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IDENTIFIES V ERBATIMS ILLUSTRATIFS

S ECTION 1 : D ESIGN GENERAL DE LA RECHERCHE

1.1. P OSITIONNEMENT EPISTEMOLOGIQUE DE LA THESE

1.1.1. Différents paradigmes épistémologiques en sciences de gestion

L’épistémologie se définit comme « l’étude de la constitution des connaissances valables » (Piaget, 1967, p.6). En s’inscrivant dans un paradigme épistémologique, il s’agit de partager une vision commune du monde (Gavard-Perret et al., 2018). Pour se positionner, le chercheur doit alors mener une approche réflexive et critique sur la manière dont est généré le savoir et dont les méthodes sont employées. Un paradigme épistémologique interroge ainsi le chercheur à plusieurs niveaux (Allard-Poesi et Perret, 2014 ; Avenier et Gavard-Perret, 2018 ; Martinet et Pesqueux, 2013) :

✓ Quelle est sa conception de la connaissance ?

✓ Sur quelles hypothèses d’ordre épistémique (i.e. la nature de la connaissance produite) et d’ordre ontologique (i.e. la nature de la réalité) la recherche s’appuie-t-elle ?

✓ Comment justifier la validité des connaissances élaborées ? Cette hypothèse d’ordre méthodologique interroge la manière dont la connaissance est élaborée, notamment sur le mode de raisonnement adopté

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(inductif, déductif, abductif). Si aucun positionnement épistémologique n’est précisément lié à une méthodologie particulière, qu’elle soit quantitative ou qualitative, certaines sont néanmoins plus adaptées (Avenier, 2011 ; Dumez, 2010).

Ces questionnements mettent en évidence les implications profondes que revêt le choix d’un paradigme épistémologique. Un changement de paradigme permettrait d’appréhender un objet de recherche de manière totalement différente (Allard-Poesi et Perret, 2014)61. Aussi, est-il crucial que le chercheur clarifie son positionnement dès le début de son travail de recherche (Guba et Lincoln, 2005), puisque celui-ci repose sur des hypothèses fondatrices relatives à la conception de la réalité, de la connaissance, du rôle du chercheur et aux critères de validité de la recherche. Toutefois, dans notre cas, même si cette réflexion a été rapidement enclenchée au début de ce travail de thèse62, le choix définitif s’est plutôt construit de manière itérative au cours de la première année après avoir engagé les premiers travaux. Par ailleurs, même si ce choix a été réalisé avec sérieux et intérêt, nous concevons, à l’instar de Dumez (in Bastianutti et Perezts, 2012), que sans formation préalable en philosophie, et du fait de notre inexpérience, ce choix ne s’est pas fait sans difficulté.

Deux grandes traditions coexistent au sein des paradigmes épistémologiques : le positivisme et le constructivisme.

La tradition positiviste repose sur une hypothèse ontologique réaliste. Le

positivisme a été développé par les travaux de Comte (1844). S’il est essentiellement issu

des sciences de la nature (Allard-Poesi et Perret, 2014), il s’avère dominant en sciences de gestion (Thietart, 2014). Il repose sur l’hypothèse ontologique d’un réel connaissable, qui postule que la réalité existe en soi et qu’elle est indépendante de l’intérêt et de l’attention du sujet qui l’examine. Selon ce principe, l’observation de l’objet par un sujet ne modifie pas la nature de cet objet : « la réalité a ses propres lois, immuables et quasi- invariables » et « un ordre universel qui s’impose à tous » (Allard-Poesi et Perret, 2014, p. 23). Outre ces hypothèses d’ordre ontologiques et épistémiques, deux principes méthodologiques sont généralement associés au positivisme : la décomposition

61 Ainsi, un changement de paradigme épistémologique constitue à lui seul un outil d’innovation dans la

recherche (Allard-Poesi et Perret, 2014)

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analytique, qui suggère que le réel est décomposable et la raison suffisante, qui suppose que rien n’arrive jamais sans une cause déterminante (Avenier et Gavard-Perret, 2018).

Néanmoins, les critiques de Popper (1963, 1985) quant au positivisme ont conduit à l’émergence récente du post-positivisme (Allard-Poesi et Perret, 2014 ; Mingers, 2000), avec les paradigmes réaliste scientifique (ou positivisme aménagé) et réaliste critique. En effet, Popper (1963) introduit la logique de réfutation, « une connaissance est scientifique si elle est réfutable » (Allard-Poesi et Perret, 2014, p. 38). Il n’est donc pas possible de vérifier empiriquement une théorie, on ne peut que la « corroborer » et approcher la vérité (« vérissimilitude ») (Avenier et Gavard-Perret, 2018, p.21). La principale différence du réalisme scientifique (Hunt, 2005) par rapport au positivisme est relative à la conception du réel. En effet, bien que les deux reposent sur une hypothèse ontologique réaliste, dans les paradigmes post-positivistes de type réalisme scientifique, le réel n’est pas conçu comme toujours accessible. Le réalisme scientifique reste toutefois marqué par des méthodologies quantitatives, l’expérimentation, les démarches hypothético-déductives et la visée explicative des connaissances scientifiques (Allard-Poesi et Perret, 2014). Dans ce cadre, le chercheur se doit d’être neutre et objectif. Le réalisme critique est une extension pour les sciences sociales du réalisme transcendantal introduit à l’origine pour les sciences de la nature par Bhaskar (1978), qui souhaite proposer une voie médiane entre le positivisme et le constructivisme. La spécificité de ce paradigme épistémologique réside dans la conception d’un réel stratifié. Si, comme les positivistes, une recherche scientifique a pour objectif de découvrir « les régularités qui constituent l’essence de la réalité » (Allard-Poesi et Perret, 2014, p. 23 ; Bhaskar, 1978), le réel n’est plus directement accessible puisque stratifié : réel profond, réel actualisé et réel empirique constituent à eux trois la réalité (cf. figure 13). Ainsi, dans un positionnement réaliste critique, le chercheur s’attèlera à révéler le réel profond qui n’est pas directement observable. Ce dernier gouverne les évènements (i.e. le réel actualisé) ainsi que les expériences et impressions (i.e. le réel empirique). Le chercheur, en s’inscrivant dans ce paradigme épistémologique, accorde une importance au contexte dans lequel surviennent les évènements et actions. En effet, même si les règles et structures sont universelles, elles varient en fonction des contextes (Allard-Poesi et Perret, 2014) puisque « la connaissance est toujours historiquement et socialement localisée, sans perdre la dimension ontologique » (Mingers et al., 2013, p. 796). Ainsi, il est crucial de repérer les circonstances intrinsèques et extrinsèques qui accompagnent la réalisation des

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évènements ou actions (Gavard-Perret et al., 2018). L’objectif principal est d’identifier les mécanismes générateurs et de comprendre leur mode d’activation en fonction des circonstances (ibid.).

Figure 13. Réalisme critique : les trois niveaux de réalité (D’après Allard-Poesi et Perret, 2014)

La tradition constructiviste repose majoritairement sur une hypothèse ontologique relativiste selon laquelle le réel existe mais n’est en aucun cas indépendant du sujet. Il est construit et ne peut être considéré comme une donnée d’entrée (Allard-Poesi et Perret, 2014). Il est ainsi dépendant du contexte dans lequel il se construit, notamment en fonction de celui qui l’observe. Le postulat d’objectivité propre au positivisme est ainsi rejeté et l’hypothèse ontologique n’est plus réaliste mais relativiste. La connaissance produite devient alors subjective et contextuelle (Perret et Séville, 2007). Cette tradition constructiviste regroupe les paradigmes de l’interprétativisme (Sandberg, 2005 ; Yanow, 2006), du constructivisme pragmatique (Le Moigne, 1995 ; Von Glasersfeld, 2001) et du constructivisme au sens de Guba et Lincoln (1989). L’interprétativisme privilégie la compréhension alors que le constructivisme alloue un statut privilégié à la construction de la connaissance. Le constructivisme pragmatique (ou ingénierique) (Le Moigne, 1995 ; Von Glasersfeld, 2001) se distingue des autres paradigmes issus d’une tradition constructiviste en laissant « la question de la nature de la réalité […] en suspens » (Allard-

Réels

observables et expérimentables Réel non observable ni expérimentable

Les mécanismes générateurs, i.e. des suppositions sur les règles et les structures via lesquelles les évènements et actions observés arrivent.

Évènements qui se produisent ou non selon l’activation des mécanismes générateurs.

Expériences et impressions observées ou expérimentées par l’homme à travers ses perceptions et sa capacité à les mesurer. Réel profond : règles, structures et forces Réel actualisé : évènements, actions et états de fait Réel empirique : expériences et impressions

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Poesi et Perret, 2014, p. 28). Bien que reposant sur des conceptions communes avec le constructivisme quant aux hypothèses d’ordre épistémique63, aucune hypothèse

ontologique n’est alors formulée. En effet, s’il existe des flux d’expériences humaines, on ne connait finalement que son propre réel. Le constructivisme au sens de Guba et Lincoln (1989) est relativement proche du constructivisme pragmatique au regard de l’hypothèse d’ordre épistémique mais diffère radicalement sur l’hypothèse ontologique. En admettant l’existence de multiples réalités socialement construites, il accorde une importance aux idées conflictuelles et donc à la construction de connaissances par la critique et l’auto-critique (Avenier et Gavard-Perret, 2018).

Une synthèse des six paradigmes épistémologiques les plus utilisés en sciences de gestion 64 est présentée dans le tableau 24 ci-après65.

63 I.e. les « dimensions intentionnelle, interactionnelle, processuelle, symbolique, subjective de l’activité

humaine et sociale » (Allard-Poesi et Perret, 2014, p. 28).

64 Il existe plusieurs classifications des paradigmes épistémologiques. Par exemple, Wacheux (1996)

distingue le positivisme, la sociologie compréhensive, le fonctionnalisme et le constructivisme ; Avenier et Gavard-Perret (2018) le réalisme scientifique, le réalisme critique, le constructivisme pragmatique, l’interprétativisme et le constructivisme au sens de Guba et Lincoln (1989).

65 Nous faisons ici le choix de ne pas nous engager sur les controverses, bien qu’existantes autour de

l’épistémologie, par exemple en présentant les différents paradigmes épistémologiques dans un tableau ce qui contribue à figer les frontières entre eux. Pour une revue des controverses, il est possible de se référer à Avenier, 2011 ; Dumez, 2010, 2011b et au débat entre V. Perret et H. Dumez lors de la conférence de l’Association Internationale de Management Stratégique (AIMS) en 2012 (Bastianutti et Perezts, 2012).

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Tableau 24. Synthèse des principaux paradigmes épistémologiques en sciences de gestion (D’après Allard-Poesi et Perret, 2014 ; Avenier et Thomas, 2015 ; Avenier et Gavard-Perret, 2012)

POSITIVISME REALISME

SCIENTIFIQUE REALISME CRITIQUE INTERPRETATISVISME

CONSTRUCTIVISME PRAGMATIQUE CONSTRUCTIVISME AU SENS DE GUBA ET LINCOLN (1989) Hypothèse d’ordre ontologique

Réaliste (le réel a une essence propre) Relativiste Aucune Relativiste

Il existe un réel en soi qui ne dépend pas de celui qui l’observe.

Réel stratifié : réel profond, actualisé et empirique.

Les connaissances ne changent pas mais le réel varie selon celui qui l’observe.

Le réel existe mais on ne connait que son propre réel. Il existe plusieurs réalités socialement construites. Hypothèse d’ordre épistémique Objective Subjective

Le réel est accessible.

Le réel n’est pas toujours

accessible.

Le réel profond n’est pas accessible. Seuls les réels actualisé et empirique le sont.

Les connaissances se fondent sur l’expérience que l’on a du réel.

La connaissance se construit par un processus actif impliquant le chercheur. Il y a interdépendance entre chercheur et objet étudié. But de la connaissance Observer la réalité. Etablir des lois universelles des phénomènes (i.e. décrivant des relations immuables entre des faits observables et mesurables scientifiquement). Identifier des régularités et des configurations de surface. Représentation iconique du réel tel qu’il est.

Enoncés réfutables.

Identifier les mécanismes générateurs à l’origine des évènements observés, et leurs modes

d’activation en fonction des contextes. Approche explicative. Conception représentationnelle des mécanismes générateurs. Comprendre les processus d’interprétation, d’interaction, de construction de sens, de communication et d’engagement dans les situations. Conception pragmatique de la connaissance.

Construire des modèles intelligibles de

l’expérience humaine, une représentation instrumentale et/ ou un outil pour l’action. Conception pragmatique de la connaissance.

Comprendre la manière dont les individus attribuent des significations aux expériences qu’ils vivent.

Critères de validité

Chercheur détaché et distant de son objet de recherche. Objectivité, neutralité et conditions contrôlées. Neutralité et objectivité. Tests statistiques et réplication. Mises à l’épreuve successives dans des recherches qualitatives ou quantitatives.

Pas de généralisation possible.

Immersion du chercheur dans le phénomène étudié. Interprétations réalisées grâce aux interactions entre les acteurs.

Méthodes herméneutiques et ethnographiques. Pas de généralisation possible. Méthodes herméneutiques mobilisées de manière dialectique. Pas de généralisation possible. Méthodes herméneutiques

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