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Chapitre 1 : Problématique

1.3 Projet d’intégration des jeunes réfugiés au Québec dans la construction

1.3.1 Phase postmigratoire : défis et changements

« [...] chacun devrait pouvoir inclure dans ce qu’il estime être son identité, une composante nouvelle, appelée à prendre de plus en plus d’importance au cours du nouveau siècle, du nouveau millénaire : le sentiment d’appartenir aussi à l’aventure humaine (Amin Maalouf, 1998, p. 187-188) . » (Vatz Laaroussi, 2016, p. 3)

Suivant les premières étapes de l’établissement, souvent associées à la satisfaction des besoins primaires, certains défis, qui peuvent prendre diverses formes, perdurent ou ressurgissent pour les familles réfugiées. En effet, des préoccupations de toutes sortes peuvent parfois intensifier le processus d’acculturation par des embûches, que ce soit sur le plan économique, scolaire ou linguistique, pouvant charpenter la reconstruction identitaire au cours de la phase postmigratoire. Quelques éléments du projet d'intégration seront présentés pouvant participer d'une façon comme de l'autre à la construction identitaire des jeunes.

Un rapport de Statistique Canada a soulevé des différences entre la situation des immigrants de catégorie économique et celle des immigrants de catégorie humanitaire, dont font partie les jeunes réfugiés (Statistique Canada, 2005). Ces comparaisons, qui s’ajoutent aux particularités du contexte migratoire des réfugiés, se situent à différents niveaux. D’abord, il est indiqué que le revenu familial est, en moyenne, nettement plus faible chez les familles réfugiées que chez les immigrants économiques, et ce, avant leur arrivée et six mois encore après leur arrivée au Canada. Puis, alors que 19 % des immigrants économiques ne parlent ni le français, ni l’anglais à leur arrivée, plus de 36 % des réfugiés ne parlent aucune des deux langues officielles du Canada. Aussi, le rapport fait mention d’isolement social et familial que vivent près de 25 % des réfugiés, qui indiquent n’avoir ni ami ni parent au moment de s’établir au Canada, ce qui est de moindre mesure chez les immigrants économiques (Statistique Canada, 2005). Certains écrits évoquent le rôle important de la phase d'intégration sociale dans l'expression de la reconstruction de soi dans la phase postmigratoire (Barou, 2013; Ndengeyingoma, 2013). En plus d'être souvent coincées dans une situation de réinstallation et de procédures d'immigration accablantes, les familles de statut réfugié, ou qui revendiquent le statut, se trouvent isolées, manquant dès lors des opportunités de se développer socialement qui pourraient grandement contribuer à leur construction et reconstruction identitaire.

En plus des obstacles que peuvent subir les parents, notamment dans l’insertion professionnelle, le rythme d’adaptation au pays d’accueil qui peut différer de celui de leurs enfants est susceptible d’alimenter certaines tensions au sein de la famille (Bérubé, 2004). Les jeunes étant plus en mesure d’adopter des comportements influencés par leur milieu d’intégration, telle l’école, se retrouvent parfois en résistance face aux parents déstabilisés. Ces décalages culturels peuvent être attribuables, d’une part, au processus d’intégration, et d’autre part, au développement identitaire attribuable au passage, par exemple, de l’enfance à l’adolescence (Lamothe-Lachaîne, 2011). L’exercice du rôle que jouent les parents comme celui des enfants peut se transformer. Devant une maîtrise de la langue d’accueil plus rapide que leurs parents, certains enfants portent le rôle d’interprète ou même de médiateur entre la culture d’accueil et la culture d’origine (Diallo et Lafrenière, 2007 ; Dubé-Quenum, 2013). Ces situations peuvent se révéler à travers les histoires de tout jeune et toute famille issue de l'immigration. Par contre, en raison des procédures et des délais administratifs plus longs et de la précarité sociale ou économique parfois inhérents au statut migratoire des familles issues de l'immigration humanitaire, les jeunes peuvent être amenés à voir le fonctionnement de leur famille plus souvent modifié (Ndengeyingoma, 2013). Par exemple, comme la démarche d'immigration exige plus d'étapes administratives, où la langue d'accueil est d'usage, les jeunes peuvent devoir jouer leur rôle d'interprète plus souvent. Cette nouvelle fonction ou les nouvelles tâches à accomplir dans la famille peuvent être très bien accueillies par les jeunes. « Les adolescents reconnaissent qu'ils doivent aider leurs parents afin qu'eux aussi puissent aller à l'école de francisation, faire des stages professionnels ou étudier pour se trouver du travail. Ceci n'est pas perçu comme un problème » (Ndengeyingoma, 2013, p. 70). Ainsi, tous ces changements dans le fonctionnement familial peuvent contribuer tant négativement que positivement au processus d'intégration et donc à la reconstruction identitaire des jeunes. Que ce soit dans les relations avec les parents ou la fratrie, les rapports peuvent changer menant, dans certains cas, à des distances ou des ruptures, mais aussi à de nouvelles relations et à une consolidation des liens intrafamiliaux. L’histoire migratoire comme le projet d’intégration peuvent donner lieu à un désir d’investissement partagé par les membres de la famille, unissant les forces de chacun (Lamothe-Lachaîne 2011; Vatz Laaroussi, 2009).

Pour plusieurs jeunes, le départ accéléré du pays d’origine est lié à des pertes de relations amicales et amoureuses. Nombre d'écrits abondent en ce sens : le réseau d'amitié est fondamental à l'adolescence et soutient la construction identitaire par notamment la possibilité de se distancer de l'autorité parentale pour affirmer son autonomie et le pouvoir d'émancipation ou l'exploration de nouvelles valeurs grâce aux différents rôles sociaux tenus (Claes et Lannegrand-Willems, 2014; Cloutier et Drapeau, 2015). Dans le passage entre l'enfance et l'âge adulte, les transformations sur le plan social sont centrales et l'espace accordé aux rencontres amicales devient saillant (Cloutier et Drapeau, 2015). Installés dans la nouvelle société d’accueil, les jeunes ayant vécu l'exil peuvent investir beaucoup de leur temps à maintenir un contact avec leurs pairs restés dans leur pays d’origine. Pour certains, se refaire un réseau social dans le pays d’accueil demeure un défi considérable. Les déménagements, les changements d’institution scolaire comme les dynamiques de la famille en transformation sont des circonstances qui peuvent compliquer la composition d’un réseau de pairs proche et satisfaisant pour le jeune, donc sa construction identitaire (Lamothe-Lachaîne, 2011).

Les questions spirituelles et religieuses sont complexes. Il est donc difficile d’articuler en quelques lignes comment elles prennent part au projet d’intégration et à la construction identitaire des jeunes réfugiés. Néanmoins, nous convenons que la religion fait partie du bagage personnel et familial pour plusieurs jeunes réfugiés et que la place octroyée aux croyances religieuses fait partie de leur construction identitaire (Diallo et Lafrenière, 2007). Pour bon nombre de jeunes arrivés au Québec, les dynamiques entourant la religion sont ébranlées et les jeunes cherchent à redonner un sens à cet ébranlement qui peut se traduire dans des dynamiques identitaires d'incohérence et de malaise (Lamothe-Lachaîne, 2011). Comme nous l'avons mentionné précédemment, les pratiques transnationales peuvent occuper une place essentielle dans la création ou le maintien d'un espace pour consolider des liens avec sa pratique religieuse. Aussi, dans la société d'accueil, les lieux de culte peuvent s'avérer des sites interculturels pertinents favorisant ainsi l'intégration et permettant de préserver un pan de leur identité pour une reconstruction identitaire satisfaisante (Gélinas et Vatz Laaroussi, 2012). « La communauté [religieuse] constitue d’ailleurs souvent le premier réseau de sociabilité qui permet de réconforter ceux-ci par rapport à l’expression de leurs croyances et de leur identité

[...] » (Gélinas et Vatz Laaroussi, 2012, p. 42). Somme tout, parfois, la pratique religieuse est plus intensifiée dans le pays d’accueil, d’autres fois, elle s’atténue, voire abandonnée.

Bref, plusieurs facteurs interviennent dans le processus d’intégration venant faciliter celui-ci ou, au contraire, pouvant devenir des obstacles majeurs dans la phase postmigratoire. En considérant ces quelques facteurs, parmi d’autres, des espaces reconnus dans la société québécoise peuvent agir comme facilitateurs au projet d’intégration et, au-delà de l’intégration dans le pays d’accueil, ils sont des lieux de socialisation importants contribuant au développement psychosocial global et donc jouant un rôle dans la construction identitaire. Les prochaines lignes font mention du milieu scolaire et communautaire dans le parcours de familles réfugiées et, plus précisément, chez les jeunes réfugiés.

1.3.2 Milieu scolaire et son apport dans la construction identitaire: lieu