• Aucun résultat trouvé

2. Cadre théorique : L’interactionnisme, un courant multidisciplinaire

2.7 Emprunts théoriques et modèles

2.7.4 La relation interpersonnelle

En reprenant les rites et les faces d’Erving Goffman, Catherine Kerbrat-Orecchioni (1992) s’intéresse aux relations interpersonnelles dans un échange. Elle suggère que lors d’une interaction et au-delà de la dimension informative, des liens se créent entre les participants.

77 En effet, parfois les échanges ont pour fonction d’établir le contact et de construire un type de relations entre les interactants. (se ménager, s’accorder ou s’opposer, etc.). En s’appuyant sur les « contraintes rituelles » d’Erving Goffman, Catherine Kerbrat-Orecchioni insiste sur les

mots que nous utilisons dans la construction de la relation interpersonnelle. Nous

remarquons ainsi, que la relation interpersonnelle évolue au cours de l’interaction et que les places ne sont jamais définitivement acquises (Flahaut 1978, Vion 1992, Charaudeau et Maingueneau 2002).

2.7.4.1 Proximité-éloignement et égalité-hiérarchie

Dans un premier temps, intéressons-nous aux deux aspects de la relation. La relation

horizontale correspond au niveau de proximité ou d’éloignement fixé par les interactants. La relation verticale représente la position et le statut égalitaire ou hiérarchique des participants au début et pendant l’interaction. Dans un second temps, repérons la variété des

composants de la relation. Une interaction se déroule dans un cadre et les individus définissent

la situation au début de l’échange. Pendant l’échange les individus peuvent négocier leur relation de départ en utilisant des unités linguistiques appelées relationèmes constitués de

marqueurs verbaux, non-verbaux et para-verbaux. Nous retrouvons cette appoche avec les

« signes du lien » chez Erving Goffman (1973, t.2), et le « rapport de places » ou « indicateurs de place » chez Flahaut (1978).

Habituellement, une interaction se déroule de la façon suivante. Au début de l’échange les interactants se positionnent à proximité ou à distance en fonction du type de lien entre eux (statuts, qualités, compétences), en utilisant des relationèmes horizontaux non verbaux et

para verbaux pour marquer ou non la distance physique : gestes (attouchements ou bras

croisés), postures du corps (face-à-face, côte-à-côte ou relâchement), regards (dans les yeux ou ailleurs), mimiques (clin d’œil, acquiescement, grimace ou froncer les sourcils), timbre de la voix (doux ou fort), débit de paroles (rapide ou lent). Les interactants appliquent des

marqueurs verbaux pour fixer le type de relations : termes d’adresse (tutoiement ou

vouvoiement), noms d’adresse (diminutif, prénom, civilité ou titre honorifique), les thèmes abordés (généraux ou intimes), le niveau de langue (soutenu ou familier). Cette étape permet de repérer le rapport de force qui s’installe. Nous constatons parfois la présence d’un dominant en position haute et d’un dominé en position basse. Pour le dominé le jeu consiste à rétablir l’égalité. Nous nous situons ici dans la relation verticale et nous utilisons des

78

relationèmes verticaux appelés taxèmes en distinguant les taxèmes de position haute (TPH)

et les taxèmes de position basse (TPB). Pour identifier les caractéristiques d’un individu en position haute ou basse nous appliquons des marqueurs para-verbaux et non verbaux : TPH (uniforme, carrure, gestes d’affirmation, voix haute, etc.), TPB (absence de gestes ou gestes descendants, voix basse et hésitante, etc.) et des marqueurs verbaux : TPH (langue native, vocabulaire élaboré et spécialisé, tutoiement direct sans négociation, temps long de parole, prise brutale de la parole ou sans autorisation, prise d’initiative de l’ouverture et de la clôture de l’échange, thèmes proposés, affirmation des opinions, etc.), TPB (langue étrangère, vocabulaire familier, vouvoiement unique ascendant, temps de parole écourté, difficulté à prendre la parole, thèmes imposés, etc.). Si nous suivons Fabienne Martin-Juchat (2005), nous interprétons ses taxemes à dimension « affective » : TPB (tête penchée en avant, regards indirects, bouche semi-ouverte, bassin de profil, etc.) ou des TPH (menton légerement relevé, symétrie des épaules, bassin de face, bouche fermée, etc.).

Parmi les marqueurs verbaux, nous notons l’importance des actes langagiers menaçants et d’autorité qui touchent le territoire de l’individu : TPH (interdiction, menace, sanction, ordre, suggestion, contestation, conseil, etc.) et en TPB (promesse, aveux, reconnaissance, excuse, rétractation, auto critique, pardon, remerciement, etc.). Un bémol cependant, Catherine Kerbrat-Orecchioni préfère parler d’une « échelle taxémique » car les actes de langages en TPB et TPH doivent s’appréhender en fonction de la manière de les formuler (adoucir un acte menaçant ou durcir un acte menaçant, etc.) et du choix de renoncer à son statut de dominant ou de se rebeller contre son statut de dominé. Pour l’auteure, les individus coopèrent afin que l’interaction se déroule dans de bonnes conditions, mais pendant l’échange des tensions se produisent et l’affrontement est parfois recherché (débat, jeu de questions/réponses.). Toutefois, c’est la dimension coopérative qui domine car les individus évitent les conflits (trêves, pauses).

2.7.4.2 Les territoires du moi

Pour Erving Goffman, l’individu dispose de droits qui s’exercent sur un territoire, plus exactement dans un espace physique autour de lui, et les objets qui lui sont associés. Ce territoire est constitué de réserves et délimité au moyen de marqueurs. Toute incursion non autorisée dans ce territoire est considérée comme une violation, plus exactement une offense. Les réserves concernent l’espace physique dans lequel évolue l’acteur (autour du corps), ses

79 possessions et objets placés à côté de lui (accessoires sur le corps), l’enveloppe (vêtement sur le corps), la place qui lui est réservé pour se maintenir (position du corps), l’espace nécessaire à l’exercice d’une activité (distance des autres par rapport au corps), l’ordre dans lequel il reçoit un objet (place du corps par rapport aux autres), les faits et informations sur lui (corps intime et secret) et l’autorisation de conversation (rapprochement des corps). Pour Michel Marcoccia (1998) il y aurait un territoire technique mais les contours restent flous et fortement dépendants de la dimension technique/outils (limiter le poids des messages, etc.). Toutefois, cette dernière proposition retient notre attention car nous nous dirigeons vers un

territoire numérique plus large et sur lequel l’outil occupera une place moins importante

(Doueihi, 2011). D’une manière générale, le rapport au territoire dépend de la dimension culturelle et sociale qui caractérise une communauté d’interactants. Ainsi, en France, la promiscuité est mal vécue et les individus protègent leur territoire en évitant les attouchements et les incursions dans l’espace intime (rêves, secrets, fantasmes, etc.). L’acteur protège son territoire à l’aide de marqueurs comme les objets volontairement placés entre lui et les autres ou l’apposition de sa graphie, mais surtout grâce à l’usage d’indicateurs verbaux (mots prononcés afin d’empêcher l’intrusion) para verbaux et non verbaux (gestes pour repousser, distance suffisante, regard fuyant, etc.).

2.7.4.3 Les formules de politesse

La politesse permet d’assurer des échanges harmonieux et équilibrés entre des individus partagés entre la défense de leurs intérêts et la prise en compte de ceux des autres : « L’ensemble des procédés conventionnels ayant pour fonction de préserver le caractère

harmonieux de la relation interpersonnelle, en dépit des risques de friction qu’implique toute rencontre sociale » (Kerbrat-Orecchioni 2005, p. 189). En règle générale, l’individu recherche

le compromis, utilise des expressions indirectes et nuance son propos. Ce qu’Erving Goffman nomme « opérations de réalignement » concernent les expressions édulcorées et nuancées qui permettent de ménager l’autre, ou les tentatives de modifier la situation et de rétablir l’égalité. Nous traitons ici des comportements que doit appliquer l’émetteur en présence du ou des récepteur(s) : la modestie envers soi-même (se rabaisser sans se déprécier ni se dévaloriser), le

respect envers soi-même (toujours conserver sa dignité), le respect des autres (politesse, tact,

déférence, tenue, réserve). Pour appréhender cette dimension essentielle de l’interactivité, Catherine Kerbrat-Orecchioni (1985) prend la suite de Pénélope Brown, Stéphen Levinson et d’Erving Goffman en proposant des ajustements. Le modèle de Pénélope Brown et Stéphen

80 Levinson (1987) s’appuie sur le « territoire du moi » d’Erving Goffman (1973, t.2), les « rituels positifs » (contact avec l’objet sacré par les offrandes et sacrifices) et les « rituels

négatifs » (les tabous et interdits) d’Emile Durkheim (1912). L’originalité du travail de

Pénélope Brown et de Stephen Levinson est de proposer une double face : la « face positive » et la « face négative » et d’affirmer que l’individu cherche, à préserver son image et celle des autres, ainsi que se protéger contre les intrusions sur son territoire. Il évite donc les empiétements sur celui des autres. Dans ce modèle, nous remarquons que les individus disposent d’une face positive qui représente une image valorisante de soi que nous tentons de montrer aux autres (faire bonne figure et ne pas perdre la face) et d’une face négative qui correspond aux territoires de l’individu (possessions, espace intime, jardin secret, temps de parole, le corps et ce qui le prolonge, etc.). Dans une interaction entre deux individus les actes langagiers constituent des menaces pour les faces : FTA(s) (Face Threatening Acts). En effet, le locuteur est menacé sur sa face négative quand il s’engage, promet ou offre (perte de territoire) ou sur sa face positive quand il s’excuse, se soumet ou avoue (dévalorisation, dépréciation), quant au récepteur, il est menacé sur sa face négative à la suite de violations de territoire (incursions, intrusions, indiscrétions, empiétements) ou sur sa face positive suite aux critiques, reproches, rejets, moqueries, injures, insultes qui représentent des atteintes narcissiques. Pour empêcher tout risque de dégradation ou de rupture dans l’échange, nous appliquons des règles de politesse qui visent à ne pas perdre la face ou faire perdre celle de l’autre. Catherine Kerbrat-Orecchioni estime que les deux chercheurs ont une vision négative de l’interaction, les individus seraient menacés en permanence et devraient se protéger. Elle propose d’intégrer les actes positifs qui ne constituent pas une menace pour les faces, mais au contraire une opportunité de valorisation qu’elle nomme FFA(s) (Face Flattering Acts), en d’autres termes, des anti-FTA, des actes flatteurs pour les faces. L’auteure propose deux actes de politesse : la politesse négative qui consiste à s’abstenir d’un acte menaçant et la politesse

positive qui permet de produire des actes flatteurs. Catherine Kerbrat-Orecchioni reprend les « softeners » de Pénélope Brown et Stéphen Levinson, les «rites d’évitement », « figuration par réparation » et « figuration par évitement » chez Erving Goffman et nomme adoucisseurs

les marqueurs verbaux, non verbaux et para verbaux de la politesse négative. Parmi les adoucisseurs de la politesse négative (anti-menace) nous repérons les procédés substitutifs qui permettent de substituer un élément de l’énoncé trop direct à l’aide d’un élément moins direct. C’est le cas de la formulation indirecte qui est préférable à l’impératif pour offrir au récepteur la possibilité de ne pas réagir (sourde oreille), de la forme interrogative ou déclarative qui

81 permet de formuler un ordre par une question ou une assertion (parabole, critique, reproche, promesse, incompréhension, etc.), des formes grammaticales (conditionnel, imparfait, futur de politesse, etc.), des pronoms personnels (iloiement, tutoiement-vouvoiement) et des figures de style (litote, euphémisme, ironie, trope communicationnel). Nous mettons en évidence les

procédés accompagnateurs qui représentent les éléments qui complètent des énoncés directs

et dont le rôle est d’atténuer un acte menaçant : marqueurs d’hésitation, préliminaires, désarmeurs, minimisateurs, amadoueurs, modélisateurs. Concernant les marqueurs de la politesse positive, Catherine Kerbrat-Orecchioni propose une liste (trop) détaillée de FFAs. Nous citons les accords, les compliments, les invitations et remerciements, la modestie, mais nous retenons sa proposition d’échanges complimenteurs.