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Chapitre 1 : Problématique

1.4 Accueillir la voix des jeunes: point d'ancrage dans la compréhension de leur

« Pour garantir la sûreté des enfants et des adolescents et multiplier leurs chances de vivre une vie épanouissante, nous devons les écouter pour comprendre

comment ils perçoivent les questions qui les concernent, et réagir en fonction de ces perceptions. » (Skeels et Sandvik-Nylund, 2012, p. 1)

Notre projet de recherche s'articule autour de la compréhension de la construction identitaire de jeunes ayant vécu l'exil sous l'angle de leurs parcours migratoire et scolaire et ce, à travers l'accueil de leur voix. Les mouvements migratoires font place à des tracés et des réalités qui ne sont pas toujours linéaires et prévisibles. Les sociétés d'accueil, comme les milieux scolaires doivent conjuguer avec une diversité migratoire et prendre en compte la manière dont elle reflète des histoires uniques. Dans les sections précédentes, nous avons cerné des enjeux dans la phase prémigratoire et postmigratoire qui peuvent se dessiner dans la construction identitaire de jeunes ayant vécu l'exil, maintenant installés dans leur nouvelle société d'accueil. Tenter d'explorer la voix de ces jeunes pour comprendre leur construction identitaire c'est prendre en compte cette diversité.

Nous avons souligné des enjeux identitaires qui puissent apparaitre au cours du projet migratoire et la façon dont les marqueurs identitaires peuvent s'incarner dans le processus d'inclusion scolaire. L'école peut être vue comme un espace de repères dans la construction identitaire; elle joue un rôle fondamental comme agent de socialisation. L’école, comme lieu de reproduction et transmission de valeurs et d'exploration, représente pour le jeune des occasions de réagir subjectivement par le rejet ou l'acceptation et l'intégration des valeurs et des normes (Magnan, 2015). Il s'agit de saisir comment le jeune, parce qu'il est adolescent, de statut réfugié, s'adapte à son milieu scolaire et, comment son processus de construction identitaire prend forme à travers ses parcours scolaire et migratoire. Afin d'adopter une démarche qui privilégie la participation directe des jeunes dans l'étude de leur construction identitaire et l'accès à leurs points de vue, nous souhaitons accorder une place importante à leur voix. L'accueil de la voix de ces jeunes en recherche n'est certes pas accessoire, il devient indispensable pour nous éclairer sur leurs conditions et la manière dont ces jeunes donnent sens à leurs parcours; nous permettant une compréhension plus fine de leur construction identitaire, en dépassant une vision uniquement centrée sur les présupposés du chercheur. Dans la mesure où l’on désire explorer les préoccupations et les questions saillantes de ces jeunes, il ne suffit pas de collecter leur simple avis, mais de les engager activement dans la recherche et de s’engager avec eux dans un dialogue (Clark, 2011).

Le passage vers la vie adulte est porteur de bouleversements profonds sur le plan développemental; de nature cognitive, morale, physiologique, etc. (Cloutier et Drapeau, 2015). Des études suggèrent que migrer durant l'adolescence présente des risques accrus pour la santé mentale des réfugiés que migrer au cours de n'importe quelle autre étape de la vie en raison entre autres de la perte du réseau social et des changements scolaires importants, qui s'ajoutent aux autres transformations inhérentes à cette période (Kirmayer, Narasiah, Munoz, Rashid, Ryder, Guzder, Hassan, Rousseau, et Pottie, 2010; Tousignant, Habimana, Biron, Malon, Sidoli-LeBlanc et Bendris, 1999). Cette période de multiples transformations et reconnue comme phase d'explorations identitaires, combinée au contexte migratoire singulier de l'exil et de l'inclusion dans un nouvel environnement scolaire, peut donner lieu à une recomposition identitaire complexe. Une complexité qui peut faire émerger des cassures importantes, mais aussi des formes de continuité et de réparation. En dépit des défis, la mobilité migratoire et les expériences scolaires positives après l'exil peuvent faire ressortir des tuteurs de résilience contribuant à la construction identitaire (Fantino et Colak, 2001; Lee, 2016; Schroter, 2013). Or, des recherches posent un regard sur ces jeunes parfois négatif, d'autres fois réducteur, en s’attardant uniquement aux problèmes que vivent les réfugiés dans une vision normative et, en omettant leurs forces comme leurs capacités de résilience. Un tel discours peut restreindre notre compréhension du vécu des jeunes réfugiés et l'exploration des multiples facettes de leur construction identitaire. Aussi, certains n’examinent qu’un pan de la trajectoire migratoire et négligent les phases ou les processus de transition de pré à postmigratoire. Nous proposons, afin de nous éloigner d’un tel ancrage, un projet qui vise à mettre en lumière la voix de ces jeunes et leurs pouvoirs d'agir, en envisageant leurs parcours au fil du temps, leurs mouvements migratoires et leurs engagements scolaires dans les différents espaces de leur vie. À cette fin, nous souhaitons favoriser la mobilisation des savoirs de ces jeunes et, par le fait même, leur octroyer une place à l’intérieur d’un atelier participatif. Puisque le projet de type participatif s’inscrit dans un cadre interprétativiste, nous nous reposons sur une perspective de l’individu qui vise l'émancipation ; une perspective relationnelle du jeune avec son contexte socioculturel, à travers son passé et son futur.

Parmi les recherches en éducation menées auprès de jeunes issus de l’immigration au Québec, peu s’intéressent aux histoires d'adolescents ou jeunes réfugiés, bien qu’ils soient reconnus

comme un groupe illustrant une singularité au niveau de leur vécu et de leur identité, en raison de leur expérience prémigratoire, mais aussi du statut d’immigration qui les positionne différemment dans la société d’accueil (Jimeno, Martinovic, Gauthier, Bouchard, et Urquhart, 2010). Parmi les études faites auprès des jeunes réfugiés, peu font appel à une mise de l’avant directe de leur voix pour comprendre leur réalité, même si une telle perspective encourage la démocratisation des savoirs et est pertinente grâce à son potentiel à déployer des tuteurs d’empowerment pour les groupes marginalisés, ce que les jeunes réfugiés peuvent représenter (Gélineau, 2001 ; Temple et Moran, 2006). De manière courante, les démarches de recherche s’appuient sur une posture où le chercheur, qui a rarement vécu le même type de situation migratoire, situe une réflexion en ignorant parfois la pluralité constituée dans leurs histoires qui s'inscrivent à travers leurs attentes, leurs expériences, leurs rêves, etc. (Temple et Moran, 2006). Outre le fait de reconnaître la prévalence plus élevée pour des troubles psychosociaux ou des problèmes d’adaptation scolaire, la recherche faite auprès des jeunes, issus de l’immigration ou non, devrait accorder un espace de dialogue entre les jeunes et le chercheur, pour entendre leurs voix et ainsi permettre d’aller au-delà d’une posture victimisante, mais plutôt émancipatrice (Cammarota et Fine, 2008 ; Daiute, 2010). Pour certains, la participation de groupes marginalisés ou jugés comme opprimés, ce qui peut être le cas des jeunes réfugiés dans le pays d’origine ou d’accueil, est indispensable pour contribuer à la construction d’un savoir plus fidèle à leur égard, spécialement parce qu’ils ont rarement l’espace pour s’exprimer sur leur vécu (Israel, Schulz, Parker, et Becker, 1998). L’idée est essentiellement de bâtir un espace de dialogue pour coconstruire des savoirs qui les concerne, leurs voix sont donc nécessaires et doivent être entendues. Dans cette optique, nous souhaitons partager le pouvoir de la recherche et en tirer des pistes d’action significatives et culturellement pertinentes et appropriées pour eux en documentant et explorant leur construction identitaire (Sullivan et al., 2001).