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3. REPÈRES MÉTHODOLOGIQUES

3.1 Démarche méthodologique choisie

« […] se rapprocher au plus du monde intérieur, des représentations et de l’intentionnalité des acteurs humains engagés dans des échanges symboliques

comme ils le sont en éducation.» (Van Der Maren, 1996, p. 103).

Etant donné la nature de notre questionnement et du champ dans lequel il prend racine, nous avons tout de suite fait le choix d’une recherche qualitative et exploratoire. Il ne s’agit donc pas ici de trouver des réponses à des hypothèses construites au préalable (notre seule hypothèse étant d’ordre méthodologique), mais justement de déboucher sur des hypothèses qui vont peut-être être aux fondements de nouvelles interrogations, et donc d’un possible nouveau processus de recherche. En bref, il s’agit donc de trouver quelque chose plutôt que de chercher à le prouver. En cela, nous rejoignons déjà à cette étape, les propos tenus par Van Der Maren (1996), qui remet fortement en cause le postulat de la vérité absolue lorsque l’on parle de recherche en sciences humaines, et qui met au

Laura GOSTELI | Septembre 2013 28

contraire dans la lumière le caractère toujours « insuffisant » de la recherche, en ce sens qu’elle est un approfondissement perpétuel de la connaissance scientifique.

3.1.1 Questionnement autour du dispositif de recherche

Afin d’opérationnaliser ce premier choix méthodologique, nous avons par la suite décidé de mettre en place des entretiens qui constituent donc nos principaux instruments de recherche. Comme nous l’évoquerons pour d’autres dimensions de notre recherche, des éléments relatifs au dispositif méthodologique qui avaient été initialement pensés, ont par la suite subi quelques modifications dont nous trouvions tout de même intéressant de faire état. En effet, si le changement constitue un des concepts théoriques clés de notre recherche, il est aussi central d’un point de vue méthodologique pour toutes les recherches scientifiques qui sont mises en œuvre. S’arrêter dessus ne nous semble pas être du bavardage inutile. Au contraire, il semble que cela puisse concourir à une meilleure compréhension de la cohérence du processus dans lequel nous nous sommes engagés. Pour exemplifier cela, il suffit de revenir sur le dispositif auquel nous avions pensé au départ. En lien avec les populations que nous avions pensé viser dans nos entretiens et sur lesquelles nous reviendrons plus tard, nous pensions effectuer une combinaison de plusieurs dispositifs, à savoir : observations, entretiens, auto-confrontations et auto-confrontations croisées. Rapidement, cette combinaison de méthodes a montré ses limites d’un point de vue pratique, temporel et méthodologique (en lien avec les connaissances qui sont à maîtriser sur ces dispositifs et leur mise en œuvre).

Finalement, une centration sur des entretiens uniquement, a donc été effectuée.

3.1.2 La démarche d’entretien comme instrument de recherche

La démarche d’entretien peut être très riche en ce sens qu’elle permet de mettre à jour non seulement ce qui a été dit, mais aussi (et parfois surtout), ce qui n’a pas été dit ; et qui nous emmène donc sur de nouvelles pistes de questionnements et d’analyses. Cependant et pour certains, le discours n’est pas construit scientifiquement parlant, ce qui lui enlève donc toute sa légitimité en tant qu’instrument de recherche. En effet et comme le soulignent Blanchet et Gotman (2010), la démarche d’entretien a longtemps été considérée comme « une approche intuitive » (p. 115). Par rapport à cette forme de remise en question, Schurmans (1994) insiste sur le fait qu’il ne faut pas ignorer les positions prises par les « détracteurs » de cette méthode de recueil de données, mais qu’il faut plutôt prendre le maximum de précautions méthodologiques pour surmonter les limites qui sont dénoncées:

Les critiques […] portant sur un matériel récolté par entretiens, sont, le plus souvent basées sur l’absence de fidélité des données : la concordance des données obtenues, avec les mêmes instruments, par deux interviewers différents serait insuffisante. A ce problème s’ajoute également celui de la validité des données produites : les dires de l’interviewé correspondent-ils ou non à la « réalité » ou peuvent-ils être déformés volontairement ou non ? […] Plutôt que poser ou non un postulat de confiance […], il s’agit plutôt de savoir comment interpréter le discours produit en fonction de ses conditions de production.

Autrement dit, il faudra, dans l’analyse, tenir compte du contexte de l’énoncé et considérer le contenu comme indissociable des interactions langagières entre interlocuteurs (p. 66).

Notons que Schurmans (1994) est rejointe par Bourdieu (1993) en ce qui concerne les aspects qui sont à prendre en considération lorsque l’on interagit, que ce soit dans la vie quotidienne ou à des fins plus scientifiques. En effet, l’interaction engendre selon cet auteur une forme de « relation sociale qui exerce des effets (variables selon les différents paramètres qui peuvent l’affecter) sur les résultats obtenus » (p. 904).

En ce qui nous concerne et pour démontrer que le discours est une matière souple à partir de laquelle de nombreuses pistes sont envisageables, nous avons décidé de construire nos premiers entretiens de manière multimodale, en proposant diverses sources (citations et affirmations), ainsi que diverses techniques d’entretiens (données suscitées et données provoquées). Les données suscitées, aussi appelées données d’interaction, sont définies par Van Der Maren (1996) comme étant « […] des données dont la forme et le contenu dépendent autant des sujets qui sont libres d’élaborer leurs réponses, que du chercheur qui adapte ses questions aux réactions de ses sujets » (p.13).

De leur côté, les données provoquées peuvent être définies de la manière suivante : « […]

des données dont le format répond à des catégories définies à l’avance » (Van Der Maren, 1996, p. 83), et par rapport auxquelles « […] ce sont les sujets qui font correspondre leur pensée aux catégories présentées par le chercheur » (Van Der Maren, 1996, p. 402).

La complémentarité entre ces deux techniques d’entretien a été envisagée pour donner plus de validité et de crédibilité aux données récoltées, modélisant ainsi les discours des enseignants. Van Der Maren (1996, p. 381) use d’une image métaphorique pour illustrer la pertinence de la constitution d’un tel corpus de données

Comme le policier dans une enquête qui confronte les dires des témoins, il faut, dans les sciences humaines, trianguler les données, c’est-à-dire recouper des données de diverses sources et obtenues par diverses techniques, afin d’évaluer dans quelle mesure l’information recueillie permet de se faire une idée valable.

Notons par ailleurs que cette démarche permet aussi de pallier à certaines limites en lien avec ce que les données d’un certain type peuvent fournir comme matériel. Ainsi et par la complémentarité entre données provoquées et données suscitées, nous répondons partiellement aux difficultés qui peuvent être les suivantes : réadaptation on line et

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nécessité pour le chercheur d’inscrire le discours dans des catégories en ce qui concerne les données suscitées ; problèmes de congruence entre l’interprétation du sujet et l’intention du chercheur, en ce qui concerne les données provoquées.

3.1.3 Un recueil de données en deux étapes

Comme nous l’avons déjà mentionné, notre but est donc de faire passer les sujets interrogés par une reconstruction du passé pour « […] mettre en évidence la dynamique d’une évolution et de l’interaction entre le sujet, ses rôles, son milieu, sa culture et les institutions » (Van Der Maren, 1996, p. 309).

Dans cette idée, nous avons donc formulé des questions d’entretien (une quinzaine environ, cf. annexe 1, pp.111-112) avec la prise de conscience d’une difficulté majeure : la capacité pour les sujets à se remémorer les évènements datant du début de leur carrière.

De fait dans notre dispositif, il s’agit de questionner la mémoire humaine pour reconstruire un passé vécu en « […] remontant d’abord dans le temps, puis en rétablissant le fil de l’histoire à partir du souvenir de l’origine» (Van Der Maren, 1996, p. 218). Par conséquent et au-delà de la contrainte d’avoir vécu une situation et d’être capable de s’en souvenir dans un va et vient constant entre passé, présent et parfois même futur, il faut que le chercheur évalue et sélectionne « […] des situations stimuli pertinentes qui conduisent, de fait, les narrateurs à fournir un matériel utilisable pour la recherche» (Van Der Maren, 1996, p. 311). Cette réflexion nécessite notamment une décentration de la part du chercheur, qui doit se mettre à la place de celui qui reçoit la question et qui doit y donner une réponse.

En ce qui nous concerne, nous avons construit nos premiers entretiens sur la base de lectures exploratoires ainsi que d’idées personnelles développées sur la thématique qui est la nôtre. Par ailleurs, nous avons formulé les questions en fonction de ce qui nous intéressait principalement par rapport à notre questionnement général. Ainsi, nous avons obtenu des questions de différents types aussi bien du point de vue de leur formulation que des thématiques traitées. Dans un second temps et comme nous venons de l’évoquer, nous avons tenté de regrouper ces questions en différents blocs, en prêtant une attention toute particulière à l’ordre des questions dans les blocs, ainsi qu’à l’ordre même de ces blocs. Cette réflexion a été menée à la fois pour faciliter la passation des entretiens (cohérence générale, compréhension des questions), et à la fois pour pouvoir mieux observer la décomposition des thématiques en éventuelles sous-catégories.

Initialement, nous avions décidé de faire passer le même entretien à une dizaine d’enseignants. Cependant, et avec pour objectif de rendre les analyses plus vivantes mais surtout plus riches, nous avons décidé de procéder en deux étapes. La première étape

consiste à mettre en place quatre entretiens individuels selon le processus expliqué ci-dessus (cf. annexe 1, pp.111-112), et à effectuer une première analyse de ces entretiens afin d’en faire ressortir les éléments importants. Par la suite, il s’agit d’effectuer à nouveau des entretiens individuels non pas sur la base des questions qui ont été posées lors des premiers entretiens, mais bien sur la base des réponses qui ont été obtenues. Ces réponses constituent ainsi des premiers résultats de recherche sur lesquels les seconds entretiens se basent, conduisant ainsi à une deuxième tranche d’analyses. En d’autres termes, les seconds entretiens sont construits sur le principe d’échos et de résonances que les premières analyses peuvent avoir sur les sujets interrogés lors de la deuxième étape (cf.

annexe 3, pp.117-121). De cette manière, les seconds entretiens sont construits de façon plus affinée, en se basant sur des concepts qui ont été « décortiqués » en plusieurs composantes par rapport auxquelles il s’agit de réagir de manière semblable, différente voire originale.

Au-delà des avantages liés au croisement des données, nous pensons également pouvoir trouver des bénéfices du point de vue de la pratique de cette méthode de recueil que constituent les entretiens. En effet, la démarche d’entretien peut être a priori définie comme étant la plus « accessible » dans le sens où c’est peut-être celle qui requiert le moins d’aspects pratiques à prendre en considération. Cependant, il y a tout de même un travail de préparation avant l’entretien, mais aussi un travail de réflexion et d’adaptation pendant l’entretien, qui sont des éléments non négligeables. En cela, mener des entretiens est un exercice sans doute moins évident qu’il n’y parait. En effet, le discours de l’interviewer et de l’interviewé évolue au sein d’influences réciproques donnant parfois l’impression à l’interviewé qu’il doit produire le « bon » discours, celui qui est défini par lui-même comme étant attendu de la part de l’interviewer. De son côté et tout en faisant preuve d’une écoute attentive, l’interviewer doit tout mettre en œuvre pour faire en sorte que ses sujets puissent aller au-delà des discours convenus, et ainsi atteindre un certain degré de profondeur : « […] l’esprit théorique du chercheur doit rester continuellement en éveil de sorte que ses propres interventions amènent des éléments d’analyse aussi féconds que possible » (Quivy & Van Campenhoudt, 1995, p. 194). Bourdieu (1993) évoque dans la même idée une forme de tension qui peut naître de la difficulté à accorder d’une part une « disponibilité totale à l’égard de la personne interrogée » (p.906), et d’autre part la capacité à « anticiper les questions capables de s’inscrire « naturellement » dans la continuité de la conversation tout en suivant une sorte de « ligne » théorique » (p.

906).

Par conséquent, nous pensons que le fait de pouvoir s’essayer à l’exercice des entretiens à deux reprises, permet notamment d’observer et de rencontrer des limites à la première

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étape, et donc d’essayer de les contourner à la seconde étape, car finalement, c’est en faisant qu’on apprend.

En bref, nous partons dans un premier temps de l’hypothèse méthodologique qui est la suivante : passer par la verbalisation des enseignants pour faire ressurgir la complexité, les enjeux, les facteurs d’influence mais également certains échos inattendus. Cependant, il s’agit aussi d’aller encore plus loin en confrontant, dans un second temps, d’autres praticiens à ce qui est ressorti des discours de leurs collègues, rendant ainsi notre matériel encore plus construit

Dans la recherche exploratoire, la seule hypothèse formulée est méthodologique. C’est-à-dire qu’étant donné le problème auquel on est confronté, on pose que, si telle stratégie de constitution des données est utilisée, alors on obtiendra un matériel dont l’analyse et le traitement permettront de formuler des hypothèses (Van Der Maren, 1996, p. 477)