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l’entreprise libérée et de ses effets sur la performance sociale

S ECTION 2 : A NTECEDENTS MANAGERIAUX A L ’ ADOPTION DE L ’ ENTREPRISE LIBEREE

2.2. A PPORT DES REPRESENTATIONS SOCIALES

Si l’influence des représentations sociales des dirigeants sur la formation des comportements et décisions stratégiques a rarement été investiguée, deux études récentes mettent en évidence leur intérêt en management stratégique. Ricard et al. (2016) montrent, par exemple, qu’une représentation positive de l’environnement international par les top-managers est un facteur clé de succès de l’internationalisation de leurs entreprises et ce, malgré le manque de visibilité et de connaissances sur les pays étrangers. Dans une autre étude récente, Csaszar et Levinthal (2016) montrent que les représentations sociales des managers affectent la perception des retombées et alternatives stratégiques qu’ils sont prêts à considérer, et en définitive la qualité des stratégies qu’ils élaborent.

2.2.1. Origines, définitions et distinctions

Les représentations sociales, issues des sciences sociales et notamment de la psychologie et de la sociologie, s’intéressent particulièrement à l’émergence et à la construction de telles représentations. Moscovici (1961) est le premier à cadrer et à labelliser les représentations sociales telles que nous les connaissons aujourd’hui. Il fut précurseur dans le domaine en s’intéressant aux processus à l’origine des

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représentations. Bien que sa vision soit novatrice, d’autres auteurs s’étaient préalablement penchés sur les représentations dès la fin du 19ème siècle, tels qu’Emile Durkheim (Durkheim, 1898 ; Durkheim et Mauss, 1901), auteur de référence de la discipline. Ses travaux portaient sur les représentations collectives, un concept qui semblait pourtant négliger les interactions entre l’individuel et le collectif (Moliner et Guimelli, 2015) alors qu’il était « [nécessaire] de faire de la représentation une passerelle entre le monde individuel et le monde social, de l’associer ensuite à la perspective d’une société qui change » (Moscovici, 2003, p.82). Moscovici (1961) met aussi en valeur la pluralité des groupes sociaux dans la société et l’importance de l’interaction entre les individus dans la construction d’une représentation dite sociale. Un objet peut donc avoir plusieurs représentations sociales selon le groupe social de l’individu51 en question.

Dans ce cadre, la représentation sociale est définie comme un « ensemble organisé d'opinions, d'attitudes, de croyances et d'informations [autour d’un noyau central] se référant à un objet ou à une situation. Elle est déterminée à la fois par le sujet lui-même, par le système social et idéologique dans lequel il est inséré, et par la nature des liens qu'il entretient avec l'objet situé dans ce système social. » (Abric, 2003, p. 205). Elle est construite par l’interaction du sujet avec son environnement social. Moscovici (2003) précise encore cette idée en indiquant que « ce qui permet de qualifier de « sociales » les représentations, ce sont moins leurs supports individuels ou groupaux que le fait qu’elles soient élaborées au cours de processus d’échanges ou d’interactions » (p. 99). Ainsi, est- il clé de rappeler que la qualification « sociales » des représentations n’est pas liée au fait qu’elles soient supportées par un groupe social. La représentation individuelle existe mais elle est aussi sociale dans la mesure où chacun fait appel à sa culture, à son langage acquis par des expériences passées et désire que sa vérité rejoigne celle des autres et permette l’action collective (Dreveton, 2008).

Le terme de représentation est parfois confondu avec celui de perception alors que les deux sont différents (Piaget, 1932). En effet, alors que la perception est une connaissance des objets résultant d'un contact avec eux, la représentation consiste, soit à évoquer les objets en leur absence, soit à compléter leur connaissance perceptive en se référant à d'autres objets non actuellement perçus. Les deux s’expriment dans

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un rapport de correspondance établi entre ce que l'on veut exprimer (signifié) et le moyen d'expression que l'on utilise à cette fin (signifiant) (ibid.). Ainsi, pour exister, une représentation doit représenter un objet pour un individu, ce qui signifie également que les caractéristiques à la fois de l’objet et de l’individu ont une incidence sur la représentation.

Une représentation sociale est une forme de vision globale et unitaire d’un objet ou d’un sujet, un système d’interprétation de la réalité (une représentation de la réalité) qui va déterminer les comportements et les pratiques. En tant que système d’interprétation, elle représente un guide pour l’action, elle oriente les actions et les relations sociales et régit les relations des individus au monde et aux autres. Elle oriente et organise leurs choix. Le mécanisme de la représentation reconstruit l’objet par l’individu en créant une différence entre l’objet réel et l’objet reconstruit (Jodelet, 1989). En ce sens, elle peut fournir une clé d’analyse et de compréhension des modes de pensée des individus et donc des raisons de leurs décisions, actions, comportements et approches des situations rencontrées. Elle restructure la réalité pour permettre une intégration à la fois des caractéristiques objectives de l’objet, des expériences antérieures du sujet, et de son système d’attitudes et de normes. Elle est par essence relationnelle dans la mesure où elle s’élabore et est mobilisée lors d’interactions sociales, par la communication et l’échange (Doise, 1973 ; Jodelet, 1989).

2.2.2. Choix de l’approche structurale des représentations

sociales

Plusieurs approches peuvent être mobilisées pour l’étude des représentations sociales (Moliner et Guimelli, 2015).

L’approche sociogénétique, développée par Moscovici (1961) et Jodelet (1989),

reste la base de ce champ. Elle porte sur les conditions et processus d’émergence. Selon lui, l’émergence de la représentation sociale se fait : (1) par l’objectivation qui est la manière dont le sujet trie, hiérarchise les informations et se les approprie en les transformant en représentations ; (2) par l’ancrage qui est l’intégration « de l’objet de la représentation dans le système de valeurs du sujet » afin de construire un cadre mental ce qui peut provoquer des conflits sociaux ou culturels. Ainsi, une représentation sociale naît d’une situation nouvelle pour l’individu (le sujet) qui dispose alors

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d’informations réduites sur l’objet (« dispersion de l’information »). Cet objet indéfini va alors créer une situation innovante et une activité cognitive accrue afin de maîtriser l’objet (« pression à l’inférence »), ce qui entraînera une augmentation de la communication autour de l’objet. La mise en commun d’informations permettra un phénomène de focalisation de la part des individus sur « un aspect particulier en fonction des attentes ou des orientations du groupe » (Moliner et Guimelli, 2015). On essaie alors d’assimiler un objet encore inconnu (du moins partiellement) à quelque chose que nous connaissons bien. Si les travaux relevant de cette approche sont incontournables puisque constituant la première théorisation des représentations sociales, nous ne retiendrons pas cette approche sociogénétique qui s’intéresse davantage au processus de construction de la représentation sociale. Ici nous cherchons à distinguer le rôle de la représentation sociale (et son contenu) sur la décision d’adopter l’entreprise libérée.

L’approche sociodynamique de Doise (1990) s’attache à mettre en évidence les

liens entre les rapports sociaux et les représentations sociales. Selon Roussiau et Bonardi (2001), cette approche est centrée sur l’aspect social se rapprochant en certains points de la pensée de Bourdieu (1977). Cela peut aboutir à des prises de positions. Dans ce cadre, les travaux s’interressent au processus d’ancrage. Cette approche n’est pas retenue ici puisqu’elle porte sur la place de l’individu dans la société et sur les rapports sociaux entre individus (Bertrand, 2014). Elle ne nous permet pas de répondre à notre problématique.

L’approche dialogique des représentations sociales, initiée par les travaux de Jodelet (1989), s’est développée en s’intéressant prioritairement au langage et aux discours. Ces recherches portent sur la création de la représentation au travers du langage et de la communication (Markova, 2007). Les représentations sociales sont inscrites dans le langage (les mots employés pour évoquer l’objet ou le phénomène sont imprégnés des croyances qui sont entretenues à son propos) et fonctionnent comme un langage (en raison des cadres qu’elles fournissent pour coder et catégoriser l’objet). Cette approche ne nous paraît pas adaptée pour étudier l’entreprise libérée. Compte tenu de sa forte médiatisation, cette approche centrée sur les discours ne permet pas de répondre à notre problématique. En effet, les dirigeants pourraient répéter volontairement ou involontairement des

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discours de promoteurs et donc conduire à identifier un contenu de la représentation sociale qui ne leur serait pas propre.

L’approche structurale ou théorie du noyau central proposée par Abric (1976),

porte sur le contenu, l’organisation et la dynamique des représentations. Cette approche considère que certains éléments constitutifs des représentations sociales, le « noyau central », vont jouer deux fonctions, d’une part une fonction génératrice de sens et d’autre part une fonction organisatrice. Selon Abric (1976, 2003), le noyau central constitue la partie fixe d’une représentation basée sur les normes et les valeurs de l’individu. Le noyau central a deux fonctions qui ne peuvent être entendues séparément puisque la représentation sociale est organisée « autour et par » celui-ci. « Autour » se réfère à la « fonction génératrice », i.e. à l’apport de sens à la représentation (sa signification). Le noyau central est ce par quoi les autres éléments prennent du sens. « Par » se réfère à la « fonction organisatrice » soit à l’organisation et la coordination des relations des différents éléments composant le noyau central. Il détermine la nature des liens qui unissent les autres éléments appelés « éléments périphériques ». Le système périphérique représente la partie dynamique de la représentation. Il est donc susceptible de changer. Une « zone muette » entoure la représentation sociale. En effet, en s’intéressant aux pensées, aux représentations profondes des personnes interrogées, une forme de gêne et d’inhibition peut apparaître car les normes, valeurs morales pourraient être contre normatives par rapport au groupe social. Cette zone muette est rarement exposée spontanément (Abric, 2003) et nécessite la mise en œuvre de techniques d’identification spécifique (e.g. le chainage cognitif - cf. Chapitre 3, section 2). Compte tenu de la constitution de la représentation sociale, son analyse et la compréhension de son fonctionnement nécessitent donc un double repérage : celui de son contenu et celui de sa structure. Les représentations sociales ne sont plus simplement un « outil de description » mais « un outil d’explication et de compréhension des mécanismes de mise en œuvre ou de transformation » (Roussiau et Bonardi, 2001, p. 11).

Cette approche structurale nous parait particulièrement adaptée pour identifier un nouvel antécédent managérial à l’adoption de l’entreprise libérée, de nature à compléter les antécédents managériaux dans la littérature sur l’entreprise libérée. En effet, elle permet de repérer le contenu de la représentation sociale avec une méthodologie précise qui la rend opérationnalisable. De plus,

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l’approche structurale va au-delà des discours, en identifiant la zone muette notamment. Ce point semble tout à fait adapté compte tenu de la médiatisation qui entoure l’entreprise libérée (au contraire de l’approche dialogique).

2.3.

E

SSAI DE CARACTERISATION DES ANTECEDENTS MANAGERIAUX A

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