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S ECTION 1 : L’ ENTREPRISE LIBEREE : UNE FORME ORGANISATIONNELLE AUX HERITAGES MULTIPLES

1.1. P REMIERS REPERES SUR L ’ ENTREPRISE LIBEREE

1.2.3. Les emprunts contemporains de l’entreprise libérée

Les deux premières conceptions auxquelles nous nous sommes référés pour situer l’entreprise libérée sont déjà anciennes. Sans remettre en cause leur intérêt, il convient d’étendre l’analyse à des apports plus contemporains. Dans cette perspective, nous faisons tout d’abord appel aux théories de la contingence structurelle qui constituent l’un des premiers ancrages mobilisés dans les travaux sur l’entreprise libérée, avec notamment la théorie de la contingence organisationnelle (Mintzberg, 1979). Ainsi, Lam (2005, p.131) assimile l’entreprise libérée Oticon à « une adhocratie complète » et Voegele (1993, p.145) dans sa critique de l’ouvrage de Peters (1992) indique que « l’entreprise des années 90 est définie comme une « adhocratie » (organisation d’experts) […] »31.

Ensuite, nous mobilisons l’approche systémique (Boulding, 1956 ; Von Bertalanffy, 1956) sur laquelle semble également prendre racine l’entreprise libérée (Autissier et Guillain, 2017).

Partant du constat que les organisations sont influencées par leur environnement, les théories de la contingence structurelle permettent d’identifier les facteurs ayant un impact sur la structure des organisations afin de les rendre adaptables à leur environnement, propriété sine qua non de leur survie. Parmi les travaux emblématiques se trouvent ceux de Burns et Stalker (1961) qui opposent structures mécanistes et organiques qu’ils modélisent à partir de quatre dimensions clés : la spécialisation, la coordination, la formalisation et la centralisation. D’un côté, la structure mécaniste, correspond à la vision de l’organisation des classiques, avec (1) une spécialisation, (2) une parcellisation du travail et (3) l’importance de la hiérarchie qui impliquent (4) une information centralisée et (5) une communication verticale avec (6) des règles, normes et procédures précises. De l’autre côté, la structure organique, représentative de l’adhocratie (Mintzberg, 1989), est dotée de plusieurs caractéristiques : (1) les fonctions ne sont pas strictement définies, (2) la communication latérale prime, (3) grâce à l’interaction s’opère un ajustement naturel des tâches, (4) la direction et les managers ne s’imposent pas en permanence laissant ainsi (5) une plus grande liberté d’action. Au regard des travaux sur l’entreprise libérée (Antoine et al., 2017 ; Lam, 2005 ; Peters, 1992 ; Voegele, 1993),

31 Voegele (1993) regrette par ailleurs le manque de référence explicite aux théories de la contingence dans

les travaux de Peters (1992) alors qu’il apparaît dans ses exemples que les contraintes de l’environnement « nécessitent des structures plus souples et un management adaptable aux contraintes extérieurs » (Voegele, 1993, p. 146).

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cette dernière reposerait largement sur la structure organique. Toutefois, d’autres auteurs semblent plus nuancés (Carney et Getz, 2009 ; Peters, 1992 ; Robertson, 2006) au regard de trois principales limites.

Premièrement, bien qu’apportant une évolution par rapport à l’organisation classique, les théories de la contingence structurelle restent relativement déterministes (Astley et Van de Ven, 1983) puisque la structure organisationnelle est fonction des caractéristiques de l’environnement externe et de leur évolution. Cette approche de la contingence externe conduit à faire de l’alignement de l’organisation à son environnement une condition de survie (Burns et Stalker, 1961 ; Lorsch, 1977 ; Mintzberg, 1989). Si l’entreprise libérée cherche à être plus agile (Robertson, 2006 ; Voegele, 1993) et répond aussi à un principe d’adaptation, c’est bien « la structure que

vous vous donnez [qui] détermine vos choix » (Peters, 1992, p. 157).

Deuxièmement, cette approche est statique et normative puisqu’à un type d’environnement donné correspond une forme organisationnelle donnée alors que l’entreprise libérée n’entend pas être un modèle figé conservant plutôt une certaine flexibilité (Carney et Getz, 2009 ; Gilbert et al., 2018c).

Troisièmement, bien que les théories de la contingence structurelle accordent un rôle central à l’environnement externe, l’organisation reste relativement fermée avec des frontières définies et s’intéresse principalement à sa structure interne et aux mécanismes de coordination associés. Au contraire, l’entreprise libérée semble reposer sur un principe (volontaire) d’intégration de l’environnement au sens de Follett (Damart et Adam- Ledunois, 2017), et plus largement des acteurs tant internes qu’externes (Antoine et al., 2017 ; Carney et Getz, 2009).

En réponse à ces limites, l’approche systémique (Boulding, 1956 ; Miller, 1995 ; Von Bertalanffy, 1956) permet d’aller plus loin. En effet, l’entreprise devient un système composé de sous-systèmes liés entre eux (Hatch et Cunliffe, 2009). Ainsi, cette approche met davantage l’accent sur les relations que sur les constituants et sur les dynamiques entre les parties interdépendantes agencées en fonction d’un objectif (Desreumaux, 2015). Son principal apport repose sur une modélisation complexe et élargie du fonctionnement de l’organisation saisie à travers un ensemble de sous-systèmes en interaction. Elle est à la base des concepts d’autonomie et d’auto-organisation (Durand, 2017), centraux dans

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les entreprises libérées (Carney et Getz, 2009 ; Foss, 2003). L’organisation est intégrée dans son environnement avec lequel elle entretient des relations. Ainsi, elle n’est plus une entité stable avec des frontières définies mais un système ouvert qui réinterroge la notion même de frontières.

La première contribution de l’approche systémique à la compréhension de l’entreprise libérée réside dans l’identification des principes de régulation, qui sont assimilés dans ce cas précis à de l’autorégulation en concordance avec l’autonomie et la responsabilité accordées aux individus. Dans l’entreprise libérée, l’interdépendance des systèmes constitue une forme de « maillage [qui] remplace la hiérarchie » (Hamel et Breen, 2007, p.78). Dans la même lignée, Autissier et Guillain (2016, p. 65) considèrent que le « principe de systémique est au cœur de l’holacratie », une forme associée au système de management de l’entreprise libérée (cf. 1.1. de ce chapitre) :

« La notion d’holacratie est utilisée pour décrire un fonctionnement où les membres sont autonomes et s’autorégulent dans le respect de la finalité et des contraintes du système auquel ils appartiennent. Le terme est dérivé de celui « d’holarchie », inventé en 1967 par Arthur Koetsler pour désigner des entités autonomes reliées à une entité supérieure. L’entreprise est alors vue comme un organisme avec des cellules autonomes et dépendantes de ce même organisme. »

La seconde contribution, en rupture notamment avec le déterminisme des théories de la contingence est d’expliquer les phénomènes présents par les objectifs poursuivis et non par leurs causes. Une logique de résolution de problèmes est alors privilégiée en trouvant un point d’équilibre entre l’ensemble des systèmes (Boulding, 1956 ; Durand, 2017 ; Dutriaux, 2019 ; Lo, 2015). L’entreprise libérée cherche à intégrer cette logique en « facilitant la résolution autonome des problèmes […] » (Gilbert, Teglborg et

al., 2017, p. 43).

La troisième contribution est la prise en compte des interactions permanentes entre l’entreprise et son environnement (Boulding, 1956 ; Von Bertalanffy, 1972). Les frontières de l’entreprise libérée sont réinterrogées par la « poursuite d’un projet sociétal » (Gilbert, Teglborg et al., 2017, p. 44), en intégrant à la fois un environnement de travail national, voire international tout en agissant au niveau local (Autissier et al.,

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2016). Les entreprises libérées et leur environnement sont souvent présentés de manière encastrée et interdépendante (Antoine et al., 2017).

Au total, au regard des emprunts contemporains (théories de la contingence structurelle et approche systémique), l’entreprise libérée se voit dotée d’une structure adaptable et agile (Bernstein et al., 2016 ; Peters, 1992 ; Voegele, 1993). L’entreprise libérée est explicitement dotée d’une propriété d’auto-organisation permettant, entre autres, de traiter avec son environnement (Lee et Edmondson, 2017 ; Robertson, 2006). Ce point est clé dans une logique de résolution autonome de problèmes (Autissier et al., 2016 ; Carney et Getz, 2009 ; Gilbert et al., 2014).

C

ONCLUSION DE LA SECTION

1

Cette section à visée descriptive fournit un cadrage général de l’entreprise libérée. Elle propose une première lecture de cette notion en tant que forme organisationnelle et permet plusieurs avancées pour notre recherche.

L’analyse de l’entreprise libérée et de ses formes associées (holacracy, organisation spaghetti et organisation opale) a permis d’identifier les premiers attributs de cette forme organisationnelle :

✓ Une décentralisation verticale et une structure organisationnelle aplatie ; ✓ Une autonomie et une responsabilité accordée aux équipes et aux

individus ;

✓ Un élargissement des tâches ; ✓ Une centralité de l’humain.

Pour aller plus loin, l’examen de ses héritages en théorie des organisations a conduit à préciser son contexte d’émergence et à positionner l’entreprise libérée par rapport à des conceptions établies. Il a été possible d’en dégager une conception en creux par rapport aux organisations ingénieriques et bureaucratiques (Ford et Crowther, 1922, 1926 ; Taylor, 1911 ; Weber, 1921) et une conception démocratique et égalitaire de l’organisation fondée sur le collectif dans la lignée des travaux de Barnard (1938) et de Follett (1896). Au regard des emprunts contemporains issus de la théorie de la contingence structurelle (Burns et Stalker, 1961) et de l’approche systémique (Von Bertalanffy, 1956), l’entreprise libérée se voit dotée de nouvelles propriétés à travers son adaptabilité et son agilité vis-à-vis de son environnement

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sans déboucher toutefois sur une conceptualisation aboutie. La figure 3 ci-après propose une mise en perspective des héritages de l’entreprise libérée en tant que forme organisationnelle.

En conclusion, les résultats établis sur l’entreprise libérée à travers ses réalités et son héritage théorique ne révèlent pas d’unicité, ce qui interroge le concept lui-même. Dans le cadre de ce travail de thèse portant spécifiquement sur cet objet de recherche, il est donc important d’aller au-delà de ce constat. C’est pourquoi, une analyse conceptuelle doit être menée. Elle doit permettre de comprendre en profondeur ce qu’est l’entreprise libérée. Cela fera l’objet des prochaines sections.

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ECTION

2 :L’

ENTREPRISE LIBEREE

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DE LA FORME ORGANISATIONNELLE

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