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5. EPILOGUE

5.1 Pour faire le point …

Arrivant bientôt au terme de notre épopée scientifique, nous allons ici revenir sur les résultats que nous avons obtenus suite à l’analyse des données relativement à chacun des échantillons, mais aussi relativement à la mise en lien de ces deux échantillons. L’objectif est donc ici celui de retourner aux questions de recherche qui ont orienté tout notre processus, afin de faire état de ce que nous avons trouvé par rapport à chacune d’entre elles.

· Comment les enseignants définissent-ils leur identité professionnelle ?

Au départ, nous aurions pu penser que la définition d’une identité professionnelle aurait pu être un moyen de rassembler les enseignants autour d’une même conception du métier et de la manière dont les praticiens l’exercent. Cependant, et bien que les définitions obtenues ne soient pas complètement à l’opposé les unes des autres, il semble tout de même que déjà à l’intérieur de cette identité, les enseignants puissent marquer leur différence et se singulariser. En effet, nous avons pu mettre en évidence que cette identité est composée notamment des ingrédients suivants : des compétences qui

« s’acquièrent » tout au long de la carrière, et qui se complexifient en termes de définition.

Pour redonner l’exemple précédemment utilisé, la compétence relative à l’autorité passe du statut d’une bonne entente avec les élèves, à un statut beaucoup plus complexe où les termes manipulation, confiance, respect et distance entrent en ligne de compte. Toujours par rapport à ces compétences, il s’agit de faire preuve d’une adaptation permanente. En cela, le métier d’enseignant exige de la part de ses praticiens un apprentissage perpétuel dans l’adaptation de nouvelles situations créées en partie par des changements sociaux ou politiques (changements dits « externes » dans notre propos). Autre élément à prendre en considération : des phases de développement plus ou moins importantes de cette identité, phases qui ne sont pas vécues au même moment et par l’ensemble des enseignants (Huberman et al., 1989). Et pour terminer, des expériences personnelles ou professionnelles qui engendrent des transformations à la fois sur les contextes agis, mais aussi sur les enseignants qui expérimentent ces contextes (Zeitler et Barbier, 2012 ; Barbier 2013).

L’identification de ces différents ingrédients nous permet de dire que même du côté des enseignants, une identité professionnelle ne peut pas être définie une fois pour toute. En

effet, elle se construit et se reconstruit en fonction de ces différents ingrédients et de leurs combinaisons.

· Comment les enseignants définissent-ils leur identité personnelle ?

En lien avec la définition d’une identité professionnelle comme débutant sa construction à l’entrée dans la profession, mais n’aboutissant jamais réellement à une définition complète et aboutie, nous pourrions paradoxalement donner à l’identité personnelle un statut préexistant à l’identité professionnelle.

En effet, et avant même de commencer à enseigner, il semble que certains enseignants auraient une forme de facilité par rapport à l’un ou l’autre des aspects de la profession.

Nous avons vu qu’il était difficile pour les enseignants de définir les raisons de l’existence de ces facilités, mais il s’avère que ces dernières existent comme en témoigne le fait que lorsqu’un enseignant réfléchit à l’autorité qu’il va devoir construire en classe avec ses élèves, l’autre l’impose de manière dite « naturelle ». Le gain, si on peut le définir ainsi, se trouve donc dans l’énergie que l’enseignant devra dépenser pour réfléchir à la mise en œuvre de certaines de ses compétences.

Par ailleurs, l’identité personnelle est clairement définie comme étant la possibilité d’exprimer sa personnalité, sa différence, sa manière de s’adapter aux changements et aux contraintes, colorant ainsi la profession et ses codes d’une manière singulière.

Enfin, l’expérience est aussi un concept qui va avoir des impacts sur cette identité. Nous avons notamment évoqué des expériences personnelles telles que le fait d’avoir des enfants ou encore d’avoir des passions en dehors de l’école. Nous avons ainsi démontré, tout comme cela est le cas pour tous types d’expériences, que le fait d’expérimenter et de garder la mémoire de cette expérimentation, change la vision que les enseignants pouvaient avoir auparavant sur la situation expérimentée.

Ces divers éléments nous permettent donc de mettre à jour le fait que si l’identité personnelle a déjà débuté sa construction avant l’entrée dans la profession, elle se poursuit également tout au long de la carrière. En effet, ce n’est pas parce que l’individu devient enseignant qu’il cesse d’être un père de famille, un ami, un oncle ou un mari qui va vivre des évènements heureux ou moins heureux, évènements qui vont le marquer intérieurement et qui, parce qu’il travaille quotidiennement avec de l’humain, ne pourront pas être mis de côté. Bien évidemment, ces évènements ne devront pas avoir des effets négatifs sur les élèves et leurs apprentissages, mais certaines des situations auxquelles l’enseignant sera amené à être confronté feront peut-être écho à ces choses vécues, choses desquelles il pourra peut-être tirer profit pour surmonter la difficulté.

Laura GOSTELI | Septembre 2013 99

· Comment ces deux identités s’articulent-elles l’une à l’autre ?

En fonction des différents facteurs que nous avons défini, nous avons mis en évidence que ces deux identités évoluaient au fil du temps. Parfois, l’une évolue plus rapidement que l’autre, parfois l’une prend le pas sur l’autre, mais à chaque fois, on peut repérer les indices de leur présence commune. Leur articulation semble donc être une nécessité.

Toute la difficulté réside peut-être dans la capacité à trouver le juste équilibre, le bon compromis entre les deux, afin qu’il y ait une avancée professionnelle du praticien.

Comme nous l’avons également mentionné, cet équilibre ne peut pas être trouvé une fois pour toute et doit s’adapter aux situations rencontrées par l’enseignant. C’est donc en cela que, face à certaines situations et en lien avec la résonance de situations vécues, l’enseignant fera plus appel à son identité personnelle qu’à son identité professionnelle, et vice versa.

Pour terminer, nous voulions simplement revenir sur l’imbrication très forte qui existe donc entre ces deux identités, en l’illustrant par les propos tenus par un des enseignants du premier échantillon : « La vie m’a transformée, donc la profession aussi parce que c’est quand même une partie de ma vie importante » (annexe5, ens.3, p. 184).

· Les deux identités s’expriment-t-elles de la même manière aujourd’hui qu’en début de carrière ?

La réponse à cette question nous permet de revenir sur ce que nous avons précédemment constaté. Selon nous, les deux identités prises séparément ainsi que leur articulation n’est pas la même qu’en début de carrière, et ne sera vraisemblablement pas la même lorsque les enseignants interrogés approcheront de la fin de leur carrière. Ceci est dû à certains facteurs que nous avons détectés dans leurs propos et qui sont les suivants : la création de nouvelles situations scolaires prenant racine suite à des changements sociaux ou politiques. Pour pouvoir agir sur, ou réagir à ces nouvelles situations, il s’agit soit d’adapter ses compétences en les modifiant, soit de faire émerger de nouvelles compétences. Par conséquent l’expression des deux identités n’est pas la même puisque les situations et donc le contexte ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, l’expérience engrangée ainsi que le passage par certaines phases qui ne sont pas les mêmes d’un enseignant à l’autre et selon le moment de sa carrière (cf. Huberman et al., 1989) semblent être des facteurs dont il s’agit de prendre compte. Ces deux éléments combinés font que les enseignants peuvent être amenés à mettre en scène de manière plus évidente l’une ou l’autre de ces identités. Par exemple, un enseignant en début de carrière tendrait plus à mettre en évidence son identité professionnelle en s’identifiant

notamment à certains collègues pour pouvoir être reconnu. En revanche et plus tard dans la carrière, il semblerait que l’enseignant soit plus à même de prendre position, en mettant en évidence ses valeurs et donc son identité personnelle. Notons cependant que dans la réalité, les choses ne sont pas aussi dichotomiques que cela puisque mettre en évidence ses valeurs peut aussi relever sous une certaine forme, de l’affirmation de son identité professionnelle.

C’est en partie pour cette raison que nous souhaitons à nouveau souligner le fait que ces étapes sont celles qui sont généralement suivies par les enseignants. Cependant, les parcours identitaires étant très singuliers du fait de leur dépendance à un certain nombre de variables, ces étapes sont des tendances qui peuvent être suivies, tout comme elles peuvent ne pas l’être. Dans nos données, nous avons en contre-exemple un sujet qui se démarque des tendances généralement suivies. En effet ce dernier fait état des éléments suivants : l’enthousiasme du début de carrière qui peut être interprété comme la volonté de faire la démonstration de sa singularité, la mise en évidence de l’identité professionnelle même après un certain nombre d’années d’expérience, en lien avec un sentiment de pression à la conformité qui est très fort.

· En quoi les enseignants estiment-ils s’exprimer de manière singulière au sein de leur profession ?

Même face à une contrainte très oppressante, les enseignants font preuve parfois d’une grande imagination pour arriver tout de même à s’octroyer une part de liberté. Cette permission qu’ils s’accordent à investir personnellement les changements et les contraintes est due à différents facteurs : l’expérience engrangée, le contexte, et la perception de la contrainte et de la liberté.

En fonction de la combinaison de ces différents facteurs, l’enseignant peut arriver à trouver des moyens d’habiter les changements de manière singulière et personnelle. Une des principales techniques qui a été évoquée réside dans l’adaptation et l’interprétation qui est effectuée par rapport à l’introduction de ces changements. Le fait de pouvoir ainsi créer un petit décalage entre ce qui était voulu par les autorités et ce qui est réellement mis en place par les enseignants, leur permet d’être plus acteur des transformations, à défaut d’en être simplement les exécutants.

· Quels sont les « invariants » relatifs à l’évolution de la profession des enseignants ?

Comme nous en avons fait mention, les enseignants ont besoin de stabilité et d’instabilité pour pouvoir se construire. Jusqu’ici, nous avons plutôt fait état de l’instabilité intrinsèque

Laura GOSTELI | Septembre 2013 101

à chacun des enseignants, instabilité aussi nommée incertitude chez Schön (1994).

Revenons à présent à ce qui est stable, en proposant ci-dessous une liste des invariants constitutifs de la profession enseignante :

- L’apprentissage perpétuel dans l’adaptation aux situations. Rappelons que cette adaptation permanente peut d’une part engendrer de l’angoisse chez certains puisqu’elle implique un déséquilibre identitaire, mais elle est d’autre part le gage d’un renouvellement permanent.

- La présence d’une identité à la fois personnelle et professionnelle, deux identités qui doivent être (re)questionnées du point de vue de l’équilibre qu’ensemble elles doivent constituer.

- L’équilibre contrainte/liberté qui doit aussi être pensé et repensé au fil de la carrière.

- La diversité inter et intra enseignants. Tous sont différents les uns des autres, et les enseignants se différencient de jour en jour en fonction de l’évolution de la profession.

- Le noyau classe et la visée de l’enseignement qui reste inexorablement la même.

La réponse partielle à chacune des ses questions spécifiques, va nous permettre enfin de revenir sur notre question générale de recherche qui est la suivante :

En quoi est-ce que l’identité des enseignants évolue au fil de leur carrière, et comment les enseignants perçoivent-ils et comprennent-ils ces changements identitaires ?

L’identité de l’enseignant évolue sur deux dimensions. Tout d’abord, l’enseignant évolue intérieurement et en fonction des expériences qu’il a pu vivre. Ensuite et de manière parallèle, il évolue en s’adaptant aux changements qui lui sont plus extérieurs. C’est d’ailleurs en cela que l’identité est à envisager comme étant contextuelle et non figée.

D’une manière générale et lorsqu’ils sont vécus, les changements ne sont pas forcément toujours bien perçus, dans le sens où ils requestionnent un équilibre que l’enseignant avait construit. Avec le recul, les aspects positifs de ces changements semblent émerger parce que les enseignants les ont adaptés à la visée qu’ils poursuivent et à la manière dont ils conçoivent la pratique de leur métier.

De toutes les manières et peu importe le ressenti qu’ils ont pu avoir par rapport à l’introduction des changements qu’ils ont dû vivre, ces derniers sont aujourd’hui ce qui fait que le métier est tel qu’il est. Quelque part et si les enseignants veulent avancer dans leur métier, il faut qu’ils acceptent que certaines choses restent les mêmes et que d’autres se

différencient. Comme nous le disions en introduction, il ne s’agit alors pas tellement de refuser l’évolution, mais de l’intégrer au mieux à sa pratique pour que celle-ci soit cohérente avec son identité, et qu’elle ne vienne pas péjorer les bénéfices de la pratique.

Dans cette appropriation, les enseignants agissent bien plus que ce qu’ils ne pensent.

Véritables funambules, ils contribuent à créer des déplacements qui, ajoutés les uns aux autres, engendrent la création d’une situation tout autre que ce qui était initialement prévu (Tardif et Lessard, 1999). Ainsi, et bien que ce ne soit pas toujours l’impression qu’ils donnent, les enseignants sont malgré tout les acteurs de leur profession. Aussi, ne pas se laisser aller aux critiques parfois virulentes qui sont effectuées à l’égard des enseignants permet d’accéder à une meilleure compréhension du métier, et au fait que la priorité des enseignants n’est pas seulement celle de faire ce qu’on leur dit, mais aussi celle de privilégier l’intérêt de leurs élèves en adoptant une position réflexive par rapport aux changements.