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S ECTION 2 : L’ ENTREPRISE LIBEREE : DE LA FORME ORGANISATIONNELLE AU CONCEPT

Les résultats de la première section ont montré que l’entreprise libérée ne dispose pas d’une terminologie homogène, d’une définition stabilisée et que ses attributs restent insuffisamment précisés. De plus, l’entreprise libérée s’est construite sur la base de différents emprunts théoriques qui questionnent la portée et la nouveauté du concept. Ainsi, une analyse conceptuelle s’avère à cette étape nécessaire pour comprendre si l’entreprise libérée peut être effectivement qualifiée de (nouveau) concept. Il s’agit alors de définir clairement ce qu’est l’entreprise libérée. En effet, « bien souvent, les notions utilisées ou proposées apparaissent floues, mal définies, n’éclairant rien parce qu’éclairant trop de choses » (Dumez, 2011a, p. 67). À l’aide d’une méthodologie rigoureuse faisant appel à la fois à une grille d’analyse conceptuelle et à une revue systématique de la littérature sur l’entreprise libérée (la première à date), nous allons donc nous attacher à répondre à la question suivante : l’entreprise libérée peut-elle être

assimilée à un concept ?

2.1. E

XAMEN DE LA NATURE CONCEPTUELLE DE L

ENTREPRISE LIBEREE

2.1.1. Grille d’analyse du concept issue des travaux de Gerring

La nature conceptuelle de l’entreprise libérée peut être analysée par deux approches dites classiques du concept (Dumez, 2011a), celles d’Ogden et Richards (1923) et de Gerring (1999). Elles ont pour objectif de déterminer avec rigueur et précision ce qui fait un concept (son essence, son noyau dur, ses attributs), de le fonder tout en « levant les ambiguïtés du langage ordinaire » (Dumez, 2011a, p. 74).

La première approche est héritée de Ogden et Richards (1923). Selon ces auteurs, la formation d’un concept se réfère à l’évènement ou aux phénomènes empiriques auxquels il s’applique (l’extension), les propriétés et les attributs32 qui le définissent

(la compréhension) et la dénomination qui permet de couvrir la première et la deuxième caractéristique du concept (extension et compréhension). Ces trois dimensions

32 Le terme d’« attribut » est celui mobilisé par Gerring (1999). Il désigne les caractéristiques de l’entreprise

Chapitre 1 - L’entreprise libérée : d’une forme organisationnelle à une innovation managériale

interdépendantes forment un triangle sémantique dynamique (cf. figure 4) et doivent être cohérentes pour parler d’un « bon concept » (Dumez, 2011a ; Gerring, 1999).

Figure 4. Triangle d’Ogden et Richards (1923) (D’après la représentation simplifiée de Dumez, 2011a, p.76)

Cette approche a fait l’objet d’un approfondissement par Gerring (1999), conduisant à une extension qualifiée d’approche pragmatique. Considérée comme la plus adaptée pour évaluer les concepts en sciences sociales (Bjørnskov et Sønderskov, 2013), nous avons fait le choix de la mobiliser pour étudier la nature conceptuelle de l’entreprise libérée. Deux autres arguments renforcent ce choix.

D’une part, elle repose sur un approfondissement du triangle d’Ogden et Richards puisque, selon Gerring (1999), la définition d’un concept n’est pas suffisante pour le fonder et le justifier (Dumez, 2011a). Gerring (1999) va donc au-delà de la définition en proposant une analyse conceptuelle basée sur huit critères : familiarité, résonance, parcimonie, cohérence, profondeur, différenciation, utilité théorique et utilité pour le champ. La saturation est acquise lorsque l’on peut répondre à la question correspondante à chacun des huit critères (cf. tableau 4 ci-dessous).

Dénomination

Extension Compréhension

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Tableau 4. Les huit critères de Gerring (1999, p. 367)

1. Familiarité À quel point le concept est-il familier (pour un profane ou une

audience académique) ?

2. Résonance Le terme choisi résonne-t-il ? (En écho à ses qualités

communicationnelles)

3. Parcimonie Le terme et sa liste d’attributs sont-ils d’une longueur

raisonnable (pour garantir la compréhension) ?

4. Cohérence Les cas et les attributs (cohérence interne) sont-ils cohérents (reliés

d’une manière logique) ?

5. Différentiation

Comment sont différenciés les cas et les attributs du terme donné avec d’autres concepts similaires ?

Comment est délimité le concept ? Comment est-il opérationnalisable ?

6. Profondeur Combien de propriétés sont partagées par les cas couverts par cette

définition ?

7. Utilité théorique d’inférences ? Quelle est l’importance de l’utilité du concept dans un vaste champ 8. Utilité pour le

champ

Quelle est l’importance de l’utilité du concept dans un champ de cas et d’attributs connexes ?

D’autre part, bien que les travaux de Gerring (1999) portent à l’origine sur la formation des concepts, ces critères peuvent être mobilisés comme une grille d’analyse du concept (Dumez, 2011a). Ainsi, la saturation des critères permet de déterminer si nous sommes ou non en présence d’un concept (Bjørnskov et Sønderskov, 2013 ; Dumez, 2011a). Dans ce cadre, Bjørnskov et Sønderskov (2013) observent une distinction entre un « bon concept » (terme utilisé à l’origine par Gerring) et un « concept idéal » selon son niveau de saturation par rapport aux critères. Ainsi, pour être qualifié de « bon concept », il doit parvenir à un juste équilibre entre les huit critères. S’il répond à l’ensemble des critères, il sera qualifié de « concept idéal » :

« An ideal concept will obviously satisfy all criteria while a ‘good’

concept can be defined as a concept that achieves a reasonable balance between satisfying or approaching most of the criteria. » (Bjørnskov et

Sønderskov, 2013, p. 1227)

Dans le cadre de cette recherche, l’approche pragmatique (i.e. Gerring, 1999 ; Ogden et Richards, 1923) permet de mener un travail compréhensif sur le concept dans un contexte de forte médiatisation et de promotion de l’entreprise libérée. Elle permet ainsi de s’assurer que le concept observé n’est pas qu’une étiquette renvoyant à un nombre trop restreint de cas empiriques ou à une idée trop générale et/ou vide (Dumez, 2011a).

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Plusieurs points d’attention sont toutefois soulevés par Dumez (2011a) lors de l’examen d’un concept. Deux d’entre eux nécessitent un intérêt particulier dans le cadre de ce travail. Premièrement, les contours d’un concept sont souvent flous et les phénomènes observés s’entremêlent. Le choix des mots clés pour conduire l’analyse du concept devra donc se faire en intégrant les termes pouvant être rapprochés de l’entreprise libérée, tels que ceux identifiés dans la section 1. Deuxièmement, Dumez (2011a, p. 78) rappelle que les concepts sont souvent définis de manière provisoire. Une première définition permettant d’orienter le « travail de redéfinition » s’avère nécessaire. En ce sens, la définition de Getz (2009)33, qui conçoit l’entreprise libérée comme une forme organisationnelle, constitue le point de départ de notre analyse. En considérant ces deux précautions, la grille d’analyse conceptuelle proposée par Gerring (1999) est donc mobilisée pour comprendre si l’entreprise libérée peut être assimilée à un concept et le cas échéant, à un bon concept ou à un concept idéal.

2.1.2. Revue systématique de la littérature sur l’entreprise libérée

La revue systématique de la littérature : méthodologie mise en œuvre

Pour répondre à ce questionnement, une revue systématique de la littérature sur l’entreprise libérée a été mise en œuvre dans l’objectif de constituer le corpus sur lequel sera appliquée la grille de lecture constituée des huit critères de Gerring (1999). Cette méthodologie est reconnue comme particulièrement adaptée pour conduire un état des lieux de la littérature sur un objet spécifique et émergent, en permettant notamment de gérer la diversité des connaissances associées (Tranfield et al., 2003) (cf. encadré 3 ci-dessous).

33 L’entreprise libérée est « une forme organisationnelle dans laquelle les employés ont une complète liberté

et responsabilité pour faire les actions qu’eux-mêmes, et non leur supérieur, estiment les meilleures » (Getz, 2009, p.34).

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