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3. REPÈRES MÉTHODOLOGIQUES

4.4 Perception et rapport à la liberté

4.4.1 Présentation et analyse des données du premier échantillon

· Une marge de manœuvre plus grande en élémentaire ?

Dans cet échantillon, nous ne disposons que d’une seule source de données par rapport au degré de liberté qui serait plus important en division élémentaire. Le sujet qui s’est exprimé sur cette thématique travaille justement en division élémentaire, et s’estime donc être bien placé pour effectuer ce constat. Comme nous l’avons donc mentionné, aucun sujet de l’échantillon n’est venu le contredire, mais les analyses que nous allons mener par

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la suite démontrent que le degré de liberté ne serait pas vraiment dépendant de ce facteur.

· Disparition du besoin de reconnaissance : un indice qui marquerait le début de la liberté ?

Par rapport à la disparition progressive du besoin de reconnaissance, un enseignant s’exprime sur le sujet. Pour lui, la reconnaissance de la hiérarchie est quelque chose qui était très important en début de carrière, et qui est progressivement devenu moins important, dû à l’expérience selon les mots du sujet concerné. Pour faire un lien avec ce que nous avons construit dans notre cadrage conceptuel, nous nous référons ici à Huberman et al. (1989). Rappelons que ces auteurs ont essayé de dessiner les grandes tendances des enseignants en termes de parcours identitaires. Au sein de ces parcours, ils ont défini certaines phases qui, si elles se diversifient d’un enseignant à l’autre et au fil de la carrière, restent plus ou moins communes jusqu’à la phase dite de « stabilisation », phase que nous allons convoquer pour tenter de mieux comprendre la position du sujet interrogé (cf. p.16 pour avoir accès au schéma proposé par les dits auteurs). Toujours selon ces mêmes auteurs, cette phase est caractérisée par un sentiment de confort et surtout de confiance, sentiments acquis suite aux premières années d’expérience, expérience qui rappelons-le, a été notifiée par le sujet comme étant à l’origine de la disparation du besoin de reconnaissance. Et en effet, forts de ces divers éléments et plus particulièrement de l’expérience engrangée, les enseignants qui rentrent dans cette phase recentrent leur attention sur leur priorité première, à savoir : la classe et leurs élèves, et non plus sur eux-mêmes, ou en tout cas sur leur degré de conformité au sein du groupe enseignant. Nous ne sommes pas ici entrain de dire que la reconnaissance disparaît complètement, car elle reste selon nous une composante à prendre en considération dans toute relation humaine. Cependant, peut-être que celle-ci devient plus « interne » à l’enseignant dans le sens où il trouve peut-être d’autres moyens et aussi peut-être d’autres sources pour avoir ou obtenir une forme de reconnaissance.

· De quelques dérives d’une liberté trop grande

Lorsque la thématique de la liberté a été évoquée au cours des entretiens par un enseignant, cette dernière a été mentionnée en référence à un temps passé. Non pas que la liberté n’existe plus aujourd’hui et nous reviendrons sur ce fait plus tard, mais c’est comme si elle avait existé auparavant sous une autre forme, une forme qui peut parfois prendre des allures de « paradis perdu » lorsque le contraste est effectué avec la période présentement vécue. En effet, la liberté a été mentionnée comme étant beaucoup plus

grande au début de la carrière de l’enseignant interrogé. Toujours selon les dires du sujet, cette grande marge de manœuvre avait comme point positif une plus grande ouverture laissée à la construction de soi, construction facilitée par une « latitude de décision » beaucoup plus grande. Cette affirmation nous permet ici d’intervenir en convoquant l’idée défendue par Mireille Cifali in Jacquet-Francillon (1997), idée selon laquelle le fait que l’on puisse se déterminer seul n’est qu’une illusion : nous avons certes besoin d’une liberté, mais il faut que cette dernière soit cadrée dans un espace, espace qui permet la détermination qui faisait initialement défaut.

D’ailleurs, l’enseignant interrogé reconnaît que malgré le fait que certains bénéfices puissent être trouvés par rapport à une part de liberté aussi grande, des dérives pouvaient également être observées. En effet et en lien avec la liberté très grande qui semblait être accordée, peu de contrôle était réalisé sur ce que les enseignants construisaient réellement à partir de cette liberté. Ainsi et comme le dénonce l’enseignant, certains praticiens ne faisaient pas grand-chose, ce qui avait pour conséquence le fait que l’équité de traitement pour les élèves n’était pas forcément au rendez-vous :« C’était peut-être même trop ouvert parfois, on était très peu contrôlés y’a des gens qui faisaient pas grand-chose non plus » (annexe 5, ens.4, p. 198).

· De quelques solutions pour préserver une part de liberté

Par rapport à une contrainte définie actuellement comme plus pesante par deux des enseignants interrogés dans l’échantillon, nous pouvons également faire un lien avec ce que nous avons précédemment développé.

Mais tout d’abord, revenons sur cette fameuse phase de « stabilisation » que nous avons convoquée chez Huberman et al. (1989), et à laquelle Tap (1980) cité par Gohier et al.

(2001) ajoute une caractéristique. En effet, ce dernier symbolise l’entrée dans cette phase par le passage, ou en tout cas la mise en œuvre du phénomène qu’est l‘identisation, phénomène lui-même caractérisé par la possibilité pour le praticien de se distinguer au sein de sa profession. Cette distinction se matérialiserait non seulement par un souci moins important de conformité (cf. paragraphe sur la disparition du besoin de reconnaissance), mais aussi et surtout par un rapport différent aux assignations externes par rapport auxquelles il s’agirait dorénavant plus de s’adapter que de se soumettre.

Pour faire le lien à la fois avec nos données et avec ce que nous avons précédemment développé, nous pouvons observer que l’adaptation peut se manifester dans l’interprétation qui est faite de ses assignations, interprétation qualifiée de « stratégie d’évitement » (annexe 5, ens.2, p. 199) par un des sujets. De fait et par cet usage interprétatif, les applications de la contrainte deviennent colorées en fonction de la manière dont chacun des praticiens a de les habiter. Ces derniers se donnent ainsi une

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liberté qui reste malgré tout contenue dans le cadre, défini comme étant tout aussi nécessaire au bon fonctionnement humain que ne l’est la liberté, comme nous le rappelle Mireille Cifali in Jacquet-Francillon (1997).

4.4.2 Présentation et analyse des données du second groupe

· Une marge de manœuvre plus grande en élémentaire ?

Concernant la comparaison du degré de liberté entre les deux divisons élémentaire et moyenne, les enseignants de notre second échantillon ont exposé des points de vue somme toute assez divergents au sein même de l’échantillon.

Tout d’abord, un enseignant exprime le fait qu’en 20 ans, et bien que la division élémentaire ait toujours été connue pour accorder une liberté plus grande à la fois aux élèves et à l’enseignant, le cadre s’est malgré tout rigidifié, laissant ainsi moins de temps pour investir personnellement la profession. En cela, cet enseignant vient contredire les propos tenus par le seul enseignant du premier groupe qui s’est exprimé sur la question et qui estimait que le degré dans lequel un enseignant est amené à pratiquer, est un facteur qui influe sur son degré de liberté. Notons que l’enseignant interrogé a réalisé ce constat sur la base d’une expérience professionnelle l’ayant fait passer d’abord dans le cycle élémentaire, puis en division moyenne, avant de revenir au cycle élémentaire. Ce parcours professionnel lui permet ainsi de comparer son métier à deux moments différents aussi bien d’un point de vue contextuel que professionnel.

Parallèlement et toujours en contradiction avec l’image assez souple et assez peu structurée qui semble être véhiculée par l’enseignant du premier groupe, un autre enseignant de division élémentaire interrogé dans le second groupe fait état d’une forme de pression qui a toujours été plus importante pour lui en division élémentaire. Pour ce dernier, les responsabilités qui pèsent sur ses épaules concernant l’assimilation des apprentissages de base par les élèves, sont considérées comme beaucoup plus pesantes.

Notons que cet enseignant a également enseigné dans les deux divisions durant sa carrière.

Pour finir, les deux derniers sujets se représentent la division élémentaire comme ayant pour visée d’atteindre des objectifs plus globaux et donc moins denses, ce qui laisse une liberté beaucoup plus grande à l’enseignant. Un des deux enseignants met également en évidence le fait que ces objectifs globaux sont plus reliés à une forme de construction sociale qu’à des apprentissages disciplinaires. Concernant ces deux enseignants, il est à noter que leur expérience professionnelle n’inclut pas d’enseignement dans la division

élémentaire, ce qui est peut-être à l’origine de leur perception de cette division, perception qui pourrait à nouveau être mise en lien avec l’enseignant du premier groupe s’exprimant sur la question.

En résumé, ces divergences de point de vue semblent ici prendre racine à différents endroits. Premièrement dans le manque d’expérience de la division, qui engendre donc une représentation et non la réalité de ce qui y est réalisé et construit avec les élèves.

Ensuite, dans la possibilité pour un des sujets de comparer cette liberté pour l’avoir vécue sous des formes différentes à plusieurs années d’intervalle. Et enfin, dans la possibilité pour deux des sujets de « mesurer » le degré de liberté en division élémentaire par rapport à la division moyenne, pour avoir eu la possibilité d’exercer au sein de ces deux divisions.

· Disparition du besoin de reconnaissance : un indice qui marquerait le début de la liberté ?

La disparition ou en tous cas l’atténuation du besoin de reconnaissance est évoquée par deux enseignants sur trois comme étant liée à l’acquisition d’une expérience grandissante au fil des années d’enseignement. En lien avec notre cadrage théorique et tout comme pour les sujets du premier échantillon, l’expérience est donc à nouveau mise en avant comme un moyen de prendre du recul et de redéfinir les priorités de son enseignement.

Ce moment de la carrière semble donc pouvoir être lié à la phase de « stabilisation » évoquée par Huberman et al. (1989), phase durant laquelle les enseignants ayant acquis une forme de confiance et un sentiment d’assurance quant à leurs compétences, semblent être plus à même de se distinguer de leurs pairs en dévoilant une part plus importante de leur identité propre.

Ce qui s’est en revanche révélé surprenant, réside dans la mention par un des sujets non pas de la disparition du besoin de reconnaissance, mais du déplacement de ce besoin vers un autre public qui n’est pas forcément celui auquel on pourrait s’attendre : les parents.

Cette affirmation laisse sous-entendre que l’enseignant aurait toujours un besoin de reconnaissance peut-être plus accru à certains moments de sa carrière qu’à d’autres (cf. la reconnaissance intériorisée dont nous avons parlé pour nos premières données), mais démontre aussi que cette reconnaissance n’est pas forcément toujours recherchée au sein d’un public possédant une position hiérarchiquement plus haute que celle de l’enseignant.

· De quelques dérives d’une liberté trop grande

Pour deux des enseignants interrogés, l’âge d’or de la liberté semble, par comparaison avec la situation actuelle, se situer plutôt au début de leurs carrières respectives. Tout

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comme c’est le cas pour un des enseignants interrogé dans le premier groupe, le métier d’enseignant semble avoir été plus agréable il y a quelques années en arrière. Un des deux enseignants du second groupe confesse d’ailleurs que les enseignants étaient à l’époque qualifiés de « petits indépendants » (annexe 6, ens.1, p….), ce qui justifie donc cette impression qu’ils pouvaient avoir d’être « les maîtres à bord », semblant pouvoir organiser leur profession et son exercice comme bon leur semblait.

Cependant, cette liberté a un coût. En effet, chacun des deux enseignants renforce l’idée de limite liée à ce « trop plein » de liberté, limite déjà mentionnée par le premier groupe.

Le premier enseignant met en avant le fait que par manque de contrôle sur ce qui était fait, l’équité de traitement n’était pas garantie pour les élèves, et dépendait grandement de la personnalité de l’enseignant et de son investissement au sein de sa profession. Le second souligne la difficulté qui pouvait parfois être rencontrée pour se construire professionnellement parlant, au sein de cette liberté qui paraissait être sans grandes limites. Pour exemplifier cela, le même enseignant et un autre sujet mentionnent la difficulté qui pouvait être rencontrée face aux programmes à l’époque très vastes et très larges : certes la place laissée à l’investissement personnel était importante, mais comment construire quelque chose de solide si aucune contrainte n’est posée ? Ce questionnement nous permet à nouveau ici de mettre en évidence la cohabitation nécessaire entre contrainte et liberté, cohabitation sur laquelle Mireille Cifali in Jacquet-Francillon (1997) a fortement insisté, dénonçant même l’idée selon laquelle les individus puissent se déterminer eux-mêmes, comme étant une illusion.

· De quelques solutions pour préserver une part de liberté

Après avoir montré les avantages et les limites d’une grande liberté qui semblait être le pain quotidien des enseignants au début leur carrière, revenons à présent à la pratique de leur profession actuellement. Sont-ils trop contraints ? La liberté n’est-elle vraiment qu’un lointain souvenir ?

Pour faire le parallèle avec le manque de garantie qui semblait être dénoncé relativement au début de la carrière des enseignants, l’un d’entre eux évoque la contrainte comme permettant d’éviter certains dérapages. Cependant tout comme la liberté, cette contrainte semble avoir un coût pour cet enseignant, qui estime y voir ainsi la possibilité d’investir sa profession de manière personnelle, comme étant réduite à néant.

Par rapport à ce constat, tous ne sont pas d’accord et les contre-arguments prennent principalement deux directions. La première est relative à la mise en lumière de la singularité de chacun des enseignants, renforçant ainsi la position partagée par les

enseignants du premier groupe. Selon les enseignants qui s’expriment, peu importe la contrainte exercée, la singularité de chaque enseignant trouvera toujours la possibilité de s’exprimer et ce, déjà rien que dans la manière de rentrer dans un moyen d’enseignement pour ne donner qu’un exemple. Selon eux, la situation n’est donc pas si dramatique que cela, surtout si on la compare à d’autres pays : « on n’est pas encore comme dans certains pays comme c’est le cas je crois au Québec où ils reçoivent le programme en début de semaine et chaque heure ce qu’on fait et chaque exercice» (annexe 6, ens.2, p. 240-241).

La seconde réponse nous paraît être plus construite dans la pensée des enseignants qui la mentionnent, puisqu’elle fait référence à la mise en œuvre de stratégies pour contourner la contrainte et la transformer (cf. la stratégie relative à l’apposition de commentaires dans les carnets scolaires). En lien avec ce que nous avons exposé dans notre cadrage théorique et par rapport à l’analyse des données de notre premier groupe, l’utilisation de ces stratégies reflète une adaptation des enseignants par rapport à la contrainte. Bien évidemment, cette adaptation est réalisée par le biais d’une interprétation qui sert principalement les intérêts qui sont les leurs, tout en respectant malgré tout ce qui est demandé. Ici, nous pouvons faire référence aux propos tenus par Sikes et al. (1985) dans Gohier et al. (2001). En effet, ces auteurs avancent qu’entre le refus et l’intériorisation totale, existent des « compromis stratégiques ». Ces compromis sont issus à la fois d’un ajustement et d’une redéfinition, éléments qui permettent donc aux enseignants de poursuivre leurs objectifs sans avoir l’impression d’être écrasés sous la contrainte.

4.4.3 Synthèse

En regroupant les données relatives à nos deux échantillons ainsi que les analyses qui ont été effectuées, nous pouvons ressortir quelques éléments sur lesquels nos deux échantillons semblent se rejoindre.

Tout d’abord et comme nous en avons fait mention dans la présentation et l’analyse des données du premier échantillon, il ne semble pas que le degré de liberté soit dépendant de la division à l’intérieur de laquelle un enseignant est amené à pratiquer. Pour justifier cela, il suffit de se référer au profil d’un des enseignants qui, ayant enseigné en division élémentaire à deux reprises au cours de sa carrière avec une intervalle de plusieurs années entre ces deux expériences, a perçu des différences en termes de liberté qui lui était accordée ou non.

Par ailleurs, la majorité des enseignants ont semblé se rejoindre dans l’idée que même si la liberté peut être un idéal que l’on souhaite atteindre, cet idéal n’en est pas toujours un, puisque la liberté totale rencontre aussi ses limites.

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Par la suite et au fil des analyses, nous avons pu mettre à jour d’autres facteurs rentrant en ligne de compte par rapport à ce degré de liberté plus ou moins important. Tout d’abord, le contexte ou autrement dit la période à laquelle on se réfère dans la carrière d’un enseignant semble être un facteur important. En effet, certaines périodes semblent être plus marquées par des contraintes qui, du fait par exemple de leur successivité, donnent l’impression d’une liberté très réduite et d’une contrainte écrasante. Par la suite, nous voulons souligner l’importance de la perception de la liberté et de la contrainte, ainsi que de l’équilibre qui doit ou non être trouvé. Enfin, nous mentionnons encore une fois ici l’expérience à la fois personnelle et professionnelle de chacun des individus. En effet, nous pensons qu’en fonction de cette dernière, les enseignants se donnent une liberté plus ou moins grande, en mettant notamment en œuvre diverses stratégies.

Ces facteurs peuvent être pris en considération pour eux-mêmes, mais peuvent également se combiner les uns avec les autres, engendrant ainsi une définition différente du degré de liberté des enseignants. Par exemple, un enseignant qui évoque un contexte dans lequel les contraintes n’ont pas été introduites en grand nombre et dans un temps restreint, n’évoquera peut-être pas la mise en œuvre de stratégies pour se donner une forme de liberté, étant donné que la contrainte n’est à ce moment-là pas perçue comme quelque chose qui entrave la liberté.