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Chapitre 1 : Problématique

1.2 Expériences migratoires en contexte d’exil: enjeux qui se posent dans la

1.2.1 Mobilité et pratiques transnationales dans la construction identitaire

L’acte d’immigrer peut comporter, certes, son lot d’expériences déstabilisantes, qui peuvent faire ressortir tant la fragilité des individus qu’un capital socioculturel et personnel riche (Vatz Laaroussi, 2015; Warriner, 2007). Les conditions des immigrants peuvent différer complètement selon la catégorie d’immigration et le statut accordé au moment de franchir les frontières du Canada. Pour les réfugiés, l’idée de mobilité et du projet migratoire peut s’avérer totalement différente de celle des familles de catégorie immigrante autre.

Au cours de la phase migratoire, la mobilité des réfugiés peut être très fréquente comparativement aux autres catégories d’immigrants et dans des conditions de vie distinctives (Dion, 2010 ; Simich, Beiser, Mawani, et O’Hare, 2001). En vue de leur réinstallation, et ce malgré les complications que cela peut engendrer, les réfugiés pris en charge par le gouvernement, par exemple, « changent de destination parce que, pour diverses raisons, on ne tient pas compte des préférences qu’ils ont exprimées au poste consulaire outre-mer » (Simich et al., 2001, p.6). En plus de noter particulièrement une augmentation des déplacements migratoires multidirectionnels, généralement de moins en moins prédictibles, on constate une diversification de la population des catégories d’immigrants, dont les réfugiés à travers les pays d’accueil et les pays transits (Taylor et Sidhu, 2011). Les jeunes réfugiés font donc face à des sociétés de plus en plus diversifiées, dans l'espace physique ou virtuel, et le fait d’être différent devient de plus en plus normatif sans forcément être soutenu (Suárez-Orozco et Qin- Hilliard, 2004). Avec ces changements vient aussi une redéfinition des frontières, des

questions identitaires et des appartenances transnationales. Ce faisant, entre autres par la diversification des modèles migratoires actuels, la présence de la culture numérique et l’augmentation des réseaux transnationaux, la question identitaire chez les jeunes, et particulièrement chez les jeunes ayant vécu l’exil, ne peut plus être considérée comme avant et isolée de ces transitions sociétales (Pilote et Correa, 2010).

« Qu’est-ce que le transnationalisme ? S’il existe diverses définitions, toutes s’articulent néanmoins autour des notions d’échanges, de relations et de pratiques transfrontalières, qui transcendent donc le cadre national en tant que principal point de repère pour l’exercice d’une activité ou l’affirmation d’une identité. » (IOM, 2010, p. 1)

Des enjeux qui sous-tendent le transnationalisme pourraient intervenir dans la construction et reconstruction identitaires des jeunes au cours des phases migratoires, mais aussi de leur parcours scolaire global. Les pratiques transnationales, qui peuvent être définies comme des procédés visant la création et/ou le maintien de liens sociaux multidirectionnels à travers la société d’accueil et la société d’origine, peuvent devenir saillantes chez les familles réfugiées pour diverses raisons (Arsenault, 2010 ; Torres, 2013). Ces pratiques, comme forme de participation continue, peuvent être de nature et d’intensité variables et différemment perçues par chacun des membres d’une même famille. Les pratiques transnationales ne sont certes pas nouvelles dans le phénomène de l’immigration, mais certains facteurs ont intensifié ou modifié les dynamiques du transnationalisme, dont l’avancée technologique et la mondialisation sous toutes ses formes (Nedelcu, 2010). Dans certains cas, et parce que cela peut devenir impossible pour des raisons financières ou de statut d’immigration, la mobilité peut être très limitée et le seul moyen d’avoir un contact direct avec le pays d’origine se fait par des moyens de communication à distance (Arsenault, 2010). Les séparations familiales, engendrées par l’exil et l’isolement vécus dans le pays d’accueil, peuvent aussi alimenter le besoin de maintenir un réseau transnational et créer de nouvelles formes de pratiques culturelles avec les autres membres de la famille dispersés à travers le monde (Suárez-Orozco, 2003 ; Warriner, 2007). Cela peut engendrer de nouveaux défis ayant des implications positives ou plus défavorables sur le bien-être psychosocial, comme la réminiscence du sentiment d’étrangeté et de tiraillement causant un stress important, mais aussi une autre manière de s’investir dans la culture d’origine, qui peut enrichir la reconstruction identitaire

(Torres, 2013 ; Viruell-Fuentes, 2006). Les ressources issues des pratiques transnationales peuvent contribuer, directement ou moins directement, au processus d’intégration et prendre part à la construction et reconstruction identitaire (Rachédi, Le Gall et Leduc, 2010). Par le maintien d’un réseau social et la possibilité de participer à des rituels par exemple, les pratiques transnationales peuvent faire office de réparation à l'égard du réseau social habituel perdu ou de formes transitionnelles par la navigation entre les réalités du pays d’origine et du pays d’accueil (Rachédi, Le Gall et Leduc, 2010; Vatz Laaroussi, 2016). Ces pratiques peuvent s'articuler autour de rapports intergénérationnels, nouveaux ou non, et s'inscrire dans la construction et reconstruction identitaire du jeune tout au long des phases migratoires (Vatz Laaroussi, 2015). « Pour les familles immigrantes, la transmission de l’histoire familiale, forme de mémoire familiale transmise à travers les générations et au-delà des frontières géographiques représente le gage d’une identité adaptative [...] » (Vatz-Larroussi, 2015, p. 3). De plus, les réseaux sociaux en ligne, par exemple, peuvent agir comme un espace pour communiquer dans sa langue d’origine, dans un cadre parfois plus adapté à la « culture jeune » (De Block et Buckingham, 2007 ; Gallant et Friche, 2010). La modernisation des moyens de communication permet, avec Internet, de rendre compte en partie de la jeunesse d’un peu partout dans les sociétés industrielles, de voir comment se vit la transition entre l’enfance et le monde adulte (Larson, Wilson, et Rickman, 2009). Il y a à la fois un appel à l’uniformité et à l’intégration et un regard et une réceptivité plus grands face à la différence et à l’individualisation (Larson et al., 2009 ; Suárez-Orozco et Qin-Hilliard, 2004). Les jeunes sont maintenant exposés à différents styles de vie et différentes « cultures jeunes » ainsi qu’à un mode de pratiques socioculturelles certainement influencées par la commercialisation et la consommation (Larson et al., 2009), ce qui peut tisser en toile de fond leur construction identitaire. Aussi, les liens transnationaux directs formés par les réseaux sociaux en ligne peuvent jouer un rôle de réappropriation de son histoire et de la représentation de sa voix comme jeune de statut réfugié (Godin et Donà, 2016). Ces liens tissés peuvent consolider l'expression d'une voix qui va au-delà de l'homogénéisation pouvant être faite par certains médias de masse et donc se déployer dans la construction et reconstruction identitaire.

Depuis quelques années, des études en sciences sociales ont porté sur le transnationalisme pour décrire la transformation des réseaux entre les sociétés et la complexité des liens tissés entre migrants à travers plusieurs pays et qui dépassent les limites du pays de résidence (Shahrokni, 2007; Somerville, 2008). Certains jeunes réfugiés vivent des allers-retours entre la société d’accueil et leur pays d’origine, d’autres vivent des réinstallations dans plusieurs endroits dans le monde, d’autres encore voyagent pour faire connaître des membres de la famille établis un peu partout dans le monde (Vatz Laaroussi, 2009). Toutes ces formes migratoires et la transmission de différents savoirs grâce aux réseaux transnationaux ont diverses portées sur le parcours global du jeune ayant vécu l'exil et participent à sa construction identitaire. Certaines peuvent alimenter les tensions et les négociations identitaires, d’autres peuvent incontestablement enrichir le développement du jeune et de sa famille en constituant un vecteur de résilience important devant les pertes réelles ou symboliques de l'exil (De Block et Buckingham, 2007 ; Viruell-Fuentes, 2006). Il ne s’agit pas ici d’envisager les histoires migratoires des jeunes réfugiés et la mobilité comme systématiquement néfastes, mais bien d’illustrer leurs forces retentissantes et comment ces histoires interagissent dans la construction et la reconstruction identitaires de ces jeunes (Buckingham, 2008 ; Taylor et Sidhu, 2011).

Les pratiques transnationales, qu’elles soient virtuelles ou physiques, offrent une vitrine pour comprendre les rapports entre les réseaux des jeunes de même origine vivant dans différents endroits. Les liens que peut entretenir le jeune corroborent également à sa construction identitaire en agissant comme facteur de protection et donc favoriser une reconstruction positive de soi.