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3. REPÈRES MÉTHODOLOGIQUES

4.6 Perception de l’articulation entre liberté et contrainte

Après avoir analysé les propos des sujets de notre premier groupe autour de la question de la perception de l’articulation entre liberté et contrainte, nous avons relevé que cette dernière est envisagée par nos interviewés sous deux angles principaux :

- Une articulation nécessaire

- Faire avec la contrainte d’être même et la liberté d’être différent

Dans ce chapitre, il va donc tout d’abord être question d’analyser plus en profondeur la matérialisation de ces sous-thématiques dans les propos du premier groupe interrogé (cf.

annexe 5, pp.177-211). Dans un second temps, il s’agira de mettre en parallèle ces données avec celles du second groupe pour voir dans quelle mesure elles se rejoignent, se complètent, divergent, etc. (cf. annexe 6, pp. 212-266).

4.6.1 Présentation et analyse des données du premier groupe

· Liberté et contrainte : une articulation nécessaire

La profession d’enseignant est particulière dans le sens où les rapports entre la liberté et la contrainte y sont complexes. En effet, un enseignant n’est ni totalement libre, ni complètement contraint. En lien avec ce que nous avons développé plus haut et ce que les analyses des données de notre premier échantillon permettent de soulever, nous avons ainsi pu démontrer que ces deux composantes du métier évoluent dans une articulation qui est nécessaire pour que ce métier puisse s’exercer.

Au regard des propos tenus par les enseignants interrogés, on peut cependant avoir l’impression que par moments, une des deux dimensions fait pencher la balance d’un côté plus que de l’autre, rendant ainsi « le doux mélange » (annexe 5, ens.3, p. 204) un peu moins homogène. A ce sujet, trois enseignants sur quatre s’expriment. Un de ces enseignants estime que malgré son statut d’employé qui a donc de toute façon des comptes à rendre, des éléments tels que l’expérience font qu’une liberté peut être prise par rapport à la contrainte (cf. les stratégies d’adaptation évoquées dans notre cadrage théorique par Sikes et al. (1985) dans Gohier et al. (2001), ainsi que chez Monetti (2002)).

En revanche, les deux autres sujets mettent plus en évidence la composante contrainte du binôme, en qualifiant celle-ci de « moteur » ou encore de « garde fou de la liberté » (annexe 5, ens. 2 et 4, p. 203-204).

Comme nous l’avons à maintes reprises mentionné, l’équilibre contrainte/liberté peut varier selon les individus, le stade de construction de leur identité professionnelle, leur expérience, etc. Cependant et bien qu’à l’intérieur de cet équilibre une des deux dimensions puisse être à un moment ou à un autre plus importante que l’autre, reste néanmoins le fait qu’elles soient toutes deux indispensables à la construction et au fonctionnement de l’enseignant. En effet et comme le souligne Mireille Cifali (in

Jacquet-Laura GOSTELI | Septembre 2013 83

Francillon, 1997), la détermination d’un individu ne peut se faire que si sa liberté s’exprime sur la base d’un cadre bien défini.

· La construction d’une identité professionnelle : la contrainte d’être même et la liberté d’être différent

Par rapport à la question du développement de la singularité dans la profession et du rapport que cette singularité peut entretenir avec l’idée de conformité au sein du groupe de professionnels, nous avons obtenu des propos de la part d’un seul enseignant de l’échantillon. Ce dernier, contrairement à ce que nous avons pu laisser sous-entendre dans notre cadrage théorique, met en évidence le fait que la lutte entre le « moi authentique » et le regard des autres (qu’il provienne de la hiérarchie ou des pairs), est un tiraillement qui est vécu tout au long de la carrière et qui dépend notamment de l’estime de soi-même développée par les praticiens. Au travers de ce positionnement, nous retrouvons les propos tenus par Wittorski et al. (2008). En effet, ces derniers évoquent le fait que la construction identitaire dépend notamment de la reconnaissance par les autres de la maîtrise de certaines compétences professionnelles, maîtrise qui peut être re-questionnée durant une carrière, en lien notamment avec le statut émergent de certaines de ces compétences.

4.6.2 Présentation et analyse des données du second groupe

· Liberté et contrainte : une articulation nécessaire

Pour cet échantillon et tout comme cela a été avancé par Mireille Cifali (in Jacquet-Francillon, 1997), une articulation entre contrainte et liberté est mentionnée comme étant nécessaire au bon fonctionnement des enseignants, renforcant ainsi les propos avancés par les enseignants du premier groupe.

Cependant, si dans cette articulation la contrainte n’a pas à être requise par les enseignants parce qu’elle est par définition imposée, le discours n’est pas tout à fait le même en ce qui concerne la liberté, en tout cas pour deux enseignants en particulier.

En effet pour l’un d’entre eux et de manière tout à fait originale en comparaison avec le premier échantillon, la liberté semble être donnée par les autorités. A ce sujet, l’enseignant évoque notamment l’idée que des documents sont mis à disposition des enseignants et qu’ils ont le droit (notion qui fait bien ici référence à une permission qui a été accordée), d’utiliser d’autres moyens pour venir compléter les moyens d’enseignement imposés. Ici,

on voit donc bien la réflexion qui est à mener sur l’articulation entre droit et devoir : chaque droit accordé implique le respect et l’application d’un certain nombre de devoirs.

Pour l’autre enseignant en revanche, il s’agit de prendre soi-même sa liberté que ce soit consciemment ou inconsciemment. Pour pouvoir le faire, nous pouvons nous référer aux propos que nous avons précédemment tenus sur les adaptations stratégiques qui peuvent être réalisées par les enseignants (Monetti, 2002 ; Tardif et Lessard 1999 ; Sikes et al. 1985, cités par Gohier et al., 2001). L’exemple qui est donné ici par le sujet pour renforcer les propos tenus par le premier échantillon, touche à nouveau le matériel. L’enseignant avance que malgré une volonté des autorités d’objectiver de plus en plus l’enseignant et son enseignement, une part de liberté pourra toujours être prise en rapport ici à la manipulation du matériel, qui est forcément différente d’un enseignant à l’autre.

· La construction d’une identité professionnelle : la contrainte d’être même et la liberté d’être différent

Sur ce point, nous n’avons ici les réactions que d’un seul enseignant qui rejoint les propos avancés par le premier groupe d’enseignants. En effet ce dernier estime que bien que la rigidification amène les enseignants à s’enfermer dans un carcan assez figé d’un point de vue identitaire, un enseignant dans sa classe ne pourra rien faire d’autre que d’être lui-même, et ce même si il doit exercer au travers d’un canevas beaucoup plus rigide : « Bon le prof dans la classe il sera toujours prof dans sa classe, sa manière d’être et de faire ça sera toujours lui, mais peut-être au travers d’un canevas un peu plus rigide » (annexe 6, ens.1, p. 251). Par conséquent, l’enseignant aura toujours les moyens d’être à la fois même et différent.

4.6.3 Synthèse

Peu importe la perception que l’on peut avoir de la liberté et de la contrainte, ces deux dimensions sont définies par une grande partie des enseignants interrogés, comme étant nécessaires au bon fonctionnement de l’enseignant.

Parfois l’une est plus importante que l’autre, mais même si l’une des deux doit se soumettre à l’autre, la disparition de l’une comme de l’autre ne semble pas envisageable.

Par conséquent, il ne s’agit donc pas de se laisser prendre au piège d’un idéal où la liberté totale serait l’objectif à atteindre, ni de craindre de travailler un jour dans un environnement où les enseignants seraient épiés dans leurs moindres faits et gestes.

La vraie question qui doit se poser chez chacun des enseignants et effectivement en fonction de la perception qu’ils ont de ces deux dimensions, n’est autre que celle qui suit :

Laura GOSTELI | Septembre 2013 85

comment trouver un équilibre ou une forme de compromis entre l’espace de liberté et donc de différence qui est accordé ou qui est pris par les praticiens, et le cadre sur lequel cet espace s’appuie pour pouvoir mieux se construire (Mireille Cifali, in Jacquet-Francillon, 1997). Cette question peut se poser plusieurs fois au cours d’une carrière et avoir des réponses qui soient variées non seulement en fonction du moment de la carrière dans laquelle on se trouve, mais aussi en fonction de l’expérience, de la représentation de soi-même, etc. Réfléchir à cette articulation et à ses implications est donc une tâche que l’enseignant doit effectuer pour pouvoir avancer dans sa profession. En cela, nous pouvons nous référer à une notion chère à Schön (1994) : celle du praticien réflexif dont la caractéristique principale est celle d’être apte à se poser des questions avant même de tenter d’y répondre.