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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

3.1 Angle et type de recherche

3.1.1 Fondement épistémologique et orientation méthodologique

Considérant que l’intention de cette recherche est de comprendre le phénomène de l’exil chez les jeunes en s’intéressant à leur identité et à leurs expériences migratoires et scolaires et considérant qu’il est centré sur le processus, le projet de recherche s’inscrit dans une épistémologie interprétativiste de nature exploratoire (Gauthier, 2009 ; Gohier, 2004). Ce pôle épistémologique supporte une visée compréhensive du phénomène (De Ketele et Maroy, 2006). La recherche permettra une description et l’enclenchement d’un processus inductif pour appréhender les concepts de la construction identitaire auprès de jeunes réfugiés et de leurs

parcours ; les mondes figurés, le positionnement et la construction de soi. Pour ce faire, l’orientation privilégiée, en ce qui concerne le choix des méthodes et des outils d’analyse, est qualitative.

« Une méthode qualitative de recherche est une stratégie de recherche combinant diverses techniques de recueil et d’analyse qualitative dans le but d’expliquer, en compréhension, un phénomène. Les techniques qualitatives sont les diverses opérations et manipulations, matérielles et/ou intellectuelles, destinées à aider le chercheur dans sa volonté de faire surgir le sens [...] ». (Mucchielli, 2004, p. 1)

De plus, un élément qui caractérise essentiellement notre recherche est sa volonté d’impliquer les acteurs concernés, dans le cas présent ce sont les jeunes réfugiés ; ils deviennent participants dans le déroulement de la recherche (Mongeau, 2008). À cet égard, notre intention est de situer notre recherche dans un cadre participatif, sous un paradigme émancipatoire;

« [...] qui propose de démocratiser et de collectiviser les modes de production du savoir en invitant les gens, comme individus et comme groupes, à exprimer leur identité, à exprimer leur vision, à participer à l’analyse critique de la société et à développer leurs capacités à raconter leurs propres histoires (Brandt, 2008). » (Calvé-Thibault et Mahy, 2012, p. 42)

Dans le cas de notre recherche, l’intention qui est de viser la voix des jeunes dans un cadre participatif qui encadre toute la dynamique de recherche, à la fois les pôles épistémologique, théorique et technique (Lessard-Hébert et al., 1996). Dans les recherches de ce genre, les techniques méthodologiques devront laisser place à l’Autre, comme agent de sa construction identitaire. Nous voulons comprendre l’identité sous l'angle conceptuel adopté, donc le jeune, ayant vécu l’exil, comme artisan des connaissances au sujet de sa construction identitaire.

3.1.1.1 Principes clés de la recherche participative

Certains auteurs indiquent que la participation sociale d’un individu concerne toutes activités d’affiliation à une collectivité et qu’elle peut même relever de la recherche dans une approche critique (Simard et Bédard, 2003). Selon Taboada-Leoneeti, la participation sociale implique :

« [...] l’inclusion dans des institutions ou regroupements comportant une visée collective, c’est-à-dire la mise en jeu d’un statut, d’une appartenance ou d’une catégorie sociale, à partir de la construction de liens n’appartenant pas à la sphère

du privé. Les principales dimensions de la participation sociale sont la forme (institutionnelle ou informelle), la fonction ou la visée (transformation ou défense d’un statut, de soi ou d’une catégorie sociale, recherche de bénéfices personnels, ou expressions protestataires) et les référents identitaires. » (Simard et Bédard, 2003, p. 3)

À un certain niveau, la recherche et toutes les sphères reliées à l’avancement des connaissances font partie d’une visée collective et donc, de la participation sociale.

En recensant quelques écrits sur la recherche participative, on peut constater que le terme est employé pour désigner un ensemble de recherches visant, de façon très large, l’implication de non-chercheurs au développement de la recherche, ce qui constitue un premier critère fort important. Devant cette prémisse plutôt évasive et l’essor des pratiques en recherche-action à travers les années, des auteurs ont voulu resserrer le terme recherche-action en établissant une classification, comme c’est le cas de King et Lonnquist (1994) dans une recension (Anadón, 2007). Ils ont soulevé sept formes de recherche-action : traditionnelle, collaborative, critique, technique, pratique, émancipatoire et participative (King et Lonnquist, 1994). Bien que pour certains il subsiste des distinctions importantes entre chacune de ces variantes, d’autres font remarquer que les objectifs sont, en définitive, communs et que les variantes s’apparentent davantage qu’elles ne se différencient (Israel et al., 1998). Néanmoins, les fondements épistémologiques et méthodologiques peuvent varier et il existe une grande diversité dans ce type de recherche et donc, il n’y a pas qu’une seule façon de faire de la recherche participative (Anadón, 2007 ; Denzin et Lincoln, 2000 ; Goyette et Lessard-Hébert, 1987). Devant la confusion terminologique, en ce qui a trait ce type de recherche, Gélineau (2001) a figuré les courants sur un schéma réparti sur deux axes : celui de l’appropriation de la recherche par les acteurs et celui du processus de conscientisation. Selon le degré d’importance accordée à ces deux axes, les finalités et les procédures de recherche ne seront pas forcément les mêmes. Par exemple, la recherche définie comme recherche-action du modèle de Dewey s’efforce à inviter les acteurs concernés à toutes les étapes de la démarche de recherche pour arriver à l’élaboration de solutions et à la production de connaissances. En éducation, elle a été préconisée, notamment comme stratégie, afin d’impliquer les enseignants dans l’amélioration des pratiques (Gauthier, 2009). Se situant d’un autre côté sur l’axe, la recherche-action participative prend en compte les acteurs comme des chercheurs à part entière dans le

processus de recherche et devient surtout un lieu de conscientisation et d’empowerment (Gélineau, 2001, p. 11).

Dans le domaine de l’éducation, héritage de mouvements initiés par des penseurs, tel Paolo Freire, la recherche participative, ou recherche-action participative, est née principalement de l’intention d’apporter un changement social et de promouvoir la justice sociale (Chevalier et Buckles, 2013 ; Fals-Borda et Rahman, 1991 ; Gélineau, 2001 ; Gohier, 2004). Outre l’accent mis sur la participation de divers acteurs concernés par l’objet d’étude, groupes marginalisés ou considérés comme opprimés, l’adoption d’un tel cadre de recherche implique la création d’un espace de conscientisation, dans un contexte spécifique, à partir des réflexions émises par les sujets en accord tant avec la recherche qu’avec le terrain (Anadón, 2007 ; Denzin, Lincoln, et Smith, 2008).

Comme souligné dans le chapitre précédent, nous nous inspirons du Youth Participatory

Action Research (YPAR) ou de la recherche participative auprès des jeunes, en français. Le

YPAR soutient l’idée que tous ont droit à l’accès aux outils de connaissance et de revendications sociales comme citoyens et que la recherche ne se restreint pas à un seul groupe (Cammarota et Fines, 2008 ; Cammarota, 2011). Plus précisément, des projets sous la perspective du YPAR reposent essentiellement sur l’implication des acteurs qui sont concernés pour mobiliser leurs voix. Plus qu’une invitation à la recherche, les jeunes, dont la voix est souvent réduite au silence ou approchée du point de vue de l’adulte, sont encouragés à repenser les structures et les rapports sociaux qui les concernent, à réfléchir autour de sujets qui les préoccupent et d’occuper un espace pour réaliser la valeur de leur mobilisation. La voix devient un outil de pouvoir, d’émancipation, en intégrant les jeunes comme co-chercheurs, dans l’édification de discours à leur égard, surtout en ce qui a trait à la réflexion sur leur construction identitaire (Thomson, 2008 ; Eldén, 2012). Le YPAR est une stratégie critique fondée sur la notion de réflexion et d’action (praxis/dialectique/action) de l’individu, dans son contexte socio-historico-culturel, en considérant qu’il puisse être au cœur du changement. « Rather, praxis reveals how life experiences are malleable and subject to change, and the

Tel que rapporté par Rahm, Lachaîne et Mathura (2014) :

« Sociocultural theory recognizes children and youth as competent social actors. It conceives of youth voice as plural and emerging from mediated action. Youth voice is also being jointly produced among actors in practice in the present, yet it is simultaneously grounded both historically and politically (Cammarota, 2011; Kirshner, 2010). » (Rahm, Lachaîne-L., et Mathura, 2014, p. 5)

Développée dans une perspective critique et émancipatrice, la recherche participative se caractérise par la reconsidération des enjeux de pouvoir vis-à-vis la science et la relation entre le chercheur et le sujet, en favorisant un dialogue authentique entre les parties. À cet effet, Kemmis (2002, dans Anadòn, 2007) n’établit pas de distinction entre la recherche-action critique et la recherche-action émancipatrice (Anadón, 2007). Une approche sensible au transfert des connaissances, aux expériences et aux voix de tous les acteurs aura éventuellement une portée émancipatrice (Reason et Bradbury, 2001). C’est par ailleurs dans les perspectives de créer un espace qui vise la voix des jeunes réfugiés et d’empowerment que notre projet de recherche s’inscrit.

« La recherche participative dépasse la simple considération de la participation des acteurs au processus de recherche puisqu’elle vise leur empowerment en faisant d’eux de véritables cochercheurs. [...] Inévitablement, la relation qui s’établit entre le chercheur et les acteurs constitue donc un enjeu important. [...] De plus, leur adhésion et leur engagement dans le projet ne se feront qu’au prix d’une négociation du pouvoir dans la relation et d’une reconnaissance de leur compétence. » (Caouette, 2011, p. 2)

Le rôle du « sujet » étudié est actif et le but est, notamment, de développer des postures émancipatoires pour ajuster les structures inégales de la société (LeCompte et Schensul, 1999). En contrepartie, certains soutiennent que la recherche participative, en l’occurrence la visée de la voix du jeune, ne prend pas en compte les paramètres réels du domaine de la recherche, qui s’inscrit dans un contexte institutionnel. Aussi, somme toute, malgré le souhait de réinstaurer l’équilibre entre les rapports dans la recherche, la voix des jeunes est souvent instrumentalisée de manière à finalement coordonner ou reproduire la voix des adultes (Spyrou, 2011). Nous tenions à rester vigilante à cet égard lors de la mise en place de l’atelier participatif et lors de la diffusion des résultats.

Ce faisant, nous voulions mettre en place un espace de dialogue permettant de déployer leurs pouvoirs d’action et d’exprimer comment ils y participent (Daiute, 2010). À cet effet, nous adoptons un type de recherche participatif.

« [...] la recherche participative part de la conviction que le savoir n’est jamais un objet séparé de la personne, qu’il s’inscrit au contraire à même sa relation avec la personne et son expérience immédiate des circonstances dans lesquelles cette relation se produit. » (Bourassa et al., 2007, p. 1)

Selon l’angle d’approche privilégié, la recherche participative suppose une démarche qui devrait soutenir les acteurs à se libérer des contraintes sociales vécues qui limitent leur plein potentiel et le développement d’une représentation identitaire positive (Denzin et Lincoln, 2000). Elle demeure donc pertinente pour poser un regard plus juste sur la vie de jeunes réfugiés. Il ne suffit plus de considérer un temps de parole bien circonscrit pour accueillir leur voix, mais d’accorder une place pour déployer et renforcer leurs habiletés ainsi que leurs compétences linguistiques pour les jeunes moins à l’aise avec la langue d’usage (Miller et al., 2012).

Par la posture et le cadre théorique épousés, le chercheur a une idée de ce que les choses pourraient être (Delgado et Staples, 2008). À cet effet, faire de la recherche avec ces jeunes peut tenir lieu d’accompagnement mutuel vers la construction de connaissances et de nouvelles avenues. Puis, comme le mentionne Lafortune (2014) : « Mettre en relief la parole [des] jeunes suppose d’abord de les suivre sur leurs terrains, en prêtant attention à ce qui les préoccupe et les intéresse. Il s’agit ensuite de faire écho de ces préoccupations et intérêts dans la recherche » (p. 275). Cet espace permet de demeurer sensible aux « produits du quotidien », en accédant aux multiples réalités des jeunes réfugiés, et nous autorise à reconnaître les outils mobilisés par ces jeunes. La recherche avec les jeunes peut devenir un exercice réflexif important qui doit être bien adopté et compris par tous les acteurs si nous souhaitons que cet espace apporte des contributions significatives dans le domaine de la recherche (Delgado et Staples, 2008).

En somme, notre projet, à l'instar d'une épistémologie interprétativiste, dans un cadre participatif repose essentiellement sur les principes suivants :

 travailler à développer un espace d’échanges dialectique, réflexif et critique avec des jeunes réfugiés, groupe en marge du discours social ;

 privilégier le développement de connaissances avec les participants, à leur égard ;  permettre un espace pour exprimer leurs expériences et déployer leurs compétences

transférables à la compréhension de leur construction identitaire et de leurs parcours ;  partager le pouvoir dans le processus décisionnel en matière de diffusion et d’analyse

des données ;

 établir un climat de confiance et sécuritaire pour articuler leur histoire (Thorne, 2014). Tenant compte, notamment, de ces principes, nous désirions que le terrain de recherche tire également profit de ce projet et du lien avec le chercheur, et ce projet devait contribuer aux intérêts de tous les acteurs concernés (Anadón, 2007).

3.1.1.2 Récit numérique dans un cadre participatif misant sur leur voix

L’ethnographie visuelle regroupe un ensemble de techniques visuelles, telles que la vidéo, la photographie ou le dessin, employé tant comme outil d’archivage que comme objet de recherche pour la collecte de données (Mitchell, 2011 ; Pink, 2001). En anthropologie, les techniques visuelles ont permis de capturer l’Autre d’une manière visuelle, de mettre en scène une culture ou de chercher l’émancipation de l’Autre. Dans notre cadre de recherche, il ne s’agit pas simplement d’user de ces techniques pour capter et de décrire une culture donnée, mais d’exploiter les multiples modes d’expression possibles, comme la vidéo, l’image fixe, la musique, l’écrit, etc., dans un ensemble, comme objet d’interposition entre le chercheur et les participants, et de les impliquer pour mieux saisir leurs expériences (Deutsch, 2008 ; Mitchell, 2011). Les méthodes tirées de l’ethnographie visuelle et plus précisément du récit numérique, mettent de l’avant le potentiel de la subjectivité des participants et permettent de demeurer sensible aux conditions du terrain et aux préoccupations des participants/cochercheurs (Pink, 2001). Puisque tout jeune use d’un éventail riche et varié de modes sémiotiques pour s’exprimer et représenter ses mondes, il s’avère pertinent d’offrir une occasion aux participants de les mobiliser pour refléter leurs idées de leurs parcours scolaire et migratoire en

faisant place, éventuellement, à une nouvelle lecture de leurs vécus. Elles demeurent des techniques méthodologiques et, dans notre contexte de recherche, le récit numérique prend part au processus de recherche dans son entièreté (Mitchell, 2011). Plusieurs recherches inspirées des méthodes de l’ethnographie visuelle et à la multimodalité sont particulièrement sensibles à représenter la voix des jeunes, et dans son authenticité (Dagenais, 2012 ; Eldén, 2012). Pourtant, ces approches demeurent beaucoup moins répandues dans le paysage méthodologique en éducation au sein de la communauté francophone (Pepin, 2014).

Comme énoncé dans le chapitre précédent, un de nos objectifs de recherche est d’impliquer de jeunes réfugiés dans un atelier aboutissant à la création de leur propre récit numérique (RN). Il s’agit d’un outil intéressant et particulièrement approprié pour un cadre participatif. Comme rapporté par Podkalicka et Campbell (2010), le récit numérique — technique de récit qui combine une multitude d’éléments créatifs et technologiques — peut devenir un vecteur d’empowerment pour les voix marginalisées. Ce genre d’outil autobiographique favorise l’expression de son vécu dans un cadre où le jeune est encouragé à illustrer ses capacités et ses intérêts personnels.

« Des outils d’intervention plus créatifs comme ceux de narrativité numérique ont le potentiel de rejoindre autrement les gens et de les interpeller comme sujet à part entière, en faisant appel à d’autres identités que celles qui réfèrent à leurs manques. Dans ce contexte, il est fort à propos d’étayer les connaissances sur des outils d’intervention qui permettent une expression de soi plus libre et qui contribuent à modifier les rapports de pouvoir entre l’intervenant et l’usager. » (Lemelin, 2012, p. 19)

Aux fins de notre recherche, le récit numérique n’est littéralement pas considéré comme un outil d’intervention, mais plutôt utilisé comme instrument méthodologique dans un cadre participatif, visant une réflexion et une articulation du vécu et de la construction identitaire des jeunes ainsi que de leur implication dans la recherche. L’atelier de création de récits numériques devenait à la fois un espace d’échanges et un ensemble de procédés dans lequel l’identité, dans la pratique des jeunes réfugiés, est représentée et articulée pour rendre visibles leur construction et leur reconstruction identitaires. Par contre, une meilleure connaissance de cet outil permettra éventuellement de mieux l’envisager comme pratique novatrice, pour les écoles comme pour les organismes communautaires assurant les services aux jeunes réfugiés.

Suivant les principes de la recherche-action participative et nos intentions de recherche, l’outil du récit numérique était tout indiqué pour viser la voix des jeunes réfugiés. Thorne (2014), qui s’est penchée sur le récit numérique comme espace sécuritaire d’expression créative, illustre les meilleures pratiques contribuant à un espace sécuritaire et au climat positif dans la réalisation du récit numérique. Trois dimensions principales, qui chapeautent son cadre, soit le processus, la facilitation et les enjeux éthiques, sont considérées comme des zones d’influence dans l’espace de création (Thorne, 2014). La création d’un espace sécuritaire est fondamentale pour le processus de réalisation du récit numérique puisqu’il s’agit d’une pratique qui devient un lieu de partage de son histoire, pour toucher des sujets qui peuvent être délicats, pour se dévoiler peut-être pour une première fois, et ce, de façon très personnalisée. Dans notre projet de recherche, nous souhaitions à la fois toucher leur représentation de soi et les modes mobilisés dans un contexte d’articulation de leur construction identitaire. De plus, le dialogue doit se faire à l’écart d’un débat de jugements sur la recherche de la vérité (Thorne, 2014).

3.2 Terrain : recrutement et constitution du groupe de