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2. CADRAGE CONCEPTUEL

2.2 Un enseignant : une identité qui s’adapte aux contextes

2.2.1 L’expérience : clef de voûte des changements identitaires ?

Dans le sens commun, faire l’expérience de quelque chose veut dire éprouver cette chose en l’appréhendant sous une certaine forme, et être capable d’en retirer une connaissance potentiellement transférable à d’autres situations semblables.

En lien avec les processus identitaires, cette notion gagne en profondeur du point de vue de sa définition. En effet, si certains auteurs (Zeitler & Barbier, 2012 ; Barbier 2013) rejoignent tout à fait le sens commun dans le sens où ils mettent en évidence l’apport que l’expérience peut engendrer, ils développent cependant de manière plus prégnante l’idée d’une double transformation. Pour ces derniers, la transformation est remarquable à la fois sur le sujet qui agit, et sur l’environnement qui est agi. En d’autres termes, le sujet change son environnement en l’expérimentant. De cette expérience, il en retire des ressources qui le transforment, transformation qui rendra sa prochaine expérimentation sur l’environnement, différente de celles qu’il aura précédemment menées. Finalement, les deux instances « sujet » et « environnement » sont donc sujettes à des transformations de l’une sur l’autre. Relier ce constat à notre propos consiste donc à dire que certaines expériences conduisent à la transformation des praticiens (notamment les expériences personnelles et professionnelles qu’ils sont amenés à rencontrer), mais qu’ils sont aussi à même de transformer l’environnement qu’est le collectif professionnel, en investissant singulièrement leur métier.

Les expériences personnelles

D’une manière générale, l’ensemble des expériences personnelles qui ont cours dans la vie privée des enseignants, peut potentiellement avoir des effets sur leurs pratiques. En cela, nous pouvons nous joindre ici aux propos développés par Thévenet (2004), qui aborde la question de l’implication des employés dans leur travail. En effet, ce dernier insiste sur le fait qu’une expérience de travail ne peut être comprise qu’en lien à des éléments relevant de l’histoire personnelle de tout un chacun, éléments qui sont externes à la vie au travail. De surcroît, l’imbrication entre le travail et ces éléments relevant des histoires personnelles de chacun peut, toujours selon cet auteur, conduire à une forme d’épanouissement, caractérisée par une osmose entre vie personnelle et vie professionnelle. Pour illustrer cette position et revenir au champ professionnel qui nous concerne, nous pouvons ici donner l’exemple d’un enseignant qui pourrait développer

Laura GOSTELI | Septembre 2013 18

une passion en dehors de l’école (peinture, photographie, cinéma, etc.) et investir sa profession de cette passion, concourant ainsi à une forme de bien-être qu’il peut partager avec ses élèves.

Toujours pour exemplifier la position de Thévenet (2004), nous pourrions également mettre sur le devant de la scène une autre expérience personnelle qui est d’ailleurs sujette à controverses en tout cas dans le monde de l’enseignement, à savoir : le fait d’avoir des enfants. Cette expérience et ses potentiels impacts sur l’identité et par ce biais, sur la manière d’être et d’agir en classe, est un sujet d’autant plus délicat que les écrits scientifiques à ce sujet se font plus que rares. Par conséquent, la réflexion que nous menons ci-dessous reste tout de même relativement subjective, et pose la question de l’importance qu’il est à donner ou non à cette expérience.

A première vue, on pourrait être amené à penser que cette expérience n’a d’importance que pour les enseignants exerçant dans les petits degrés, là où la dimension relationnelle et affective est souvent définie (peut-être à tort, mais ce ne sera pas notre propos ici) comme étant beaucoup plus importante que dans les degrés de la division moyenne.

Cependant, il semble que cela ne soit pas le cas. Effectivement, le fait d’enseigner à des élèves très jeunes combiné au fait de devenir parent, permet peut-être d’affiner le regard et la compréhension que l’on peut avoir des difficultés que rencontre cette classe d’âge d’apprenants, qui a justement parfois beaucoup de peine à exprimer la ou les raison(s) de son mal-être. De leur côté, les enseignants d’élèves plus âgés peuvent aussi percevoir leur profession de manière différente selon si eux-mêmes ont ou non des enfants. Par exemple, tous les enjeux liés à l’orientation prennent peut-être encore plus de sens si les enseignants les ont vécus en tant que parents pour leurs propres enfants. Cependant et comme nous l’avons fait ressurgir plus haut, le fait d’être parent ne constitue pas un

« passage obligé » pour devenir plus performant ou en tout cas pour développer de nouvelles compétences. Aussi, les enseignants qui n’ont pas d’enfants ne sont pas des enseignants qui sont par définition moins bons que les autres parce qu’il leur « manque » d’avoir vécu cette expérience.

Toujours du point de vue de la relation avec les élèves, la distance affective se modifie aussi en fonction de l’écart d’âge qu’il existe entre l’enseignant et ses élèves, comme nous le font d’ailleurs remarquer Huberman et Shapira (1979) cités par Huberman et al. (1989) :

« En grande partie, cette distance est créée par les élèves, qui traitent précisément les très jeunes enseignants de grand frère/grande sœur et qui, subtilement, refusent ce statut aux enseignants de l’âge de leurs propres parents » (p. 20). Ces mêmes auteurs expliquent ce phénomène de la manière suivante : les générations séparent d’année en année encore un peu plus l’enseignant de ses élèves, ce qui est donc forcément à l’origine d’un rapport qui se transforme.

Nous avons donné ici plusieurs exemples d’expériences plus personnelles qui peuvent avoir des impacts sur l’identité de l’enseignant et donc aussi sur sa pratique. En l’occurrence, les expériences évoquées (qui ne sont d’ailleurs pas les seules) permettent semble-t-il à l’enseignant d’adopter un regard différent, plus affiné sur certaines situations de sa pratique quotidienne. De fait, nous pouvons rejoindre à nouveau les propos tenus par Mireille Cifali in Jacquet-Francillon (1997), dans le sens où l’enseignant est à considérer certes comme un professionnel exerçant une fonction, mais l’exerçant cependant « d’une certaine manière de par sa propre histoire » (p. 72).

Les expériences professionnelles

Au même titre que les expériences personnelles, l’ensemble des expériences professionnelles vécues par les enseignants, ont des conséquences positives ou négatives, à la fois sur leur identité et sur leurs pratiques. Etant donné l’omniprésence de l’expérience professionnelle (en effet, il semblerait que l’enseignant soit toujours dans une forme d’expérimentation, étant donné qu’il ne peut jamais contrôler l’ensemble des variables présentes dans les situations), il paraît difficile d’en explorer un type plutôt qu’un autre.

Cependant et au vu de la thématique qui nous questionne, nous trouvons intéressant de s’arrêter quelques instants sur deux expériences professionnelles particulières : le rapport avec les collègues et la participation à des formations continues. En effet, ces dimensions mettent en évidence le rapport de pouvoir et la notion de reconnaissance (dont nous avons déjà évoqué l’importance plus haut) qui existent nécessairement entre les membres d’un collectif d’une même profession.

Tout d’abord et plus particulièrement en ce qui concerne les rapports entre collègues, ceux-ci peuvent directement être mis en lien avec une évolution assez marquée dans le métier d’enseignant : la nécessité de collaborer et de travailler en équipe. A ce sujet, nous sommes rejoints par Marcel, Dupriez, Périsset-Bagnoud et Tardif (2007), qui évoquent l’idée selon laquelle le savoir d’expérience ne découle à présent plus uniquement d’une expérience singulière de l’individu, mais qu’il devient progressivement un savoir que l’on partage avec les personnes qui vivent le même travail. En d’autres termes, la figure traditionnelle de l’enseignant seul dans sa classe laisse progressivement place à une image de l’enseignant plus composite, avec une présence toujours d’actualité dans sa classe, mais plus « novatrice » dans l’établissement, et avec les autres enseignants.

Les rapports entre collègues peuvent varier dans les apports qu’ils peuvent produire. En effet, les interactions entre professionnels peuvent aller de la simple discussion jusqu’à l’échange de pratiques, enrichissant ainsi le répertoire de compétences de l’enseignant.

Toujours selon Marcel, Dupriez, Périsset-Bagnoud et Tardif (2007), les interactions avec les

Laura GOSTELI | Septembre 2013 20

pairs relèvent de plusieurs enjeux qui sont à prendre en considération dans l’écart qu’il peut parfois exister entre l’idéal (une école où tout le monde collabore tout le temps) et la réalité (mécanismes de défense, contexte du système éducatif, contexte de l’établissement, identité de l’enseignant, pratiques de l’enseignant). En cela, travailler en équipe ne signifie pas seulement changer l’organisation du travail qui était en vigueur. Il y a en effet de nombreux impacts sur l’identité de l’enseignant et sur la manière dont il souhaite ou non être perçu par ses collègues.

Par rapport à la formation continue, le principe réside dans l’idée de se former dans les domaines où des lacunes ont été définies par l’enseignant concerné. Bien évidemment, la décision de partager et d’échanger avec les autres sur ce qu’il a apprit pour lui-même lui revient. Dans cette situation tout comme dans celle de l’échange de pratiques, il y a donc à nouveau nécessité de s’interroger sur l’image que l’enseignant souhaite refléter aux yeux de ses collègues et aussi par rapport à lui-même : dois-je toujours être celui qui apprend des autres ? Celui qui apprend aux autres ? Dois-je trouver un juste milieu ? Aussi, nous voyons donc à quel point le décret de la nécessité de collaborer ne suffit pas à son bon fonctionnement et à la possibilité de pouvoir en dégager des bénéfices. Au-delà du « faire pour faire », il semble qu’il s’agisse ici plutôt de pouvoir répondre à la question du

« pourquoi » et du « comment ».

Ces interrogations par rapport à la thématique des expériences professionnelles sont d’ailleurs directement en lien avec la question de la place que l’enseignant laisse à l’expression de sa singularité au sein de sa pratique quotidienne, et éventuellement dans le rapport à ses pairs.