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L’entreprise libérée : nouveauté conceptuelle et/ou nouveauté contextuelle ?

Encadré 5. Eléments de méthodologie : codage des attributs selon les dimensions d’une innovation managériale

3.2.2. L’entreprise libérée : nouveauté conceptuelle et/ou nouveauté contextuelle ?

L’analyse des attributs de l’entreprise libérée a permis de donner davantage de profondeur au concept. Toutefois, son caractère de différenciation mérite encore d’être précisé. En effet, l’examen du critère de différenciation de Gerring (1999) n’a pas permis de spécifier précisément la nature de la rupture introduite par l’entreprise libérée. La question adressée est donc la suivante : « l’entreprise libérée est-elle porteuse d’une

nouveauté conceptuelle, contextuelle, voire des deux à la fois ? ». Compte tenu du stade

actuel des recherches sur l’entreprise libérée, il était difficile jusqu’ici d’appréhender sa nouveauté puisqu’il n’existait pas « d’évaluation systématique indépendante » (Rousseau et Ruffier, 2017, p.110).

Sur la base de la matrice élaborée à partir des travaux d’Adam-Ledunois et Damart, (2017) et plus largement de la littérature sur l’innovation managériale (Birkinshaw et al., 2008 ; Damanpour, 2014 ; Damanpour et Aravind, 2012 ; Mol et Birkinshaw, 2014 ; Volberda et al., 2014), nous spécifions la nature de la nouveauté de l’entreprise libérée. Pour ce faire, nous observons dans un premier temps les ruptures qu’elle introduit au niveau organisationnel puis au niveau de l’état de l’art.

Au niveau organisationnel, les résultats de la revue systématique montrent que l’entreprise libérée est vectrice de rupture contextuelle (Getz, 2012b ; Getz et Marbacher, 2017 ; Gilbert et al., 2018c), par la mise en œuvre de « pratiques radicales » (Hamel et Breen, 2007, p.90), « de transformation radicale des structures, systèmes et processus » (Ravasi et Verona, 2001), de « changement radical et restructuration » (Lovas et Ghoshal, 2000). Cette rupture contextuelle est saisie non seulement par rapport à la trajectoire des entreprises qui l’adoptent (avant l’adoption de l’entreprise libérée, ces entreprises nouvelles adoptantes fonctionnaient avec une structure fortement hiérarchisée et des modes de coordination de type supervision directe, standardisation des procédés ou des résultats), mais aussi par rapport aux pratiques de la majorité des autres entreprises qui maintiennent à ce jour ces attributs. Lam (2005) insiste sur la nouveauté induite par l’adoption de l’entreprise libérée à l’échelle organisationnelle. De même, Lee et Edmondson (2017) notent qu’il s’agit d’un des premiers modèles de « décentralisation radicale que l’organisation adopte dans son ensemble » (p.5). Ainsi, l’entreprise libérée introduit une rupture contextuelle tant au plan de sa structure, qu’au plan organisationnel

Chapitre 1 - L’entreprise libérée : d’une forme organisationnelle à une innovation managériale

et managérial même si Gilbert, Teglborg et al. (2017, p.40) relèvent des éléments de discours, les entreprises libérées « [revendiquant] un caractère avant-gardiste ». En considérant ce critère, la nature de la nouveauté de l’entreprise libérée est donc contextuelle radicale (cf. cadran 4 de la figure 7 ci-dessous).

Au niveau de l’état de l’art. Afin de saisir une éventuelle rupture conceptuelle portée par l’entreprise libérée, moins évidente de prime abord (Gilbert, Teglborg et al., 2017), il s’agit de comprendre si l’entreprise libérée est nouvelle pour « l’état de l’art ». L’étude de l’entreprise libérée a montré que l’on compte parmi ses héritages les modèles d’organisations démocratiques et égalitaires, les approches contingentes et systémiques. À l’instar de Hamel et Breen (2007) qui décrivent « l’innovation managériale radicale » de W.L. Gore (p.88), et sur la base de la liste des attributs identifiés de l’entreprise libérée vue comme une innovation managériale, il est possible de montrer que l’entreprise libérée n’a pas d’équivalent. Deux ruptures majeures par rapport à des concepts plus anciens s’observent au niveau de la philosophie humaniste, favorisant le développement

de chacun avec pour principales valeurs la liberté et l’égalité, et des processus

d’organisation du travail basés sur l’autonomisation et la responsabilisation.

En considérant ce critère, la nature de la nouveauté attachée à l’entreprise libérée au niveau conceptuel est d’ordre radical (cf. cadran 3 de la figure 7 ci-dessous).

Figure 7. Matrice de spécification du caractère de nouveauté de l’entreprise libérée

Rupture au niveau de l’état de l’art Cadran 1 Nouveauté conceptuelle incrémentale Cadran 3

Nouveauté conceptuelle radicale

Rupture au niveau organisationnel Cadran 2 Nouveauté contextuelle incrémentale Cadran 4

Nouveauté contextuelle radicale

Innovation incrémentale Modification ou amélioration de

l’existant

Innovation radicale Ecart significatif par rapport à l’existant (Inédit ou recombinaison

inédite de construits existants)

Ainsi, au terme de cette analyse au prisme de la littérature sur l’innovation managériale, il est possible de mettre en évidence la double rupture introduite par l’entreprise libérée, à la fois contextuelle, pour l’organisation adoptante, et conceptuelle,

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au plan théorique. Au plan contextuel, la revue de la littérature sur l’entreprise libérée montre qu’elle est totalement nouvelle pour les organisations qui l’adoptent pour la première fois (cf. cadran 4 grisé, figure 7) puisque les salariés perçoivent les structures, processus, pratiques et philosophies associées comme étant nouveaux, et ce même si l’entreprise libérée est perçue comme une imitation dans d’autres organisations (Van de Ven, 1986). Au plan conceptuel, l’entreprise libérée est issue d’une combinaison nouvelle de structures, processus, pratiques et philosophies qui sont issus de plusieurs emprunts théoriques (cf. cadran 3 grisé, figure 7). L’entreprise libérée combine en effet des structures, processus, pratiques et philosophies, pour certains anciens, sans pouvoir être réduite à aucun d’eux. Cette combinaison étant inédite, l’entreprise libérée présente une nouveauté radicale par rapport à l’état de l’art (Damanpour, 2014).

C

ONCLUSION DE LA SECTION

3

L’identification des attributs de l’entreprise libérée par les dimensions de l’innovation managériale, nous a permis de préciser le concept d’entreprise libérée dans la lignée des travaux d’Hamel et Breen (2007) ou de Lam (2005). Ce travail participe à l’« approfondissement » du concept et nous conduit à proposer une définition plus exhaustive de l’entreprise libérée au regard de sa multidimentionnalité, en combinant structure, processus, pratiques et philosophie.

Par ailleurs, la lecture proposée de l’entreprise libérée au prisme de l’innovation managériale s’avère particulièrement adaptée pour préciser la différenciation de ce concept selon la rupture introduite (pour organisation ou l’état de l’art) et le degré de nouveauté (incrémentale ou radicale). Il ressort de cette analyse que l’entreprise libérée peut être associée à la fois à une innovation conceptuelle et contextuelle radicale, conduisant à conforter la portée du concept.

L’analyse de l’entreprise libérée, au prisme de l’innovation managériale, est synthétisée dans le tableau 14 ci-après.

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Tableau 14. Tableau synthétique de l’analyse de l’entreprise libérée au prisme de l’innovation managériale

CARACTERISTIQUES DE L’INNOVATION MANAGERIALE

ATTRIBUTS DE L’ENTREPRISE LIBEREE

MULTIDIMENTIONNALITE (Chapitre 1, section 2 et 3)

Définition de l’entreprise libérée relativement aux structures, processus, pratiques et philosophie : « Une nouvelle combinaison d’une philosophie humaniste, d’une structure de type adhocratique, de processus qui assurent l’autonomisation et la responsabilisation des employés, et de pratiques de management démocratique basées sur la confiance ».

NOUVEAUTE (Chapitre 1)

Une nouveauté radicale :

✓ Au niveau conceptuel, l’entreprise libérée est une nouvelle combinaison de concepts anciens (innovation conceptuelle radicale).

✓ Au niveau contextuel, l’entreprise libérée représente une rupture marquée et forte pour les organisations adoptantes et leurs membres (innovation contextuelle radicale).

NON TECHNOLOGIQUE (Chapitre 1, section 3)

Au regard de sa définition et de ses attributs, l’entreprise libérée est une innovation qui ne comporte pas d’éléments technologiques.

INTENTIONNALITE (Chapitre 1, section 2)

L’entreprise libérée est adoptée dans l’objectif d’accroitre la performance économique et sociale ainsi que de favoriser l’innovation et la créativité.

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