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Performance sociale de l’entreprise libérée à la lumière des perspectives rationnelle et institutionnelle

l’entreprise libérée et de ses effets sur la performance sociale

S ECTION 1 : L ECTURE INTEGRATIVE DE LA DECISION D ’ ADOPTION DE L ’ ENTREPRISE LIBEREE

1.3. A PPORT DES PERSPECTIVES RATIONNELLE ET INSTITUTIONNELLE DE L ’ INNOVATION MANAGERIALE POUR ETUDIER LES ANTECEDENTS ET LES

1.3.4. Performance sociale de l’entreprise libérée à la lumière des perspectives rationnelle et institutionnelle

Les questionnements théoriques sur l’adoption d’une innovation managériale interrogent également ses résultats, notamment en termes de performance (Damanpour, 2017 ; Walker et al., 2015). L’étude des résultats d’une innovation, quel que soit son type, représente un enjeu clé (Camisón et Villar-López, 2014). Si la perspective institutionnelle

Chapitre 2 - Une lecture intégrative de l’adoption de l’entreprise libérée

est mobilisée à côté de la perspective rationnelle pour l’identification des antécédents, elle l’est moins concernant l’étude du lien entre l’innovation managériale (mais aussi l’innovation au sens large) et ses résultats. Au-delà, plusieurs enjeux sont associés à cette question, d’une part, la mesure des résultats de l’innovation managériale est rendue délicate compte tenu des difficultés méthodologiques (CIS, 2016 ; Damanpour, 2014 ; Damanpour et al., 2018 ; Walker et al., 2015). D’autre part, il est difficile d’isoler les contingences liées au marché et aux caractéristiques organisationnelles et plus globalement aux facteurs contextuels internes et/ou externes (CIS, 2016 ; Damanpour, 2014 ; Walker et al., 2015). Les perspectives rationnelle et institutionnelle sont les deux perspectives associées à l’étude de la performance (Birkinshaw et al., 2008 ; Walker

et al., 2015). En effet, elles se rejoignent sur l’idée qu’une innovation managériale est

adoptée dans un objectif de résultats positifs pour l’organisation et/ou la société dans son ensemble, au contraire d’autres perspectives dans lesquelles l’intentionnalité n’est pas au premier plan (Birkinshaw et al., 2008).

Les résultats associés à l’adoption d’une innovation managériale sont généralement de deux ordres (Walker et al., 2015) :

(1) Les « hard outcomes », considérés essentiellement par la perspective rationnelle, correspondent aux résultats économiques (ou en termes de performance opérationnelle), le plus souvent à court terme. Les recherches se sont focalisées en priorité sur une dimension purement économique de la performance, en termes notamment de productivité du travail ou d’augmentation de la rentabilité économique ou financière (e.g. Armbruster et al., 2008 ; Evangelista et Vezzani, 2010 ; Mol et Birkinshaw, 2009). En combinant des mesures objectives et subjectives de la performance, Camisón et Villar-López (2014) montrent que l’adoption d’une innovation managériale conduit à améliorer la performance de l’entreprise. De même, Walker et al. (2010) trouvent un effet indirect entre l’innovation managériale et la performance avec un effet médiateur du management de la performance. Ces « hard outcomes » peuvent aussi se référer à l’acquisition d’un avantage concurrentiel (Camisón et Villar-López, 2011 ; Besbes et al., 2013). Ainsi, l’innovation managériale a un effet positif sur ce dernier qui, en retour, affecte positivement la performance (financière et commerciale) (Besbes et al., 2013). Enfin, un ensemble d’études porte sur les effets de l’innovation managériale sur d’autres types d’innovation (produits, procédés, marketing). Les résultats

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ne sont pas unanimes. Par exemple, Mol et Birkinshaw (2012) et Nieves (2016) trouvent un effet positif sur l’innovation produit alors qu’il est négatif pour Gunday et al. (2011). Il ressort de ces travaux que les effets positifs ne sont pas automatiques, les innovations managériales peuvent ne rien apporter ou déboucher sur des améliorations marginales (Hamel et Breen, 2007). Ce point mérite encore attention car les effets des innovations managériales sur la performance restent mal connus (Le Roy et al., 2013 ; Volberda et al., 2013), sachant qu’une des difficultés repose sur le fait qu’ils peuvent être indirects et observés uniquement après un certain délai (Nieves, 2016).

(2) Les « soft outcomes », qui relèvent davantage de la perspective institutionnelle, sont assimilés aux résultats non-économiques. Dans cette perspective, l’adoption d’une innovation managériale est associée à des gains en termes de légitimité ou de résultats sociaux puisqu’elle met l’accent sur les rôles des acteurs externes et sur les facteurs sociaux (Sturdy, 2004 ; Walker et al., 2015). Ces pressions conduisent les organisations à se conformer aux normes de leur environnement institutionnel (Ansari et al., 2010). Les résultats, selon la perspective institutionnelle, sont par nature plus incertains et diffus (Volberda et al., 2013 ; Walker et al., 2015 ; Walston et al., 2001) et s’observent davantage à moyen ou long terme. La perspective institutionnelle de l’innovation managériale permet d’amender les dimensions de la performance comme le relèvent les récents travaux de Walker et al. (2015). Ils rappellent que les innovations managériales peuvent aussi avoir un effet sur la performance non-économique. Leur métanalyse montre toutefois que cette dernière est la moins étudiée avec 19 études empiriques sur les 52 répertoriées intégrant une dimension non-économique de la performance. De manière plus détaillée, elle porte sur la satisfaction client, le développement d’alliances avec des acteurs externes, l’acquisition d’une légitimité. Celles traitant de la performance sociale (e.g. la qualité du travail, bonheur au travail ou la satisfaction des salariés), sont encore plus rares (cf. tableau 17 pour une synthèse).

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Tableau 17. Etudes empiriques portant sur les effets des innovations managériales sur la performance non-économique de l’organisation avec une dimension sociale

ETUDES EMPIRIQUES METHODO- LOGIE/ MESURE CONTENU DE LA MESURE DE LA

PERFORMANCE SOCIALE RESULTATS

Bouville et Alis (2014) Quantitative / Perceptuelle (Subjective)

La performance sociale est mesurée par la satisfaction au travail, une mesure de la santé au travail de l’Organisation Mondiale de la Santé et l’intention de rester dans l’entreprise.

Les pratiques Lean ont un effet négatif sur les trois mesures de la performance sociale. Camison et Lopez (2010) Quantitative / Perceptuelle (Subjective)

La performance organisationnelle inclut une dimension économique et une non- économique avec une évaluation en termes de satisfaction (quatre items). La performance sociale représente un item : « La satisfaction des autres parties prenantes » (i.e. en dehors des actionnaires et actionnaires). L’innovation managériale a un effet positif sur la performance organisationnelle. Garrido et Camarero (2010) Quantitative / Perceptuelle (Subjective)

La performance sociale est davantage relative à la dimension sociétale (effets sur la communauté, la société au sens large).

L’étude empirique porte sur des musées.

L’innovation managériale n’a pas d’effet sur la performance sociale. Jiménez- Jiménez et Sanz-Valle (2011) Quantitative / Objective

Les auteurs mesurent l’effet conjugué de trois types d’innovation (produit, process et managériale) sur la performance organisationnelle composée en partie d’un « modèle de relations humaines » incluant l’absentéisme et le turnover.

Les résultats de l’étude empirique soutiennent un effet positif de l’innovation sur l’absentéisme et le turnover. Luk et al. (2008) Quantitative / Perceptuelle (Subjective)

Les auteurs mesurent l’effet de la capacité d’innovation organisationnelle sur la Performance Sociétale de l’Entreprise avec cinq items. Ceux relatifs à la dimension sociale sont le niveau de satisfaction des salariés quant à leur travail et de fidélité des salariés. Deux sont relatifs aux clients et un à la communauté (dimension sociétale).

Les résultats de l’étude empirique soutiennent un effet positif de l’innovation managériale sur la Performance Sociétale de l’Entreprise dans les deux pays observés.

Wong et al. (2011)

Quantitative / Objective

La performance sociale est incluse dans la Performance Sociétale de l’Entreprise. Elle est mesurée au moyen d’un score agrégé, Kinder, Lydenberg, Domini, and Company (KLD) qui est composé de sept indicateurs : les relations avec la communauté, la diversité, les relations avec les employés, l’environnement, les produits, la gouvernance de l’entreprise et des droits de l’Homme. Un second test est mené avec les cinq premiers

indicateurs.

Les entreprises plus décentralisées ont un meilleur résultat en termes de PSE.

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L’effet de l’innovation managériale sur la performance sociale reste donc un sujet largement sous-exploré (Luk et al., 2008). Très récemment, la méta-analyse de Khosravi

et al. (2019) n’évoque même pas cette dimension de la performance. Il semble néanmoins

important de s’intéresser aux effets des innovations managériales sur la performance sociale, au-delà de la performance opérationnelle ou financière puisqu’il peut exister un biais pro innovation souvent identifié dans la littérature (Damanpour et Aravind, 2012 ; Rogers, 1995) postulant que « a new is always good » (Sturdy et Grey, 2003, p. 654). Les innovations sont souvent perçues positivement car elles sont a priori utiles, profitables ou aptes à résoudre un problème (Kimberly, 1981 ; Van de Ven, 1986).

De plus, la recherche de performance sociale est au cœur de l’entreprise libérée. Elle est celle qui interroge le plus tant au niveau managérial49 qu’académique au regard du faible nombre d’études disponibles à ce jour. Cette question mérite d’être pleinement traitée (Ramboarison-Lalao et Gannouni, 2018). D’une part, du point de vue de la perspective rationnelle, les managers pourraient adopter l’entreprise libérée pour atteindre non seulement une performance économique mais aussi et surtout une performance sociale dans la mesure où les salariés sont placés au centre de l’organisation tout en accordant une priorité à leur liberté et bonheur (Mousli, 2016 ; Picard et Islam, 2019). Or, il pourrait ainsi exister une discordance entre les effets attendus et les effets réels ; et ce d’autant plus que la littérature relève des effets théoriques multiples et hétérogènes qui restent également peu étudiés empiriquement. D’autre part, du point de vue de la perspective institutionnelle, la primauté est donnée aux acteurs internes et externes. Ainsi, l’adoption de l’entreprise libérée représente une réponse aux demandes de légitimité sociale ou sociétale, de la part des salariés ou d’autres acteurs externes, ce qui peut conduire à une révision profonde de la notion même de performance. En effet, selon la définition même de l’innovation managériale, une innovation est adoptée pour atteindre les « objectifs organisationnels » (Birkinshaw et al., 2008, p.825). Ainsi, si les dirigeants adoptent l’entreprise libérée pour des motivations qui ne sont pas seulement rationnelles, l’évaluation des résultats se fera en concordance avec leurs attentes, dont

49 E.g. « L’entreprise libérée, le bonheur au travail : utopie ou réalité ? » (http://www.pole-emploi.org) ;

« De Taylor au « chief happiness officer » : l’éternelle subordination du salariat » – Analyse de Danièle Linhart (2018) (https://gsara.tv/causes/linhart/) ; « Le paradoxe des entreprises libérées : libération

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la recherche de légitimité interne et/ou externe. Ce point fera l’objet de la section 3 de ce chapitre.

C

ONCLUSION DE LA SECTION

1

Cette section a montré la portée des perspectives rationnelle et institutionnelle de l’innovation managériale pour identifier les antécédents, en particulier managériaux à l’adoption de l’entreprise libérée et ses effets en termes de performance sociale. Il débouche sur une lecture intégrative permettant de penser l’adoption de l’innovation contextuelle que représente l’entreprise libérée au-delà d’un cadre purement rationnel (Volberda et al., 2013, 2014 ; Walker et al., 2015). Une synthèse de cette analyse est proposée dans le tableau 18 ci-après.

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Tableau 18. Synthèse des apports d’une combinaison des perspectives rationnelle et institutionnelle de l’innovation managériale pour étudier les antécédents et les résultats de l’entreprise libérée

PERSPECTIVE RATIONNELLE PERSPECTIVE INSTITUTIONNELLE COMBINAISON DES PERSPECTIVES RATIONNELLE ET INSTITUTIONNELLE NIVEAUX

D’ANALYSE Organisationnel Innovation/ macro /

A

NTECE

DENTS

Les managers sont clés dans la décision d’adoption et attendent des résultats en termes d’efficience en adoptant une innovation

managériale.

• L’adoption peut être motivée par des raisons sociales, symboliques, de recherche de légitimité. • Rôle clé des caractéristiques des managers adoptant l’innovation managériale.

La décision d’adoption peut être influencée par des forces internes et externes à

l’organisation. Elle peut ou non (voire seulement en partie) être motivée par des attentes en termes de résultats économiques. Elle est façonnée par les

caractéristiques individuelles et les représentations nées de l’interaction avec d’autres acteurs par un processus de construction sociale. La combinaison des perspectives conduit ainsi à une analyse intégrative plus fine et nuancée des antécédents.

R

ES

ULTAT

S

• Des résultats en termes d’efficience et de performance

organisationnelle sont attendus même si le succès n’est pas garanti. • Les études cherchent à

établir un lien causal entre pratiques de management et performance organisationnelle. • Evaluation des résultats

en termes d’« hard outcomes ». • Indicateurs objectifs. • Des résultats attendus en termes de performance sociale et de légitimité. • Evaluation des résultats en termes de « soft outcomes ». • Indicateurs subjectifs.

Les effets d’une innovation managériale peuvent être évalués en termes de résultats économiques et non-

économiques, par des indicateurs objectifs ou subjectifs. La combinaison des perspectives conduit à une conception élargie de la performance.

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S

ECTION

2 :

A

NTECEDENTS MANAGERIAUX A L

ADOPTION DE

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