nous construirons progressivement le cadre théorique de notre recherche, fruit de l’évolution de notre réflexion afin d’établir la problématique et les hypothèses qui serviront de fil conducteur à notre travail. L’élaboration de notre problématique prendra en compte les normes et les valeurs contradictoires du sport dans notre société. Ainsi, notre questionnement général s’articulera autour de la dialectique d’intégration/exclusion analysée sous l’angle des connectivités. L’hypothèse centrale de notre recherche repose sur le sentiment que les associations sportives en milieu rural participent à la construction ou à la déconstruction de connectivités sportives différenciées, selon des variables issues de trois niveaux d’emboîtement différents : individuel, associatif et sociétal.

1.1 Pour une lecture de la société rurale à travers la