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2. Cadre théorique : L’interactionnisme, un courant multidisciplinaire

2.7 Emprunts théoriques et modèles

2.7.2 La présentation de soi

En s’appuyant sur la métaphore et la dramaturgie du théâtre, Erving Goffman appréhende les individus comme des acteurs en représentation sur une scène et devant un public. Ici, nous comprenons que les individus sont des acteurs en représentation portant un masque et jouant des personnages sur une scène de théâtre (vie quotidienne). Ainsi, l’acteur est engagé dans une interaction, il se met en scène en donnant une image valorisante de lui, en essayant d’influencer, de séduire, voire de duper ou en tentant de dissimuler des aspects de sa personnalité tout en scrutant son public pour déceler des aspects cachés.

2.7.2.1 La scène et les coulisses

Pour Erving Goffman (1974), les individus sont des acteurs en représentation sur une

scène : « Pour les Grecs et les Romains la scène devait représenter une rue ou tout autre lieu extérieur et les spectateurs une assemblée…Chaque scène devait être située en plein air…»

(p. 145). Le chercheur remarque que dans ce cadre des acteurs s’engagent dans des représentations personnelles en prenant spontanément la parole devant un public tandis que d’autres individus se comportent en spectateur. Les individus sont des acteurs qui jouent un

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rôle/personnage lors d’une représentation en public, c’est-à-dire sur une scène, en face-à- face, et qui s’imposent des règles de conduite afin d’éviter les collisions avec les autres (laisser passer, contourner, s’arrêter, s’écarter, etc.), de réguler leur comportement et d’assurer des échanges harmonieux et respectueux. Par ailleurs, dans la vie courante, nous

discutons spontanément à bâtons rompus (digressions, changement de thématiques, etc.) et quand une personne rejoint le groupe nous lui donnons clairement des informations pour comprendre la conversation (« compensation révélatrice »). Des acteurs jouent des rôles

contradictoires, car un individu peut prendre une apparence trompeuse afin d’en tirer profit.

Certains individus jouent un rôle de non-personne, en d’autres termes, ils participent à l’interaction sans être un acteur comme le personnel au guichet et au vestiaire, les accompagnateurs et placeurs. Dans le forum, nous pouvons poser la question du rôle des faussaires6 (rôles contradictoires ?) et de l’administrateur/modérateur (non-personne ?). Dans une représentation en public, plus précisément dans un espace délimité qui constitue un cadre théâtral, l’acteur dispose d’aptitudes et de compétences pour jouer des rôles et envisager des

relations interpersonnelles (mémoire, empathie, honnêteté, sérieux, mais acceptation d’une

pitrerie de courte durée personnalité, perception correcte de la situation, etc.). L’acteur est sincère et entend le montrer aux autres : « Si une représentation doit avoir lieu, les témoins

dans leur majorité doivent croire à la sincérité des acteurs » (1973, t. 1, p. 72). Dans

certaines situations, l’acteur est cynique et s’engage dans des « représentations

frauduleuses » en trompant l’autre afin d’en tirer un bénéfice personnel (fraude, falsification,

imposture, escroquerie, tromperie, etc.) mais le public n’accepte pas ces comportements insincères qu’il sanctionne. Un paradoxe, parfois le public réclame implicitement à l’acteur des comportements de nature frauduleuse afin de ne pas mettre mal à l’aise l’interlocuteur (pieux mensonges, toute vérité n’est pas bonne à dire, mensonge par omission, etc.) et tolère les petites fraudes (cacher un défaut ou s’accorder une qualité que l’acteur ne possède pas).

Généralement, les acteurs évoluent dans des régions : « Tout lieu borné par des obstacles à la

perception » (1973, t. 1, p. 105). Nous distinguons la région antérieure/scène qui est l’espace

de jeu devant un public, où se montre la façade. Dans cette région, l’acteur applique des

règles de politesse pendant ses échanges directs avec le public et adopte des comportements

de bienséance. D’ailleurs, sur une scène, les acteurs évitent les situations embarrassantes et gênantes (faux pas, impaires, maladresses, intrusions, faire une scène, etc.) et mettent ainsi en

70 place des techniques protectrices (maîtrise de soi, contrôle des émotions, discrétion, etc.) ou défensives (tact réserve, distance, attention, indulgence, etc.) afin d’assurer une bonne représentation. Nous notons aussi l’existence d’une région postérieure/coulisse généralement interdite au public, dans laquelle l’acteur se prépare, retire son masque, se relâche ou fabrique et range son décor. La région extérieure concerne les individus qui ne sont pas autorisés à participer à la représentation (interdit d’accès aux deux régions). Le chercheur en psychologie sociale Dominique Picard (1995) distingue les lieux privés dont l’accès est contrôlé et les

lieux publics accessibles à tous, composés d’inconnus qui respectent des règles en usage et

font preuve de discrétion en assurant une bonne distance entre eux. Les lieux publics ouverts sont plus larges (rue, place, parc, etc.) et se différencient des lieux publics fermés (transports en commun, musée, cinéma, etc.) mais nous constatons l’existence de lieux intermédiaires qui sont des espaces publics avec des spécificités des espaces privés (cabine d’essayage, parasol et serviette sur la plage, etc.).

2.7.2.2 La façade

Les acteurs définissent la situation à partir de leurs connaissances et des indices volontaires ou involontaires qu’ils se communiquent en permanence pendant l’interaction. Tout d’abord, l’individu en représentation entend montrer une façade qui se compose d’un décor stable (accessoires, objets, outils. etc.), d’une apparence physique (vêtements, corps), de manières (comportements, gestes, postures). Il se présente sous un aspect valorisant et projette une image idéalisée de lui, ce qui l’amène à reproduire les stéréotypes de la communauté dans laquelle il se situe afin d’être apprécié par les autres membres, et préfère dissimuler des activités moins consensuelles. Par ailleurs, l’acteur se doit de respecter une cohérence dans son expression en conformité à ce que nous attendons de lui dans la situation afin d’éviter d’altérer la qualité de l’échange (respect des normes, règles, rites, signes distinctifs, expressions, etc.). Nous retrouvons ces comportements non acceptés dans l’irrespect, les impressions de manque ou d’excès d’intérêt ou dans l’absence de préparation. Enfin, l’acteur doit respecter une cohérence dans son comportement et tout écart nuit à la qualité de sa représentation comme l’irrespect (bailler, posture relâchée, bousculer, trébucher, crier, bredouiller, etc.), l’intérêt excessif ou insuffisant (nervosité, rire, attitude désinvolte ou à l’inverse trop sérieuse…) et le manque de préparation (décor mal placé ou modifications au cours de l’interaction, temps morts, etc.). De fait, nous comprenons pourquoi l’acteur utilise des routines et des formules de politesse afin de gérer des interactions sans risque et réparer

71 les erreurs de comportements que sont les offenses. Du reste, nous observons que l’acteur qui désire se distinguer, se démarquer, s’affirmer autrement, s’engage secrètement dans des activités souterraines (double vie, vie cachée, violon d’Ingres, etc.) ou dissimule des activités non attendues par le groupe (création, fabrication, production, construction, etc.).

Au moment de la rencontre, l’acteur utilise un matériau verbal et non verbal pour s’exprimer. Il ne veut pas « perdre la face »e et essaie de « faire bonne figure » auprès des autres. Si ces derniers ne répondent pas à ses attentes, l’acteur « fait piètre figure ». Dans ce type de situation, une gêne s’installe et la qualité de la relation pâtit. Qui plus est, l’acteur est embarrassé, et parfois des expressions corporelles renforcent le malaise (rougir, rougeur, palpitation, sueur, bouche sèche, raideur, tête baissée, se cacher le visage, bégayer, etc.). Néanmoins, ce dernier dispose de compétences comme la confiance en soi ou la maîtrise de soi pour éviter de montrer cette gêne et ainsi de « sauver la face ». En règle générale, nous demandons à l’individu de ménager la face de l’autre en faisant preuve de tact et de politesse, et de préserver la sienne en restant modeste tout en se valorisant. La figuration réunit les actions des participants pour gérer les faces et permettre des échanges harmonieux. Nous disposons de routines conversationnelles afin d’assurer ce processus. C’est le cas des

échanges confirmatifs (politesse) et des échanges réparateurs (excuses).

2.7.2.3 Le groupe

Un individu accompagné constitue un groupe (« groupe avec »). Erving Goffman nomme

cercle les personnes seules qui se rencontrent ou se retrouvent ensemble en coprésence dans

un espace et qui forment ainsi une réunion en groupe : « Toute zone matérielle en n’importe

quel point de laquelle deux personnes ou plus se trouvent mutuellement à portée de regard et d’oreille. Le terme de « réunion » peut servir à désigner les entités corporelles ainsi en présence » (Goffman et Winkin 1988, p. 91). Cette unité maintient une distance avec les

personnes extérieures, mais les membres du groupe sont en capacité de s’engager dans des conversations différentes avec d’autres membres du groupe (aparté). Ces conversations sont verbales ou/et par gestes. Les rencontres sans engagement personnel, sans discussion restent possibles, c’est le cas dans les transports en commun ou dans l’ascenseur. Par ailleurs, les membres appliquent des rituels quand ils se retrouvent et quand ils se séparent. Ce sont des routines acquises et reproduites inconsciemment et automatiquement au moment de parler et d’écouter (politesse). Certaines situations sont propices à la constitution de groupes de

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conversations temporaires, mais nous retrouvons des séquences rituelles d’entrée en contact

et surtout de séparation (ascenseur, soirée, dîner, etc.). Si nous suivons ce raisonnement, le forum constitue-t-il un groupe de conversations temporaires et une réunion en groupe ?

2.7.2.4 Les équipes

Les acteurs peuvent se constituer en équipe : « Un ensemble de personnes dont la coopération

étroite est indispensable au maintien d’une définition donnée de la situation » (Goffman

1973a, p. 102). Dans ce cas, c’est le groupe qui devient un acteur en représentation. Les équipiers peuvent engager des communications étrangères et exprimer discrètement et subtilement, une complicité entre eux devant un public, une « complicité d’équipe ». Ces procédés sont multiples tels que l’utilisation de signaux codés, les signaux verbaux et extra- verbaux.