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S ECTION 3 : L’ ENTREPRISE LIBEREE : PROFONDEUR ET NOUVEAUTE DU CONCEPT

3.1. A PPORTS DE LA LITTERATURE SUR L ’ INNOVATION MANAGERIALE POUR LE CONCEPT D ’ ENTREPRISE LIBEREE

3.1.1. Définir et caractériser l’innovation managériale

Schumpeter (1934) a été le premier à introduire au début du 20ème siècle

l’innovation telle que nous la concevons aujourd’hui (Damanpour, 2014). Une invention ne devient une innovation que lorsqu’elle est adoptée ou institutionnalisée (Van de Ven, 1986). Schumpeter (1934) proposait une distinction entre cinq types d’innovations : nouveaux produits, nouveaux modes de production (innovation de procédés), nouveaux marchés (innovation de commercialisation), nouvelles sources d’approvisionnement, nouvelles manières d’organiser le travail. Ce dernier type fait référence aux innovations non-technologiques qui influencent le cœur social ou système social de l’organisation.

Chapitre 1 - L’entreprise libérée : d’une forme organisationnelle à une innovation managériale

Elles sont aujourd’hui qualifiées d’innovations managériales (Daft, 1978 ; Damanpour et Evan, 1984 ; Dubouloz, 2013b)39.

L’innovation managériale est aussi nommée de manière indifférenciée innovation administrative, organisationnelle40 et de management (Damanpour et Aravind, 2012 ; Birkinshaw et al., 2008 ; Kimberly, 1981 ; Walker et al., 2015 ; Walker et al., 2010). Bien que ces termes aient des périmètres plus ou moins étendus, l’innovation managériale a un spectre plus large et les englobe tous (Damanpour et al., 2018). Des études récentes font consensus quant au fait qu’ils peuvent être rapprochés (Černe et al., 2016 ; Damanpour et al., 2012 ; Damanpour, 2014 ; Damanpour et Aravind, 2012 ; Dubouloz, 2013a, 2013b).

La définition la plus mobilisée de l’innovation managériale est celle de Birkinshaw et al. (2008, p. 825) dans laquelle elle représente « la génération et l’implémentation de pratiques, procédés, structures et techniques nouvelles par rapport à l’état de l’art destinés à permettre l’atteinte des objectifs organisationnels ». Plus généralement, l’innovation managériale modifie la manière dont le travail de management est effectué (Hamel, 2006). Plusieurs définitions de l’innovation managériale sont répertoriées dans la littérature (cf. annexe 4) et permettent d’en distinguer clairement quatre caractéristiques (pas d’élément technologique, nouveauté, multidimentionnalité et intentionnalité) (Dubouloz, 2013b) ainsi que quatre dimensions (structures, processus, pratiques et philosophie) détaillées ci-après :

(1) Une innovation managériale ne comporte pas d’élément technologique ou lié à la Recherche et Développement (Edquist et al., 2001). Elle fait davantage référence à la sphère sociale (Evan, 1966), ce qui la distingue d’une innovation technologique. Désignée également de système social ou de « cœur social » (Daft, 1978), l’innovation

39 Malgré cette distinction, innovations technologiques et managériales sont complémentaires et souvent

adoptées de manière concomitante (Damanpour et Aravind, 2012 ; Khanagha et al., 2013). Par exemple, les entreprises industrielles adoptant des innovations organisationnelles vont faire de même avec des innovations technologiques au cours de la même période (e.g. adoption de Technologies de l’information et de la Communication et de pratiques Lean). Cette complémentarité s’exerce à la fois en cas d’adoption synchrone ou avec un léger décalage temporel créant des effets de complémentarité (Bocquet et al., 2013).

40 Dans la littérature en économie, l’innovation organisationnelle se réfère exclusivement aux innovations

non-technologiques. Dans la littérature en management, cette appellation peut parfois porter à confusion puisqu’elle est utilisée pour désigner les innovations dans les organisations, qu’elles soient technologiques ou non (Damanpour et al., 2018 ; Vaccaro, 2010). Comme Damanpour et al (2018), nous l’utilisons ici uniquement en référence aux innovations non technologiques.

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managériale fait référence aux « relations entre les individus qui interagissent les uns avec les autres afin d’accomplir une tâche ou atteindre un objectif spécifique » (Damanpour et Evan, 1984, p.394). Elle porte sur les rôles et routines par lesquels le travail est réalisé au sein des entreprises (Birkinshaw et al., 2008). Selon Hamel (2006), elle se réfère à la manière dont les managers changent et réinventent les pratiques et procédés qui permettent d’encadrer le travail.

(2) L’innovation managériale marque une nouveauté ou rupture par rapport au niveau d’analyse considéré. Certaines définitions entendent la nouveauté au niveau de l’état de l’art (Birkinshaw et al., 2008), qualifiée par certains de nouveauté conceptuelle (Adam-Ledunois et Damart, 2017). Pour d’autres (Mol et Birkinshaw, 2009 ; Van de Ven, 1986 ; Walker et al., 2010), la nouveauté est entendue au niveau de l’organisation. Elle est qualifiée alors de nouveauté contextuelle (Adam-Ledunois et Damart, 2017). Il s’agit d’adopter, avec ou sans adaptation, une innovation managériale générée par une autre organisation mais nouvelle pour l’organisation adoptante et les individus qui la composent (Volberda et al., 2014). Nous considérons qu’une analyse à ces deux niveaux (état de l’art/ organisation) permettrait de déterminer de manière plus fine la différenciation de l’entreprise libérée à la fois comme nouveau concept par rapport à l’état de l’art (nouveauté conceptuelle) et du point de vue de l’organisation adoptante (nouveauté contextuelle).

(3) Une innovation managériale est multidimentionnelle dans la mesure où elle est composée de structures, processus et pratiques (Vaccaro et al., 2012a ; 2012b). Vaccaro

et al. (2012) proposent les définitions suivantes. Les pratiques se réfèrent au travail

quotidien du management, ce qui peut inclure la fixation des objectifs et des procédures, le développement des talents et les réponses aux attentes des différentes parties prenantes (Birkinshaw et al., 2008 ; Mol et Birkinshaw, 2009). Les processus se réfèrent aux routines qui gouvernent le travail des managers, dessinés à partir d’idées abstraites et en les tournant en outils actionnables, ce qui inclut typiquement la planification stratégique, le management de projet et l’évaluation de la performance (Birkinshaw et al., 2008 ; Hamel, 2006). Enfin, la structure organisationnelle se rapporte à la manière dont les organisations organisent la communication, ajustent et mobilisent le travail de leurs membres (Birkinshaw et al., 2008 ; Hamel et Breen, 2007). Mamman (2009), ou plus récemment Adam-Ledunois et Damart (2017, p.136), rappellent également l’importance

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de décrire les fondements d’une innovation managériale, en particulier sa philosophie gestionnaire pour « détecter le potentiel innovant d’un objet de management ». La philosophie gestionnaire fait référence à la manière de penser ou aux hypothèses à l’origine de l’innovation managériale. Elle traduit le but général de l’utilisation de l’innovation managériale et représente ses fondations.

(4) L’intentionnalité se réfère à une volonté manifeste d’augmenter la performance (Mol et Birkinshaw, 2009), l’innovation managériale étant identifiée comme facteur clé de la performance des organisations (Le Roy et al., 2013) ou pensée dans le but d’atteindre les objectifs organisationnels (Birkinshaw et al., 2008 ; Volberda

et al., 2013). Ces résultats peuvent être économiques ou non économiques (Birkinshaw et al., 2008 ; Walker et al., 2015) et/ou complémentaires à l’innovation technologique

(Volberda et al., 2013). Ainsi, l’adoption d’une innovation managériale permet de maintenir ou d’améliorer la performance des organisations, d’assurer leur « santé » sociale et une certaine légitimité. Les organisations peuvent choisir d’adopter des innovations afin de combler leurs « lacunes » au niveau de la performance (Abrahamson, 1991 ; Meyer et Goes, 1988).

Ses caractéristiques de l’innovation managériale permettent de déterminer si un objet de management représente ou non une innovation managériale, en les mobilisant comme une grille de lecture.

Hamel, Birkinshaw et Mol (Hamel, 2006) ont identifié 175 innovations managériales significatives parmi les plus remarquables du 20éme siècle dont l’organisation scientifique du travail, les structures divisionnelles puis matricielles ou la résolution de problèmes conduite par les employés. Parmi elles, Hamel et Breen (2007, p.91) classent « les pratiques de management originales » de l’entreprise W.L. Gore, reconnue comme une entreprise libérée par Getz (2009), parmi les innovations managériales d’intérêt et d’avenir. Il en est de même pour SEMCO, entreprise libérée également identifiée par Carney et Getz (2009) et par Dufour et Andiappan (2013) comme innovation managériale « à venir ». Ces pratiques sont à la fois relatives à la configuration organisationnelle et aux pratiques managériales comme la suppression de la hiérarchie, la prise de décision décentralisée pour l’étude des projets nouveaux, l’autogestion des équipes ou encore le temps dédié aux projets. Foss (2003) et Birkinshaw

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et al. (2008) ont également considéré l’organisation spaghetti41 comme une innovation managériale ou nouvelle forme organisationnelle.

3.1.2. Spécifier le caractère de nouveauté d’un objet de

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