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2. Cadre théorique : L’interactionnisme, un courant multidisciplinaire

2.7 Emprunts théoriques et modèles

2.7.7 Les cadres de l’expérience

En reprenant le point de vue de Grégory Bateson (1936), Erving Goffman introduit la notion de cadres de l’expérience pour indiquer que toute expérience et activité humaine sont en rapport les unes avec les autres et que nous mobilisons des cadres afin d’interpréter et comprendre ces situations. L’auteur identifie deux types de cadres : les cadres primaires et

les cadres secondaires/transformés.

2.7.7.1 Les cadres primaires : cadres naturels et cadres sociaux

Erving Goffman définit un cadre primaire comme une situation dans laquelle nous donnons une signification aux choses (expériences, activités, etc.) : « Est primaire un cadre qui nous

permet, dans une situation donnée, d’accorder du sens à tel ou tel de ses aspects, lequel autrement serait dépourvu de significations » (1991, p. 30). Il fait la distinction entre deux

catégories de cadres primaires : les cadres naturels qui sont des situations dans lesquelles se produisent des événements naturels qui relèvent de la loi de la nature tels que les phénomènes

stupéfiants et déstabilisants (surnaturels), les actions extraordinaires des êtres humains

(exploits), les ratages (maladresses) et les fortuits (hasard) qui nous mettent dans l’embarras. Dans les cadres sociaux se réalisent les actions des individus poursuivant des buts, poursuivant des objectifs mais soumis à des normes morales (honnêteté, élégance, tact, bon goût, etc.) et des règles (conduite ou modes d’emploi).

2.7.7.2 Les cadres secondaires : modalisation et fabrications

Erving Goffman (op. cit.) présente les cadres secondaires comme des transformations des activités humaines des cadres primaires en d’autres activités prenant ainsi un autre sens. C’est processus de modalisation : « Par mode, j'entends un ensemble de conventions par lequel une

activité donnée, déjà pourvue d'un sens par l'application d'un cadre primaire, se transforme en une autre activité qui prend la première pour modèle, mais que les participants considèrent comme sensiblement différente. » (p. 52). La modalisation est donc une transformation de cadre dans laquelle des acteurs conscients donnent un nouveau sens en définissant ensemble la situation (caractéristiques des participants, déterminants sociaux,

opinions portées les uns sur les autres historiques des échanges du groupe, etc.). Dans un cadre et dans ce processus de transformation nous identifions le début et la fin d’une séquence avec des conventions de phasage pour annoncer la nature de l’activité/du jeu (les trois coups au théâtre et le rideau qui se lève). Le chercheur décèle cinq types de modalisation : les « faire-semblant » (introduction de séquences ludiques ou imaginaires dans l’interaction), les

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cérémonies (rituels sociaux), les réitérations techniques qui représentent les activités réalisées

hors contexte (apprentissage, simulation, entraînement, répétition, démonstration, etc.) et les

détournements qui concernent les activités exécutées hors de ses habitudes (se travestir, se

déguiser, œuvres de charité, etc.). Les fabrications sont d’autres types de transformations. Ce sont les actions réalisées individuellement ou collectivement dans le but de désorienter l’activité d’une personne ou d’un groupe de personnes. Ici, tous les acteurs ne donnent pas le

même sens à la situation. Effectivement, les personnes sont dupées, l’objectif est de les

induire en erreur sur ce qui se déroule dans le cadre. (trompeurs contre trompés) et c’est le trompeur qui définit seul la situation. Nous repérons les fabrications bénignes qui restent dans un cadre acceptable car sans conséquence ou réaction des victimes tels que les tours (divertissement de courte durée rapidement identifié), les canulars (supercherie d’une longue durée et plus complexe que le tour), les canulars expérimentaux et formateurs pour lesquelles nous dissimilons aux victimes que nous procédons à une simulation (cobaye, test à l’aveugle), les épreuves décisives destinées à éprouver la loyauté d’une personne (piège), les

machinations protectrices afin d’éviter de troubler un individu (pieux mensonge), les fabrications stratégiques qui concernent les fausses réponses données aux questionneurs

(feinte, bluff, etc.) et les farces qui dirigent la victime dans une mauvaise direction sans dévoiler la supercherie. Nous identifions les fabrications abusives qui constituent des tromperies de seconds degrés et qui portent délibérément atteinte aux intérêts de la victime (faire du tort). Ces dernières se distinguent des fabrications bénignes, car les droits de la victime ne sont pas respectés (abus de confiance). Nous nous attendons à une action possible en justice de la part de la victime dans le cas d’un faux témoignage, d’un coup monté, d’une tromperie, d’une escroquerie, etc. Toutefois, les individus ne subissent pas toujours les manœuvres des trompeurs car ces derniers sont parfois discrètement surveillés dans leurs agissements (pris au piège) ou infiltrés voire piégés, mais les manipulateurs peuvent déceler ces manœuvres et feignent de les ignorer dans le but de piéger le piégeur. Nous sommes ici dans des transformations successives de cadres (strates). L’homme dispose d’une capacité à suivre et comprendre ces nombreuses fabrications successives et profondes (intrigue au théâtre).

2.7.7.3 L’activité hors cadre

Les acteurs réalisent des actions dans un cadre, mais des événements hors cadre se manifestent autour d’eux. Ces événements ne sont pas de nature à les détourner de leurs activités cadrées. Nous repérons un canal de distraction dans lequel des individus se

93 déconnectent des activités normales et habituelles du cadre, mais les participants feignent d’ignorer ces comportements (détourner le regard, se taire). Nous identifions un canal de

direction qui contient des indices pour délimiter et réguler l’activité dans le cadre comme les

marqueurs mimo-gestuels qui accompagnent le discours et les régulateurs verbaux et non verbaux qui permettent de soutenir une discussion (Traverso 2004, p. 45). Par ailleurs, nous repérons un canal de superposition qui nous permet de recevoir des messages hors cadre sans détourner notre attention (publicité) et un canal de dissimulation qui représente les actions des acteurs que nous ne percevons pas systématiquement et qui leur permettent des arrangements cachés dans une situation trop cérémoniale ou trop stricte (clin d’œil, faire du pied, tics, etc.).

2.7.7.4 L’ancrage de l’activité

Erving Goffman nomme ancrage de l’activité les liens de séparation entre les actions dans un cadre et celles hors cadre. Il repère des conventions de phasage qui représentent les marqueurs temporels d’ouverture et de clôture des activités du cadre. C’est le cas des

parenthèses conventionnelles externes afin de spécifier le début et la fin de l’activité (trois

coups et rideaux levés puis rideaux fermés et lumière rallumée) et des parenthèses

conventionnelles internes pour caractériser les courtes séparations dans l’activité cadrée :

entracte, mi-temps, pause-café, préliminaires verbaux de l’acteur pendant sa représentation. Par ailleurs, le chercheur s’intéresse aux formules de l’apparence et indique que dans un cadre, nous distinguons l’individu de son rôle. Dans la formule personne-rôle nous attribuons des rôles en fonction de critères biologiques (âge, sexe, etc.) ou sociaux (appartenances, qualifications, talents, etc.). Cependant, nous acceptons les sorties hors cadre et que les personnes quittent leur rôle (dissociation personne-rôle) afin de maintenir un niveau de confort (tousser, aller aux toilettes, gigoter sur son siège, etc.), mais dans certaines limites, ou pour des causes imprévues (rigoler après un moment drôle, etc.) ou par obligation de traitement comme un « objet » (chez le coiffeur, le médecin, etc.).

2.7.7.5 - Les défaillances de cadrage

Une ambiguïté de cadrage se produit quand nous avons un sentiment d’incertitude ou de doute dans une situation (événement radical, soudain et inhabituel) ou quand nous sommes en coprésence car nous doutons des intentions des autres, nous nous méfions des apparences et nous craignons la duperie. Ces ambiguïtés conduisent aux erreurs de cadrage. Ainsi, nous poursuivons nos activités avec une fausse compréhension, nous interprétons mal la situation

94 ce qui entraîne des actes, comportements, paroles erronées (bourdes, gaffes, etc.) et une nécessité de nous expliquer, de nous justifier, de clarifier pour épurer le cadre au risque d’être mal perçu. Nous nous retrouvons dans un cycle de type : mauvais cadrage – comportement

inapproprié – justifications et explications – mauvaise perception par l’autre. Certaines

erreurs favorisent la rupture de cadres. C’est le cas des expressions corporelles (gestes maladroits, faire tomber un objet, tenue vestimentaire inappropriée), des expressions sonores (couac, ton au-dessus) et des expressions du visage notamment dans des situations cérémoniales et sérieuses (colère, fou rire, éclater en sanglots, rougir, pleurer). Parfois une

sous-modalisation se produit quand des activités se délitent et perdent une strate (ce qui est

ludique devient sérieux) ou à l’opposé une sur-modalisation quand une rajoute une strate (ce qui est sérieux devient ludique) entraînant ainsi des ruptures de cadres.