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Parmi les nombreuses fonctions que les sociologues102 reconnaissent au sport, figurent les fonctions manifestes et les fonctions latentes103. Si les premières sont « les conséquences objectives » de la pratique sportive (hygiène de vie, développement musculaire, plaisir ludique, etc.), les secondes relèvent du domaine de l’inconscient. L’instrumentalisation peut alors être comprise comme la prise de conscience des fonctions latentes et leur transformation en fonctions manifestes. L’objet sportif recèle des qualités que les différents acteurs découvrent au gré du temps et des circonstances auxquelles ils s’adaptent lorsqu’ils y voient un intérêt.

101 Le Football Club de Sochaux Montbéliard évolue en Ligue 1 et il est le club qui comptabilise le plus grand nombre

de saisons au plus haut niveau national : 63 saisons (saison 2010/2011 incluse).

102

Voir : Merton R.K., Eléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Plon, 1965.

45

3.4.1 Fonction identitaire

Dans cette perspective, tous ces éléments concourent à doter le sport d'une valeur identitaire. Le sport dans son organisation, témoigne d'une identité rurale. Le club représente la commune et les victoires, à quelque niveau que ce soit, sont vécues comme un succès de la collectivité. Cet engouement autour du club et de l'équipe fanion est d'autant plus fort que les communes à dominante rurale ne proposent pas des panels de disciplines très diversifiées. Comme nous pouvons le voir dans l’article présenté en préambule, l’aventure de l’US Montgermont avait « déclenché une

effervescence jamais connue dans la commune » avec le déplacement de cars de supporters. Leur

victoire en coupe de Bretagne permit aux villageois de s’identifier aux couleurs du club puisque la commune fut « repeinte aux couleurs du club », leur victoire fêtée sur la place du bourg. L’article fait également référence à cet imaginaire identitaire de « l’esprit de clocher » en parlant de « l’éternel rival de Saint Grégoire ». L'émulation populaire autour du club est due, pour une part importante, à son passé. « Dans une discipline soucieuse des hauts faits, d'événements marquants et

d'exploits ressassés…104 », l'ancienneté est un facteur incontournable d'une construction identitaire. L'œuvre des patronages au cours du XXème siècle, a ancré certaines disciplines (football pour les hommes et basket-ball pour les femmes notamment) dans les villages105. Les liens qui unissent les communes à leurs associations doivent leur impact à cette ancienneté.

Toutefois, ce processus d'identification communautaire106 évolue en même temps que le milieu rural lui-même. L'intensification des rapprochements entre club peut être perçue comme une conséquence de l'évolution des populations rurales. Malgré tout, le processus d'entente est plutôt privilégié par les clubs plutôt que la fusion. Cette option semble donc une solution médiane. Elle permet de sauvegarder une identité locale sans pour autant refuser l'apport partiel du voisin dans une entente contractuelle et active. Ce processus renforcerait l’idée selon laquelle l'arrivée de nouvelles populations, à l'attachement communal moindre, favorise le rapprochement avec les voisins. Les derbys y perdant de leur vitalité. Bien évidemment, ce recours trouve sa raison d'être dans la survie plutôt que dans l'ambition sportive en accord avec l'adage populaire qui veut que « l'union fait la force ». En effet, la plupart des clubs déclarent rechercher un développement durable et autonome afin de pérenniser leur club au sein du territoire. L'entente et la fusion sont des obligations et non un choix en vue d'ambitionner une accession à de meilleurs niveaux de pratique. De fait, ces nouvelles associations deviennent les représentantes d'espace plus vaste et les références communales disparaissent des appellations des clubs. Le développement des actions

104 Ravenel L., La géographie du football en France, PUF, 1997. 105

Voir à ce propos : Renahy N., Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, La Découverte, Paris, 2006, Faure J-M, « « Voutré, mon village », le football dans la culture populaire », Terrain, n°32, mars 1999, p.129-142, Bretin K., Histoire du mouvement sportif ouvrier en Bourgogne : un autre regard sur les organisations sportives travaillistes (fin des années 30 – fin des années 70), op.cit.

106

Augustin J-P, Pociello C., Enquête sur les clubs et les pratiques en milieu rural, Conseil Général de Loire Atlantique 2002, 1988.

46 menées par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) (gestion des équipements, animation sportive,…) parallèlement au rapprochement de nombreux clubs constituent peut-être les prémices de l'avènement d'une pratique sportive à cette nouvelle échelle.

3.4.2 Fonction éducative

Que l’on parle d’un euphémique « souci d’éducation107 » ou de ses « […] fortes potentialités

éducatives et sociales108 », la question de la cohésion sociale et ses deux axes que sont l’intégration et l’éducation, constitue le fil rouge de l’instrumentalisation du sport. Au cours de son histoire, le sport dans un contexte d’institutionnalisation, est très vite apparu comme un modèle éducatif, permettant, une intégration dans les groupes d’appartenance et dans la société dans son ensemble. C’est par l’intermédiaire des gymnastiques que l’intégration à la française, basée sur l’assimilation républicaine, a pu s’effectuer109. Mais il faut attendre la politique volontariste gaullienne pour que le sport acquière une légitimité en matière de socialisation, d’intégration et d’éducation. Malgré les résistances, oppositions et conflits, à la fin du XXème siècle, le sport se répand dans toutes les strates de la société, bien relayé par l’Etat. Il devient un modèle d’intégration qui s’est imposé dans le paysage contemporain110. Comme le souligne Nathalie Pantaléon, « les discours communs décrivent

l’activité sportive comme éducative par essence. Les bienfaits de la pratique physique s’appuieraient sur trois dimensions : améliorer les dimensions interpersonnelles, canaliser l’agressivité, dépasser ses limites. Ces trois objectifs permettraient l’apprentissage de la règle sportive devant conduire à l’intériorisation de la règle sociale111 ».

A travers les discours politiques, cette fonction latente d’intégration par le sport tend à se transformer en fonction manifeste, ou, pour reprendre l’expression de Rogers Brubaker, en « catégorie de pratique 112 ». Leur persistance tient sans doute du fait « qu’on lui prête la vertu de

mettre en scène un modèle idéalisé de lien social où la compétition n’empêcherait pas la solidarité en conciliant hiérarchisation et sens collectif 113 ». Ces rôles sont encore très forts aujourd’hui et bénéficient de la vigilance des grandes institutions à le conserver. A ce titre, un pôle « Fonctions éducatives et sociales du sport » qui englobait les domaines de la prévention et de la lutte contre les incivilités et la violence dans le sport est créé en 2003, à la suite des Etats généraux du sport ; pôle

107

Piard C., Education physique et Sports, petit manuel d’histoire élémentaire, L’Harmattan, Paris, 2001.

108 Journal Officiel, Assemblée nationale du 11/05/2004, question 35879 posée à M. le ministre des sports par C.

Estrosi.

109 Arnaud P., Education physique et sport en France (1920-1980), Paris, Broché, 1995. 110

Voir à ce sujet le dossier « L’intégration par le sport ? » coordonné par William Gasparini, Sociétés contemporaines, n°69, mars 2008.

111 Pantaléon N., « Socialisation par les activités sportives et jeunes en difficultés sociales », Empan, n°51, vol.3, 2003,

p.51-53.

112

Brubaker R., « Au-delà de l’identité », Actes de la recherche en sciences sociales, n°139, septembre 2001. L’auteur oppose la catégorie d’analyse à la catégorie de pratique, qui constitue, au sens bourdieusien, de catégories de l’expérience quotidienne, développées et déployées par les acteurs sociaux ordinaires, en tant qu’elles se distinguent des catégories utilisées par les socio-analystes, qui se construisent à distance de l’expérience.

113

Duret P., « Le sport comme je veux et où je veux », in Le nouvel observateur, la ferveur sportive, n°60 Hors-série, octobre-novembre, 2005, p.76-77.

47 qui devint « Sport, Education, Insertion » en 2005. Ainsi, dans son numéro 1476 du 30 octobre 2010, L’équipe Mag titrait « Le sport, c’est du lien social » reprenant les mots issus de l’interview avec Rama Yade114, Secrétaire d’Etat chargée des sports de l’époque, comme si cette catégorie de pensée n’était plus à questionner.

Les discours autour du sport mettent en évidence une idéalisation de la pratique où les aspects négatifs de l’activité physique sont occultés mais les travaux de la sociologie critique du sport115 nous rappellent que le sport est générateur de normes et de valeurs contradictoires. Cette ambigüité est non seulement présente aux niveaux des idéaux eux-mêmes, mais également en terme de décalage entre normes représentées et conduites effectives116. Par sa plasticité, le sport ne doit pas être pensé comme permettant l’éducation et l’intégration par essence, mais comme une instance de socialisation pouvant le permettre. Ainsi, comme le résume David Le Breton, « la pratique

sportive est sujette à d’interminables débats pour savoir si elle a des vertus d’intégration, de socialisation, de renforcement du lien social, ou à l’inverse, de génération de violence et d’agressivité, de repli identitaire étroit 117 ».

4 Un objet de recherche original en sociologie

4.1 Pour une sociologie des connectivités sportives associatives