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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.1 Construction identitaire

2.1.1 Construction identitaire : quelques repères théoriques

Face à la question de la construction identitaire et de son développement, le débat le plus manifeste en sciences sociales, quant à la nature et les manières d’expliquer l’identité, invoque les deux pôles suivant : l’essentialisme et le constructivisme. De manière générale, la vision essentialiste, souvent associée à l’approche cognitive et aux théories psychologiques développementales comme celle d’Erikson, fait valoir une définition de l’identité qui se développe de manière progressive au travers des stades de développement (Cohen-Scali et Guichard, 2008).

Selon Erikson, l’identité, décrite comme un sentiment subjectif, est composée de trois facettes : intégrité, continuité et interactivité. Sa théorie du développement de l’individu considère l’identité sous forme développementale par la succession de huit stades en fonction des âges de la vie (Erikson et Erikson, 1997).

« L’identité n’est qu’un concept inscrit dans une conception plus large du cycle de la vie humaine qui la conçoit comme un déploiement progressif de la personnalité à travers des crises psychosociales caractéristiques d’une certaine période. » (traduction dans Erikson, 1978, p. 128)

Pour chaque stade de la vie, l’individu fait face à une « crise psychosociale » et tend vers un équilibre devant des forces qui s’opposent. « Adolescence is inevitably and normally a time of

crisis for identity » (Stevens, 2008, p. 68). À l’adolescence, cette conception psychosociale de

l’individu présente principalement l’identité en termes de « crise » entre l’identité réalisée et la confusion des rôles, bien que l’identité ne soit pas purement associée à cette période de la vie (Erikson, 1982 ; Erikson et Frye, 1968). La confusion identitaire est d’une certaine façon, pour Erikson, l’antithèse de l’identité parce que l’individu se trouve face à un sentiment de manque de cohérence qui peut éventuellement mener à une régression psychosociale (Erikson, 1982, p. 72). L’adolescence est une période critique du développement identitaire, notamment parce

qu’elle devient marquante par la confrontation devant de nouveaux choix à faire et les divers changements qui surviennent de tous genres. L’adolescence, qui implique de nouveaux rôles et des fonctions à redéfinir, devrait idéalement passer par une phase moratoire encourageant l’expérimentation. Dans une telle perspective psychologique, l’identité est une quête de soi qui, selon Erikson et selon la théorie de Marcia (1980, dans Claes et Lannegrand-Willems, 2014) qui a repris les travaux d’Erikson, peut être achevée ou non et il n’y a pas de référence à la notion d’une construction dynamique. L’individu peut passer par des statuts identitaires, inscrits dans l’exploration et l’engagement, et son identité devient achevée lorsqu’il y a résolution de la « crise » identitaire et qu’il outrepasse la phase moratoire d’expérimentation (Claes et Lannegrand-Willems, 2014).

Parfois, l’identité est déterminée par les expressions d’affrontements identitaires ou de crises identitaires, d’autres fois, par la notion de quête de soi achevée (Cohen-Scali et Guichard, 2008). En psychologie, la notion d’identité personnelle a souvent été privilégiée, tandis que pour plusieurs théoriciens issus des domaines de la sociologie ou de l’anthropologie, l’identité s’exprime en termes d’identité sociale, ethnique ou culturelle (Claes et Lannegrand-Willems, 2014 ; Lefebvre, 2006).

La vision essentialiste conçoit l’identité comme une structure interne et observable à l’aide des comportements mesurables chez l’individu (Erikson, 1972 ; Lee et Anderson, 2009). Critiquée par plusieurs, la vision essentialiste semblait négliger les dimensions de l’hétérogénéité et de multiplicité des réalités chez l’individu (Lemke, 2008; Zhang, 2012). De plus, certains ont reproché l’aspect individuel trop important, négligeant le rôle du socioculturel fondamental dans la formation identitaire, même si les ressources sociales ne sont pas ignorées dans la théorie de Erikson (Penuel et Wertsch, 1995). Des courants constructiviste et socioconstructiviste font place à une définition de l’identité plus fluide et socialement constituée à travers le temps, les relations avec l’autre et le contexte historique et politique (Nasir, 2010). L’identité est alors incarnée dans les pratiques sociales et culturelles, et son développement est vu comme une construction ou reconstruction continue. Définie dans un tel ancrage, surtout issu de l’anthropologie, l’identité est dynamique, toujours en façonnement et reconnaissant le mouvement réciproque entre « ce que les autres disent que nous sommes et de

ce que ou qui nous disons que nous sommes (Hébert, 2001) » (traduction libre dans Zhang, 2012, p. 2).

Ce qui fait la complexité de l’identité, c’est qu’elle affiche à la fois un aspect de similitude et de différence (Buckingham, 2008). Malgré une telle dynamique qui nous définit, l’identité présente un élément de cohérence et d’unicité au fil du temps, qui nous distingue des autres. L’identité implique également un rapport avec l’autre, elle suppose donc également de multiples appartenances et référents sociaux possibles (Lee et Anderson, 2009) et une construction concernant la perception des autres de soi-même. La formation identitaire est un processus qui se réalise à travers l’interaction sociale et qui est aussi influencé par l’histoire et le quotidien du sujet, les structures et ses aspirations futures. Selon cette perspective, nul doute qu’il subsiste donc un aspect social au processus de construction identitaire et une dimension intime qui fait de chacun un être unique et fidèle à soi-même. L’identité repose sur ces deux assises, sur cette tension et cette interaction entre ces deux dimensions ; la dimension en construction continuelle, reliée aux situations (à la fois nommée l’identité sociale) dans lesquelles je me retrouve, et la dimension intime (à la fois nommée l’identité personnelle). Comme l’indique Buckingham (2008) :

« On one level, I am the product of my unique personal biography. Yet who I am (or who I think I am) varies according to who I am with, the social situations in which I find myself, and the motivations I may have at the time, although I am by no means entirely free to choose how I am defined. » (Buckingham, 2008, p. 1)

Ainsi, plusieurs des approches théoriques insistent, sans mettre totalement de côté le caractère foncièrement cohésif et singulier de l’identité, sur le caractère pluriel et fluide de l’identité (Crafter et de Abreu, 2010). Il ne s’agit pas d’explorer l’identité en y considérant une dichotomie entre l’identité sociale et l’identité personnelle, mais plutôt de chercher à comprendre la complexité et l’interrelation entre les deux ; elles font partie intégrante de la construction globale de l’identité (Wenger, 2005). Pour chacun, c’est à la fois une interprétation et une construction de sa réalité, et donc de soi, et une construction à l’égard des expériences socioculturelles et ancrées historiquement.

2.1.2 Identité dans la pratique : le cadre conceptuel de Holland et al.