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Chapitre 2 : Détours méthodologiques

3/ Le niveau d’équipement essentiel

2.2 Le travail empirique

2.2.3 L’observation participante

En sociologie et en anthropologie, un débat porte sur les formes à donner à l’observation538. Dans le cas de la « simple » observation, la participation observante, nous nous retrouvons à l’extérieur du groupe pour le décrire539. Dans le cas de l’observation participante, nous cherchons à s’intégrer au groupe, à en faire partie pour mieux l’étudier. Dans la préface de l’ouvrage de Nicolas

537 Encrevé P., Fornel De M., « Le sens pratique. Construction de la référence et structure sociale de l’interaction dans

le couple question / réponse », ARSS, n°46, mars 1983, p.7-8.

538 Pour plus de précisions : Soulé B., « Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications

de la notion de participation observante en sciences sociales », Recherches qualitatives, vol.27, n°1, 2007, p.127-140.

152 Renahy540, Stéphane Beaud et Michel Pialoux indiquent que « la proximité, permise par

l’observation participante, est une arme précieuse pour comprendre les pratiques sociales, elle est même « excitante » au moment où se fait l’enquête car elle donne l’impression de livrer accès aux pratiques à la fois les plus banales et les plus cachées mais souvent les plus décisives pour dépasser la « façade » qu’aiment à offrir d’eux-mêmes les enquêtés. » L’enquête quantitative a renforcé le

sentiment que le football demeure l’activité sportive la plus populaire et la plus historiquement implantée en milieu rural541. Pour approfondir notre enquête, nous avons décidé d’appliquer cette méthode au sein d’un club de football de nos terrains de recherche. Nous avons donc pris part à l’ensemble des temps de la vie du club, qu’ils soient sportifs (entraînements, matchs) ou extra- sportifs (3ème mi-temps, soirée dansante, évènements divers542). Si l’utilisation d’une telle méthode reste délicate, puisque l’implication personnelle du chercheur conduit à une certaine forme de subjectivité, « elle reste néanmoins la seule qui permette, grâce à un changement constant

d’activité, de position hiérarchique, ou de distance par rapport à l’objet, de diversifier le point de vue du chercheur et de rendre compte de la complexité de l’objet étudié.543 » Ce choix n’est pas le fruit du hasard. Il est lié à la complexité de notre champ d’analyse et à la multiplicité des acteurs en présence.

Comme le souligne Rosalie Wax, « tous les observateurs ne sont pas interchangeables et les

caractéristiques de chacun déterminent en partie les milieux qui lui sont accessibles544. » La première étape de la réalisation d’une observation repose sur les relations du chercheur avec le milieu à observer : ses relations extérieures, existantes ou pas, et les caractéristiques propres du chercheur (sexe, âge, classe sociale). En l’occurrence, nous connaissions bien le milieu sportif rural pour en avoir été un acteur. Pratiquant le football depuis de nombreuses années au sein d’un de nos terrains de recherche, nous avons décidé de poursuivre cette activité tout en changeant de statut. Comme le remarque Hugues, « le sociologue note désormais des observations à part entière du

microcosme qu’il étudie. Il observe en tant que membre d’un groupe mais, dès qu’il objective et note ses expériences, il devient nécessairement une sorte de témoin extérieur.545 »

Notre observation participante s’est donc effectuée au sein de l’Association Sportive de Saint-Aubin (ASSA). Nous avons estimé que les spécificités de l’association, posées comme

540 Renahy N., Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, op.cit. 541

Grosjean F., Le football, un élément de structuration de l’espace franc-comtois, op.cit.

542 Le club organise de nombreuses manifestations parmi lesquelles des repas lors du 14 juillet ou lors de la foire du

village, une soirée dansante au mois d’octobre, un loto en février, le réveillon du nouvel an et d’autres activités informelles.

543

Diaz F., « L’observation participante comme outil de compréhension du champ de la sécurité. Récit d’un apprentissage de l’approche ethnographique pour tenter de rendre compte de la complexité du social », Champ pénal, nouvelle revue internationale de criminologie, vol.2, 2005.

544 Wax R. H., Doing field work: warnings and advice, The University of Chicago Press, Chicago, 1971, in Peretz H.,

Les méthodes en sociologie. L’observation, Paris, La Découverte, coll. « Repères », n°234, 2004, p.52.

153 explicatives, dont la valeur de généralité est acquise par la qualité de l’association, permettaient de rendre compte de l’intersection des différents plans de l’organisation sociale546.

Créée en 1943, l’association était à l’origine composée de plusieurs sections culturelles et sportives (athlétisme, gymnastique, arts, football, théâtre)547. Progressivement, les différentes sections ont disparu et dans les années 1960, le football demeura la seule activité de l’association548. Globalement, le club fonctionne avec, en moyenne 140 licenciés par saison dont une cinquantaine de joueurs juniors, seniors et vétérans.

Notre proximité avec le club d’observation a facilité l’accès aux différentes informations concernant l’histoire du club549 (sportive, évolution en terme de licenciés, évènements majeurs, etc.) et a renforcé notre visibilité sur le rôle du club au sein du village en matière de structuration des connectivités et des dé-connectivités. Cependant, Pierre Bourdieu a clairement mis en évidence une limite à cette méthode, à savoir qu’ « on ne peut pas nier la contradiction pratique : chacun sait

combien il est difficile d’être à la fois pris dans le jeu et de l’observer550». La constitution d’une grille d’observation551 nous a permis de faire face à cet écueil. Nous établissions à postériori nos notes, une fois sorti du contexte du club. Outre cette première limite pratique, il était nécessaire de nous positionner, non plus en tant que simple pratiquant, mais en tant que chercheur. Nous devions donc déconstruire un certain nombre de nos représentations ou idées préconçues en changeant notre regard sur les différents évènements de la vie du club. Par ailleurs, la perception de nos coéquipiers, des membres de l’association voire de certains de nos amis, n’a jamais évolué à notre égard. Chacun savait plus ou moins bien quelle était notre situation professionnelle et même après avoir formalisé notre travail auprès du président, comme auprès de tous les autres présidents de la recherche, nos rapports avec les membres du club n’ont absolument pas évolué. D’ailleurs, nous avons toujours entretenu un certain flou par rapport à notre position de chercheur au sein du club et il ne leur a jamais été dit clairement quel était l’objectif de l’étude. Et pour les quelques-uns qui en furent informés, l’intensité avec laquelle ils vécurent les différents instants de la vie du club leur faisait rapidement oublier notre présence au club et notre « œil de sociologue ». Donc aucun biais n’est intervenu suite au changement officiel de notre statut.

Pourtant, comme le signale Beaud et Pialoux, « le revers de la médaille tient à ce que cette

même proximité devient paralysante lorsqu’il s’agit d’écrire sur ce que l’on a observé, d’objectiver ses enquêtés qui sont des proches et parfois même des amis ». Alors, afin de faire face aux possibles

546 Hamel J., « Pour la méthode de cas. Considérations méthodologiques et perspectives générales », op.cit. 547

C’est la raison pour laquelle la Direction des Sports devait l’agréer « Société omnisport et d’éducation Populaire ».

548 Nous verrons ultérieurement l’historique du club en section 4.1 du chapitre 4 549 ANNEXE n°16.

550 Bourdieu P., « Sur l’objectivation participante. Réponse à quelque objections », Actes de la recherche en sciences

sociales, n°23, 1978, p.67-69.

154 biais, nous avons décidé de confronter nos observations par une nouvelle observation participante de quelques mois au sein d’un autre club de football rural552dont nous étions un parfait étranger.