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3. REPÈRES MÉTHODOLOGIQUES

4.8 Perception de l’enseignant hier, aujourd’hui et demain : invariants et instabilités

Après avoir analysé les propos des sujets de notre premier groupe autour de la question de la perception de l’enseignant hier, aujourd’hui et demain, en ciblant plus particulièrement sur la question des invariances et des instabilités, nous avons relevé que cette dernière est envisagée par nos interviewés sous trois angles principaux traitant des trois périodes mentionnées ci-dessus :

- Le métier d’enseignant hier

- Le métier d’enseignant aujourd’hui - Le métier d’enseignant demain

Dans ce chapitre, il va donc tout d’abord être question d’analyser plus en profondeur la matérialisation de ces sous-thématiques dans les propos du premier groupe interrogé (cf.

annexe 5, pp. 177-211). Dans un second temps, il s’agira de mettre en parallèle ces données avec celles du second groupe pour voir dans quelle mesure elles se rejoignent, se complètent, divergent, etc. (cf. annexe 6, pp. 212-266).

Nous souhaitons notifier qu’il est possible que ce chapitre d’analyse reprenne des éléments déjà développés auparavant concernant notamment la profession hier et la profession aujourd’hui. Cependant, des éléments nouveaux sont mis en évidence par rapport notamment aux hypothèses qui sont faites quant à l’évolution de la profession dans le futur.

4.8.1 Présentation et analyse des données du premier groupe

· Avoir été enseignant, c’est….

Par rapport à la profession telle qu’elle a été vécue et telle qu’elle est perçue aujourd’hui, trois enseignants témoignent de la vision différente qu’ils ont de leur profession

« passée ».

L’un d’entre eux mentionne sans aucune hésitation l’enthousiasme dont il a fait preuve au début de sa carrière : « Je vais tout faire, je vais leur montrer » (annexe 5, ens.1, p. 208).

Comme nous l’avons déjà développé dans nos propos, cet enthousiasme peut marquer le besoin de reconnaissance qui peut être recherché plus particulièrement par les

enseignants qui débutent. En effet, le fort sentiment de compétence qu’ils peuvent développer au sortir d’une formation dont ils estiment qu’elle leur a tout appris, engendre un comportement qui s’apparente à l’idée suivante : « Regardez-moi je sais le faire ».

D’autre part et contrairement à ce qui pourrait être attendu, un enseignant s’est réservé le droit de ne pas faire de comparaisons entre sa profession passée et sa profession actuelle, estimant qu’il n’est pas possible de comparer l’incomparable. Pour ce dernier, l’identité est une notion qui dépend en grande partie des contextes dans lesquels elle doit se déplacer.

Par conséquent les contextes ayant évolué, l’enseignant en question ne se voit pas comparer et encore moins choisir entre deux exercices de la profession finalement différents : « […] ça veut dire que en son temps des choses qui étaient normées ou normales, elles pourraient plus être applicables maintenant parce que ça a évolué […] le contexte était différent » (annexe 5, ens.2, p. 208).En cela, nous pouvons rejoindre les propos de Huberman et al. (1989) pour rappeler que si les enseignants passent par des étapes qui leur sont communes, leurs parcours identitaires ont principalement la caractéristique d’être très diversifiés à partir d’un certain stade. Cette diversité prend notamment racine dans les différences d’expériences à la fois personnelles et professionnelles, expériences qui font que, selon Perrenoud (1995) :« nous ne nous baignons jamais dans le même fleuve parce que nous changeons constamment » (p. 103).

Enfin, le dernier enseignant concerné par cette thématique a remis en évidence le fait que bien que la liberté plus grande qui a été ressentie en début de carrière pouvait présenter des limites, cette dernière a été l’occasion pour cet enseignant d’une construction de son identité professionnelle qui soit justement plus personnelle : « J’ai trouvé chouette de commencer à enseigner à un moment où on avait beaucoup plus de latitude de décision parce que ça nous aidait à nous construire» (annexe 5, ens.4, p. 209).

· Etre enseignant aujourd’hui c’est…

Par rapport à l’exercice de la profession actuellement, la majorité des enseignants ont mis en évidence ce qui pourrait être considéré comme étant un invariant de la profession : la diversité dans les rôles et dans les tâches qui incombent aujourd’hui aux enseignants.

Cette diversité inter et intra-enseignants est considérée à la fois comme étant positive puisque très enrichissante, et à la fois comme étant négative en lien avec une charge de travail qui s’alourdit, et l’impression d’avoir un cahier des charges de plus en plus précis, laissant ainsi peu de place à la liberté.

Laura GOSTELI | Septembre 2013 93

Autre invariant qui est mis en évidence : celui d’une profession qui a son fondement, a toujours eu le même objectif : celui de guider au mieux les élèves sur le chemin des apprentissages.

· Etre enseignant demain, c’est….

Concernant les hypothèses sur l’évolution du métier, il semble que l’échantillon puisse être divisé en deux grandes tendances.

La première est celle qui met en évidence l’apprentissage perpétuel au sein duquel l’enseignant devra accepter de continuer à évoluer. En effet, ce dernier ne peut pas être en mesure d’anticiper toutes les situations auxquelles il va être amené à faire face, notamment les nouvelles situations engendrées par des mouvements sociaux ou politiques qui, comme nous l’avons développé en détails plus haut, ont une influence sur l’identité et sur la pratique des enseignants. Le renouvellement et l’acceptation de l’incertitude (Schön, 1994) constitueraient ainsi une autre forme d’invariants du métier.

La seconde tendance est celle qui souligne la recherche perpétuelle d’un équilibre entre contrainte et liberté, équilibre défini par un enseignant comme étant sans doute de plus en plus complexe à trouver. La recherche de cet équilibre est également une composante permanente de l’enseignement et de l’enseignant qui, selon les mots de Tardif et Lessard (1999) est un vrai « caméléon professionnel » qui s’adapte au fil des situations rencontrées.

4.8.2 Présentation et analyse des données du second groupe

· Avoir été enseignant, c’est…

De manière générale, les enseignants de cet échantillon évoquent la profession comme ayant été différente de celle d’aujourd’hui, en lien avec un contexte qui n’est pas le même.

En cela, ils rejoignent la position prise par un des membres du premier échantillon. Pour exemplifier leur position, chacun d’entre eux met en évidence des composantes différentes de ce contexte.

Pour commencer, un enseignant mentionne le statut assez particulier que l’enseignant possédait à l’époque. En effet, celui qui était enseignant se distinguait tout particulièrement dans la vie de la cité non seulement de part la mission qui lui était attribuée, mais aussi en lien avec la part assez importante de liberté qui lui était accordée pour mener à bien cette mission. Selon cet enseignant, cette carte blanche qui leur avait

été donnée, est en partie ce qui leur a valu le surnom de « petits indépendants » (annexe 6, ens.1, p. 258). Cette liberté et cette indépendance étaient notamment illustrées par le fait que les programmes étaient assez légers et assez vastes pour permettre à l’enseignant de construire son année scolaire comme il le souhaitait. L’enseignant interrogé ne le mentionne pas ici, mais cet avantage pouvait aussi être pensé comme un inconvénient. En effet et comme nous l’avons déjà dit, une liberté trop grande n’offre pas de garantie sur ce qui est fait. De plus et comme l’évoque Mireille Cifali (in Jacquet-Francillon, 1997), construire son parcours sur un chemin non-balisé n’est pas une mince affaire.

Par ailleurs, la reconnaissance a été étonnement définie comme n’ayant pas été recherchée auprès de la hiérarchie qui était très peu présente, ou en tout cas perçue comme étant très lointaine de la pratique quotidienne. Selon deux enseignants, elle était donc recherchée auprès des élèves eux-mêmes, élèves qui, selon l’un des deux enseignants, étaient beaucoup plus preneurs de ce qui était proposé en classe, sans doute en lien avec un contexte extrascolaire beaucoup moins stimulant qu’aujourd’hui. Comme cela a déjà été mis en évidence par le premier groupe, il semble donc que déjà à l’époque, les phénomènes sociaux avaient leurs implications sur l’école, fait que nous avons mis en évidence dans notre cadrage conceptuel.

Paradoxalement, un des enseignants de l’échantillon a mentionné le besoin qu’il a ressenti en début de carrière de se conformer à ce qu’il estimait être la norme. Nous faisons l’hypothèse que ce positionnement est sans doute lié au fait que l’enseignant en question n’a que huit années d’expérience, et qu’il n’a donc pas les mêmes points de référence que les autres enseignants de l’échantillon qui se sont exprimés sur la question.

Par rapport à ce que nous avons développé dans notre cadrage, le profil de l’enseignant qui recherche d’abord à se conformer et à être reconnu par ses pairs et la hiérarchie, semble être celui qui est le plus souvent suivi. Le fait que nous ayons eu deux témoignages prouvant le contraire, démontre bien que les parcours identitaires ne peuvent pas être prédéfinis, mais qu’ils sont dépendants d’un ensemble de facteurs qui, combinés les uns avec les autres, aboutissent à de l’inattendu. C’est en cela que l’identité est un concept difficile à saisir.

· Etre enseignant aujourd’hui, c’est…

En ce qui concerne la profession actuelle, deux invariants semblent pouvoir être mis en évidence, renforçant à nouveau les idées présentées par les membres du premier échantillon.

Laura GOSTELI | Septembre 2013 95

Le premier n’est autre que l’objectif du métier d’enseignant qui semble être inexorablement le même au fil du temps.

L’autre invariant résiderait selon un des enseignants dans l’idée d’une diversité inter et intra enseignant, qui a toujours été et qui est toujours importante au sein de la profession.

Cependant par rapport à cette diversité, il y a des instabilités notamment dans la manière de la percevoir, tout comme cela est le cas pour notre premier échantillon. Pour certains, elle est source d’enrichissement et de tentative d’adaptation aux problématiques rencontrées. Pour d’autres, elle est plutôt synonyme d’un alourdissement de la charge de travail qui est bien souvent annexe à la visée de l’enseignement, et qui peut parfois détourner les enseignants de l’atteinte de leurs objectifs, en leur laissant notamment moins de temps pour les travailler.

Enfin et par rapport à la question du statut de l’enseignant, nous pouvons faire ressortir deux visions différentes. La première est celle d’un statut qui ne semble pas être remis en cause, ce qui fait dire à un des enseignants que l’exercice de ce métier est toujours aussi gratifiant. A contrario, un autre enseignant dénonce un métier et un statut qui sont de plus en plus décriés et remis en question. A l’époque, l’enseignant était une figure phare de la ville ou du village dans lesquels il exerçait. A présent, il exerce au sein d’une profession a priori comme les autres. Cette dernière est parfois envahie par ce qui se passe à l’extérieur des murs de l’école, ce qui pose, comme nous l’avons déjà vu, un certain nombre de questions par rapport à la posture que l’enseignant est amené à prendre. En cela, nous pouvons rejoindre les propos de Tardif et Lessard (1999), qui mettent à la fois en évidence l’invariance de la cellule de base qu’est la classe, et l’instabilité des structures qui évoluent autour d’elle, y introduisant progressivement de nouvelles variables.

· Etre enseignant demain, c’est…

Bien évidemment, la perception du métier actuel a une influence sur la manière dont il est possible de faire des hypothèses sur son évolution future. Par conséquent, et en lien avec la dichotomie évoquée dans la partie ci-dessus, deux prédictions semblent se dessiner par rapport au futur de la profession.

D’une part, certains enseignants voient l’évolution se poursuivre selon le schéma actuel, avec tout de même l’idée de continuer d’apprendre, de se diversifier et de se former. Ce désir est justifié par un enseignant comme la volonté de ne pas tomber dans une forme de routine qui, associée à l’uniformisation progressive de l’enseignement, supprimerait toute motivation à exercer ce métier. Ce même désir est justifié par un autre enseignant

selon l’idée suivante : se renouveler pour mieux s’adapter, et ne pas rester enfermé dans une forme de « conservatisme » (Huberman et al., 1989), menant au sentiment d’être dépassé par l’évolution.

D’autre part, tous les enseignants mentionnent la tendance qui est celle de l’uniformisation de l’enseignement. Certains l’évoquent comme étant irrémédiable, quand d’autres y apportent une pointe d’optimisme en disant que si évoluer c’est s’adapter, alors l’uniformisation n’arrivera jamais à supprimer la singularité de chacun (Monetti, 2002 ; Sikes 1985, cité par Gohier et al., 2001).

4.8.3 Synthèse

Comme nous en avons déjà fait mention, l’avenir de la profession peut être prédit en se basant notamment sur les invariants relatifs à cette profession. Or, la présence de ces invariants n’est pas la seule dimension à prendre en considération. En effet, les instabilités sont aussi constitutives de cette prédiction. Cependant, l’instabilité ayant à son fondement le concept de changement, une prédiction exacte ne sera jamais autre chose qu’une approximation de l’orientation que l’enseignement pourra prendre ou ne pas prendre.

En nous basant à la fois sur les propos tenus par les membres de nos deux échantillons ainsi que sur notre cadrage conceptuel, les invariants de la profession seraient les suivants : la présence d’une diversité intra et inter enseignants, la présence du noyau

« classe » (Tardif et Lessard, 2009), la présence d’un certain équilibre entre contrainte et liberté, ainsi qu’entre identité personnelle et identité professionnelle (Mireille Cifali in Jacquet-Francillon, 1997).

Ces invariants sont donc une base autour de laquelle gravitent un certain nombre de dimensions qui varient entre autres au fil du temps, de l’expérience, de l’identité professionnelle, de l’identité personnelle. Les autres variables relevées dans les discours des enseignants de nos échantillons sont les suivantes : le contexte social et politique, l’apprentissage perpétuel effectué à titre singulier par chacun des enseignants, le type d’équilibre trouvé entre liberté/contrainte et identité personnelle/professionnelle à titre singulier par chacun des enseignants.

Selon le rapport que les enseignants construisent à chacune de ces dimensions qu’elles soient variables ou non, l’avancée vers un type d’évolution plutôt qu’une autre sera effectuée. En cela, nous pouvons donc rejoindre Gohier et al. (2001) dans l’idée que la construction d’une identité professionnelle est en constante évolution, et que l’enseignant a « son mot » à dire quant à la tournure que peut prendre l’exercice de sa profession et

Laura GOSTELI | Septembre 2013 97

donc par ce biais, la construction de son identité professionnelle. Ainsi et comme nous le pensons depuis le début de notre processus de recherche, le statut d’enseignant n’est jamais totalement acquis, il se construit et se reconstruit tout au long d’une carrière.

Partie conclusive

Laura GOSTELI | Septembre 2013 97