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3. REPÈRES MÉTHODOLOGIQUES

4.3 Positionnement par rapport à l’évolution / au changement

4.3.1 Présentation et analyse des données du premier groupe

Après avoir analysé les propos des sujets de notre premier groupe autour de la question de leur positionnement par rapport à l’évolution et/ou au changement qui constitue une partie de notre second « bloc » de questions, nous avons relevé que ces dernières sont envisagées par nos interviewés sous quatre angles principaux :

- L’évolution : une manière d’aller toujours de l’avant ? - L’évolution : une manière d’être libre ?

- L’évolution : un effet papillon ?

- L’évolution : un phénomène auquel il faut se soumettre

Dans ce chapitre, il va donc tout d’abord être question d’analyser plus en profondeur la matérialisation de ces sous-thématiques dans les propos du premier groupe interrogé (cf.

annexe 5, pp. 177-211). Dans un second temps, il s’agira de mettre en parallèle ces données avec celles du second groupe pour voir dans quelle mesure elles se rejoignent, se complètent, divergent, etc. (cf. annexe 6, pp.212-266).

· L’évolution : une manière d’aller toujours de l’avant ?

Dans notre premier échantillon, trois enseignants sur quatre envisagent certes l’évolution comme une possibilité d’aller de l’avant, mais dans les deux sens du terme. Estimant qu’il faut toujours garder une forme d’esprit critique par rapport aux changements, ces enseignants perçoivent bien l’évolution comme une manière d’aller de l’avant, mais aussi de retourner en arrière, ou en tout cas d’aller sur quelque chose de différent si les bénéfices de cette évolution ne sont pas remarquables : « Pour moi évoluer c’est donc avancer, si on avance et qu’on évolue on le fait pas n’importe comment, on y réfléchit.

Donc si on réfléchit à ce qu’on va faire, on va le faire le mieux possible donc normalement on devrait pas retourner en arrière. Maintenant si on avance des choses puis qu’on s’est plantés et puis que ce qu’on a voulu mettre en place n’est pas adéquat, il faut pouvoir aller en arrière donc c’est ambigu » (annexe 5, ens.1, p. 191). En revanche, un des sujets met en évidence que ces mouvements d’avant en arrière ne sont pas applicables à tous les changements. Pour exemplifier cela, il donne deux exemples. Le premier est un exemple relatif à l’évolution de la société, et au fait que les enseignants doivent maîtriser de nouvelles compétences notamment technologiques « pour être à la page ». Ici, nous pouvons nous référer à un constat que nous avons précédemment déjà réalisé quant à l’école et à ses liens avec la société : l’école n’est pas une structure qui fonctionne indépendamment de la société ; les changements qui ont lieu en dehors de l’école ont des

répercussions sur ce qui se passe à l’intérieur de l’école. L’école avance donc avec la société, ce qui rend un retour en arrière peu envisageable. Le second exemple donné est celui des méthodes de lecture qui, n’étant jamais vraiment complètes, sont parfois amenées à retourner sur des méthodes qui avaient un temps été laissées de côté.

· L’évolution : une manière d’être libre ?

Trois enseignants sur quatre font mention du fait que pour eux, l’évolution s’accompagne toujours d’une forme de liberté qui peut trouver une place dans l’adaptation qui est faite par rapport aux changements, et qui doit trouver cette place parce qu’ils travaillent avec de l’humain, domaine dans lequel l’application pure et dure n’est pas envisageable : « […]

on fera avec l’obligation à sa manière, et chacun fait de manière différente » (annexe 5,ens.4, p. 194). Ces considérations nous permettent de faire un lien avec ce que nous avons souligné dans notre cadrage théorique en nous basant notamment sur Tardif et Lessard (1999) ainsi que sur Monetti (2002), par rapport à la question de l’adaptation qui est faite par les enseignants, par rapport notamment aux assignations externes. En effet, et ce même de manière tout à fait involontaire, il y a toujours une forme d’interprétation qui est faite par rapport à ces assignations, interprétation qui ne pourra jamais correspondre trait pour trait ni à ce qui était prévu à l’origine par les auteurs, ni aux interprétations qui pourront être faites par des collègues.

Ce sont d’ailleurs en partie ces interprétations qui, au fil du temps, permettent à la profession de se déplacer selon une orientation qui n’est pas forcément celle qui était initialement prévue (Tardif et Lessard, 1999). Pour résumer ce positionnement, chacun fait à sa manière et comme chacun fait de manière différente, le terme d’exécutant qui est parfois employé pour définir les enseignants n’a pas de sens, puisque ces derniers s’approprient de façon critique les contenus (Monetti, 2002).

Cependant, tous ne partagent pas forcément cet avis. En effet, deux enseignants de notre échantillon définissent cette liberté d’adaptation comme n’étant qu’une illusion. Pour justifier ce positionnement, chacun d’entre eux relate une expérience durant laquelle ils ont été amenés à remettre en cause l’introduction d’un changement. Dans les deux cas, ils ont d’abord eu l’impression de pouvoir exercer une forme de liberté en proposant une alternative ou en exposant les raisons de leur opposition, mais très vite, cette dernière a été mise de côté au profit d’une application de ce qui avait été initialement prévu. Par conséquent, ces enseignants mettent en évidence que si une forme de liberté a à un moment donné été présente, elle n’a été que très limitée dans le temps, ce qui pose la question suivante : « à quoi bon chercher si de toute façon on nous impose des choses ? » (annexe 5, ens.3, p. 194). Notons que suivant la nature de la réponse à cette question, les dérives pourraient se révéler assez importantes.

Laura GOSTELI | Septembre 2013 67

· L’évolution : un effet papillon ?

Dans l’idée que si un élément change, tout change, un enseignant semble se rapprocher d’une vision systémique de l’action enseignante. Cette approche pourrait être reliée au chapitre précédent concernant les expériences personnelles et professionnelles qui peuvent avoir une incidence sur l’identité de l’enseignant. C’est d’ailleurs ce même enseignant qui a évoqué le fait d’avoir eu des enfants comme ayant changé sa vision des choses. Cette expérience a donc été intégrée à un système, qui en a de fait, été modifié :

« Si le regard qu’on peut avoir sur quelque chose évolue, la manière dont on va se positionner, dont on va interagir va évoluer et donc autour ça évolue » (annexe 5, ens.1, p. 195).

Toujours en lien avec ce que nous avons évoqué dans le chapitre précédent mais cette fois par rapport aux changements externes, un enseignant fait ici état d’une transformation au niveau social (l’usage de nouvelles technologies), qui a des impacts au niveau de l’école puisque les enseignants doivent suivre le mouvement.

· L’évolution : un phénomène auquel il faut se soumettre

Enfin, un enseignant de l’échantillon estime qu’il doit se soumettre aux changements introduits dans la profession. Il justifie son positionnement en lien avec son statut d’employé ayant un contrat à remplir, et des obligations envers son employeur. Il dit se satisfaire des évolutions positives, et essayer de tirer le meilleur de celles qui pourraient l’être un peu moins.

4.3.2 Présentation et analyse des données du second groupe

· L’évolution : une manière d’être libre ?

L’idée de liberté dans l’adaptation par rapport aux changements est ici renforcée par trois enseignants sur quatre. En lien avec l’expérience acquise au fil des années et dont nous avons défini au chapitre précédent qu’elle pouvait être à l’origine des changements, deux enseignants se rejoignent autour de cette idée en évoquant notamment la liberté qui peut être prise quant à l’utilisation des outils, et notamment des moyens d’enseignement. En effet, si de nouveaux moyens d’enseignement sont imposés pour enseigner le Français, la manière de rentrer dans ces moyens et de se les approprier, est propre à chacun. Ainsi et comme le dit un des enseignants, le même matériel ne pourra jamais être exploité de la même manière d’un enseignant à l’autre.

Dans la même idée, un autre enseignant mentionne le fait que bien que les objectifs soient imposés par degré, les manières de les atteindre sont l’occasion de l’expression d’une certaine forme de liberté.

On voit donc bien ici que par rapport à une contrainte ou à une assignation externe, une forme de liberté semble toujours être de mise. Parfois, celle-ci peut même prendre des allures de stratégies (aspect sur lequel nous reviendrons en lien avec la thématique de la liberté). A titre d’exemple, un enseignant évoque une manière qu’il a eu de contourner une injonction qu’il avait à respecter concernant l’apposition de commentaires dans les carnets scolaires : « à partir du moment où une directrice a décidé que maintenant il fallait mettre des commentaires, et bien on met des commentaires, il y a pas le choix. Par contre on met encore les commentaires qu’on veut. Donc si de dire : « Bravo », c’est un commentaire et ben voilà » (annexe 6, ens.2, p. 233).

Pour terminer, un enseignant du second échantillon fait apparaître une dimension qui n’a pas été évoquée auparavant dans le premier groupe. En effet, ce dernier souligne en lien avec ce que nous avons développé dans notre cadrage conceptuel, que bien que la volonté des autorités soit celle d’une uniformisation des enseignants pour assurer une forme d’équité de traitement chez les élèves, cette dernière est quasiment impossible à mettre en œuvre. Même avec toute la bonne volonté du monde, les enseignants ne peuvent pas se ressembler traits pour traits étant donné qu’ils ont chacun leur personnalité et leur manière de s’approprier les contenus (Monetti, 2002).

En revanche, et même si l’uniformisation totale n’est pas envisageable, il reste néanmoins que certains d’entre eux ressentent une liberté qu’ils définissent comme étant réduite. En cela, ils rejoignent les propos des enseignants du premier groupe, notamment par rapport à la question de la lutte ou de la remise en question de certains choix institutionnels.

D’ailleurs et par rapport à cette question, un enseignant estime gagner de l’énergie à ne pas lutter face aux changements mais plutôt à les accepter et à « faire avec », et un autre fait état d’une forme de pression qui ne l’empêche pas d’être libre, mais qui ne rend pas cette liberté totale. Notons d’ailleurs à ce sujet que cet enseignant se différencie par le fait qu’il est le seul à faire mention d’une forme de peur qu’il n’arrive pas très bien à définir, mais qui est pourtant existante : peur de quoi et peur de qui ? Ni lui, ni nous ne sommes vraiment en mesure de le définir : « les dissidents sont non seulement mal considérés mais n’ont plus la possibilité de le faire au risque de…. Je ne sais même pas au risque de quoi d’ailleurs : au risque de » (annexe 6, ens.2, p. 235).

Laura GOSTELI | Septembre 2013 69

· L’évolution : un effet papillon ?

A nouveau en lien avec ce que nous avons évoqué au chapitre précédent sur les changements extérieurs à l’école mais avec des répercussions sur l’école et sur les enseignants, deux enseignants approfondissent les éléments mis en évidence par le premier groupe en parlant de la reproduction sociale qui peut exister au sein d’une classe.

Le premier fait mention d’une « société zapping », à l’intérieur de laquelle les élèves ont de la peine à s’investir dans des tâches ou dans des projets et ce, du début à la fin. Ce constat oblige l’enseignant à s’adapter en devant parfois faire preuve d’une grande imagination pour contourner cette difficulté.

Une adaptation est également à effectuer pour un autre enseignant qui retrouve aussi une forme de reproduction à l’école, de ce qui se passe dans la société. Pour lui, la société et donc l’école ont des attentes de plus en plus fortes, ce qui engendre une forme de compétitivité quant à la performance à la fois des élèves, mais aussi de l’enseignant qui doit être de plus en plus compétent.

· L’évolution : un phénomène cyclique ?

Les enseignants de cet échantillon se sont différenciés en développant une autre perception de l’évolution, non envisagée par le premier groupe. D’un point de vue extérieur, on pourrait penser qu’au vu de l’image positive ou négative que les enseignants dépeignent de la profession, cette dernière ne peut évoluer qu’en meilleur ou qu’en pire par rapport à l’image ainsi construite. Cependant et d’après les données traitées, tous les enseignants ne sont pas forcément du même avis. C’est ainsi que dans le second groupe, deux enseignants définissent l’évolution comme étant un phénomène cyclique, avec des périodes plus ouvertes que d’autres. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette perception est peut-être un moyen de se rassurer en se disant que les mauvaises périodes ne sont que des mauvais moments à passer, et que les périodes plus agréables se répéteront plusieurs fois au cours de la carrière.

4.3.3 Synthèse

Par rapport à cette thématique, nous serions assez tenté de dire que les deux échantillons se rejoignent principalement sur deux points.

Tout d’abord, l’évolution n’est pas quelque chose qui est irréversible. Elle peut aller dans un sens comme dans l’autre. Le fait que chaque dimension qui bouge ait un impact sur les autres, empêche cette évolution d’être toute tracée et ne permet donc pas de dire si

l’avenir sera forcément meilleur ou pire que le présent, ce qui soit dit en passant, est plutôt bénéfique pour la profession car étant donné l’avenir parfois très sombre qui lui est prédit dans les médias, elle pourrait très vite être désertée.

De plus, et si il est vrai que l’enseignant ne peut pas être maître de l’évolution de sa profession, il peut tout de même contribuer à cette évolution en s’adaptant à ce que cette dernière lui propose. En effet, et même si il peut avoir l’impression que notamment dans les rapports avec la hiérarchie sa liberté est une illusion, il reste quand même que dans sa classe et peut-être même sans en être forcément conscient, l’enseignant s’accorde la liberté que d’autres ne lui ont pas donné, en s’adaptant et en s’appropriant de manière singulière à ce qu’on lui impose de manière inconditionnelle.