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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

3.6 Posture, facilitateurs et défis méthodologiques

Au cours de la mise en place de l’atelier et durant toute la collecte de données, le rôle de la chercheuse principale ne se limitait pas au travail exclusif de la recherche. À la fois chercheuse principale, animatrice et accompagnatrice, dans ce projet participatif, nos implications nous situent dans une posture loin d’être ancrée dans une neutralité et un désengagement. Initialement, le choix d’un objet d’étude est rarement désengagé ; il fait partie de la posture du chercheur, de son histoire, de ses expériences, de son identité (Krief et Zardet, 2013). Par ailleurs, selon nos objectifs de recherche, il pourrait s’avérer plutôt inopportun d’installer une telle posture ; la posture subjective et engagée est pertinente pour, entre autres, nous permettre de discerner une invisibilité à l’égard de ces jeunes ayant vécu l’exil — ce que

nous, en tant que chercheuse, n’avons jamais vécu —, puis de nous distancier des généralisations désincarnantes (DeLavergne, 2007). L’expérience et la sensibilité de l’accompagnatrice nourrissent la réflexivité de la chercheuse et, dans un cadre participatif, les deux rôles permettent à la fois des ajustements pour constituer un espace authentique et sécuritaire pour les jeunes participants, tout en s’assurant de répondre aux objectifs et questions de recherche. À cet effet, Maguire (1987, cité par Gélineau, 2001), nous révèle toute l’importance de l’engagement et de la subjectivité :

« La subtilité de la complexité sociale ne peut toujours être adéquatement saisie si une distance est maintenue entre le chercheur et son « objet » d’étude. L’empathie, le partage, les échanges et les relations interpersonnelles permettent de prendre connaissance de la richesse de l’expérience humaine et de mieux saisir le sens que les personnes donnent à leurs propres actions et expériences ». (Gélineau, 2001, p. 15)

Il est tout de même préférable d’adopter des balises pour éviter une confusion entre les rôles et limiter les biais possibles. À cette fin, et pour des raisons éthiques, il s’avère fondamental d’exposer clairement notre statut de chercheuse et d’accompagnatrice aux participants, mais aussi leur statut et leur rôle dans la recherche. Dans ce cas-ci, le statut de la chercheuse n’est pas celle de l’experte extérieure au problème, mais celle de responsable principale de la partie recherche et des modalités associées : le cadre théorique et la formulation des questions et des objectifs, la rédaction du produit final de la thèse, l’analyse des données et la diffusion. Les co-chercheurs deviennent les experts attitrés pour répondre aux questions établies, pour émettre les données à leur égard et, en partie, nous rendre leurs formes d’interprétation pour l’analyse des données et se positionner sur la diffusion des données.

Malgré les objectifs louables et les retombées de la recherche participative, elle suscite certaines critiques et peut aussi dresser des obstacles tout au long de la recherche. Bon nombre des difficultés émanent de la mise en place, par le temps et la patience que la recherche participative exige (Sullivan et al., 2001). Les enjeux autour de la logistique ont pris une place considérable dans la recherche et ne sont pas négligeables au niveau du temps investi et de la faisabilité dans un tel projet. Dans notre cas, la mise sur pied de l’atelier a été effectivement ardue, dans la mesure où les jeunes ne sont pas du même degré scolaire, et n’ont donc pas les mêmes horaires. Par ailleurs, les participants fréquentant les CEA ont des horaires plutôt

instables et variables d’une semaine à l’autre. À cet effet, sur une certaine période, notre atelier a dû se dérouler par intermittence afin de s’ajuster aux disponibilités de chaque participant. De plus, le lieu de la collecte de données a été source de complications au début de l’atelier. Nous avions prévu l’établissement de l’atelier dans une salle à proximité de celle occupée par le groupe CASA, mais quelques problèmes techniques ont ressurgi (panne d’électricité et du réseau Internet, système de chauffage déficient, etc.) nous obligeant à repenser les lieux de rencontre.

En raison des difficultés et des défis que cela implique, certains chercheurs préfèrent éviter une telle démarche de recherche. Aussi, même si les intentions sont souvent admirables en théorie, en pratique, l’application de la démarche participative est plus souvent contestée. Ironiquement, ces recherches ont parfois tendance à consolider et corroborer des structures plus traditionnelles de recherche, en ce qui concerne le rapport de pouvoir accordé et quant aux décisions prises à propos de la diffusion des résultats, par exemple (Barnes et Mercer, 1996). Autrement dit, plutôt que de se confronter aux défis de logistique majeurs qui peuvent résulter d’une approche participative, des chercheurs peuvent finalement en venir à tenir un rôle très directif et à contrôler la façon dont la méthodologie et la diffusion des résultats seront effectuées, n’impliquant alors que très peu les participants (co-chercheurs) dans le processus de la recherche. En prévision des difficultés pouvant survenir dans ce cadre, avant et pendant la collecte de données, nous avons consulté une jeune participante à un autre projet antérieur qui a inspiré notre méthodologie, celui de « Cartographie des souvenirs » mentionné précédemment. Maintenant étudiante à l’université, nous avons tissé des liens avec cette jeune qui nous a donné quelques conseils pour mettre en place l’atelier. Bien que le projet auquel elle avait pris part s’avère différent, entre autres, dans les objectifs et les moyens octroyés pour les atteindre, ces échanges ont permis une meilleure préparation. Nous avons ainsi prévu des moments de discussion libre pour simplement échanger entre nous, des collations et des petits repas conviviaux. Ces conditions se sont avérées facilitantes, dans le cadre de la mise en place de l’atelier, en général, et aussi pour mieux appréhender la réalité de ces jeunes.

Étant donné le mode de recrutement, l’échantillon est non aléatoire, d’autant plus que de soumettre le projet de recherche à une sélection aléatoire aurait été passablement laborieux et

moins approprié à notre contexte de recherche (Mongeau, 2008). La visée du projet de recherche n’est pas la généralisation ni la vérification d’hypothèses, mais, fondamentalement, la compréhension d’un contexte particulier dans un cadre participatif (Lessard-Hébert, Boutin, et Goyette, 1997 ; Savoie Zajc et Karsenti, 2004). Dans cette optique, l’intérêt de recruter un grand nombre de participants devient secondaire, car ce sera davantage la profondeur et la complexité de chaque cas qui importera à l’intérieur du processus de recherche. Nous convenons par contre qu’il a été difficile d’atteindre les jeunes des familles réfugiées plus récemment arrivées parce qu’ils sont constamment préoccupés par leur installation immédiate et qu’ils sont moins facilement accessibles par des moyens de communication, comme le téléphone (Temple et Moran, 2006).

Lors du développement et de la conception d’un projet de recherche participative, plusieurs interrogations peuvent émerger : quelle place attribuer à chacun ? Comment répartir le pouvoir décisionnel ? Comment faire ressortir certaines contradictions sans remettre en doute la parole des jeunes/participants ? À quel point la recherche est-elle émancipatrice ? Peut-on considérer une recherche émancipatrice si les savoirs sont mobilisés seulement à court terme ? Chez les groupes marginalisés, il peut y avoir un sentiment d’inaccessibilité face au domaine de la recherche, qu’il est difficile de se départir, dû à la médiatisation et aux représentations ancrées socialement et historiquement. Il faut donc du temps et des moyens d’une grande ampleur qui accèdent aux différents espaces de ces groupes. L’accessibilité réside beaucoup dans la perception des acteurs ; même si plusieurs services ou pratiques participatives sont offerts à ces jeunes, ils peuvent être perçus par ceux-ci comme hors de portée (Oliver et Barnes, 1998 ; René et al., 2009 ; Temple et Moran, 2006). Les retombées à long terme sont, pour ainsi dire, difficiles à voir. Nous sommes conscients des limites entourant la recherche participative, elle demeure néanmoins un type de recherche pertinent pour explorer notre objet d’étude. Ce type de recherche offre des avenues intéressantes pouvant contribuer à l’avancement des connaissances en ce qui concerne la compréhension et la description de la réalité des jeunes réfugiés.

Nous avons exposé les grandes lignes de l’approche épistémologique et des aspects méthodologiques qui en découlent, spécifiquement dans un projet d'atelier participatif. Puis,

nous avons précisé les instruments de la collecte de données appropriés, tout en décrivant la procédure à l’égard de l’implantation de l’atelier avec les jeunes participants, pour notre projet de recherche. Nous avons également proposé les méthodes de traitement et d’analyse des données. La posture, les défis et une partie des limites sont aussi notés, bien qu’une discussion plus approfondie des limites suive les chapitres 4 et 5. Les prochains chapitres sont donc consacrés à la présentation des données et à leur analyse.