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La possibilité de l’aménagement pour motifs religieux hors du droit de l’Union

TRAITEMENT LÉGITIMES

Section 1. Les différences de traitement liées au défaut de comparabilité des situations

B) La possibilité d’aménagement pour d’autres situations découlant des motifs protégés

1- La possibilité de l’aménagement pour motifs religieux hors du droit de l’Union

184. Dans un certain nombre de systèmes, l’idée d’aménager raisonnablement

l’entreprise est profondément liée, non pas au handicap, mais à la religion et aux pratiques religieuses667. Dans le contexte nord-américain, « les législations et la jurisprudence ciblent les

discriminations en raison des convictions religieuses et contraignent les employeurs à des aménagements afin de respecter la liberté de culte des travailleurs »668. C’est d’ailleurs l’origine

de la notion de reasonable accommodation. Ce n’est qu’au début des années 1990 que « cette catégorie juridique est étendue afin de protéger d’autres minorités, notamment les personnes handicapées »669. L’enjeu est « de déterminer si et dans quelle mesure une règle générale (un

horaire de travail, par exemple) doit être adaptée pour qu’une personne puisse pratiquer sa foi »670. La religion est définie par le droit étatsunien comme protégeant deux aspects, les

pratiques et les croyances671, aucune ne devant faire l’objet de discriminations. Le droit impose

« un devoir d’aménagement raisonnable, reconnaissant ainsi le fait que la liberté de religion exige la protection de la pratique et des rites religieux, ainsi que la protection des convictions »672. Le Civil Rights Act de 1964 exige, dans le secteur public, que l’employeur

666 CJCE, 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02.

667 Voir E. BRIBOSIA, I. RORIVE (dir.), L’accommodement de la diversité religieuse, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang,

2015, 370 p.

668 A. LEJEUNE, J. HUBIN, J. RINGELHEIM, S. ROBIN-OLIVIER et al., Handicap et aménagements raisonnables au travail : importation et usages d'une catégorie juridique en France et en Belgique, Paris, Mission de recherche

Droit et Justice, 2017, p. 25.

669 Ibid.

670 E. BRIBOSIA, I. RORIVE (dir.), L’accommodement de la diversité religieuse, op. cit., p. 18.

671 Civil Rights Act de 1964, Titre VII, Définitions « The term “religion” includes all aspects of religious

observance and practice, as well as belief ».

672 L. VICKERS, Réseau européen des experts en matière de non-discrimination, Rapport thématique, Religion et convictions : discrimination dans l’emploi — Le droit de l’Union européenne, 2006, 71 p.

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procède à des aménagements raisonnables du travail pour que les croyances et la pratique religieuse de l’individu soit préservée. Il s’agit, comme dans la directive 2000/78 pour le handicap, d’une obligation de moyens limitée pour l’employeur673. La Cour suprême

canadienne exige également que des aménagements soient pris à cette fin. Elle les définit comme « une obligation juridique, applicable dans une situation de discrimination, et consistant à aménager une norme ou une pratique de portée universelle dans les limites du raisonnable, en accordant un traitement différentiel à une personne qui, autrement, serait pénalisée par une telle norme »674.

185. Au-delà du droit nord-américain qui exerça une influence certaine, la Cour de

justice puise son inspiration en matière religieuse dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 9 de la Convention européenne675. Ainsi, si la Cour

européenne estime que la « liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion, non seulement de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi : on peut aussi s’en prévaloir individuellement et en privé »676. La Cour de justice de l’Union, conformément à cette interprétation, explique que

le motif religieux couvre « tant le forum internum, à savoir le fait d’avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation en public de la foi religieuse »677. Si le forum internum ne présente pas de difficulté particulière par rapport à l’emploi et au travail, le forum externum peut se trouver bien plus délicat à concilier avec celui-ci.

186. Dans un premier temps, « l’arrêt Francesco Sessa c. Italie du 3 avril 2012 illustr[a]

la réticence de la Cour européenne à entrer dans la logique de l’aménagement raisonnable en matière religieuse »678. La Cour de Strasbourg devait évaluer si la fixation d’audiences au

673 Titre VII j) du Civil Rights Act de 1964 : l’aménagement est exigé « …unless an employer demonstrates that

he is unable to reasonably accommodate to an employee’s or prospective employee’s religious observance or practice without undue hardship on the conduct of the employer’s business ». Nous soulignons.

Voir également la jurisprudence : Ansonia Board of Education v. Philbrook, 479 U.S. 60 (1986) ; United States v.

Board of Education for School District of Philadelphia, 911 F.2d 882, 886 (3rd Cir. 1990), et Webb v. City of Philadelphia, 562 F.3d 256 (3rd Cir. 2009).

674 Cour suprême canadienne, 17 décembre 1985, O’Malley c/ Simpsons-Sears, n° 17328, [1985] 2 RCS 536. 675 CJUE, 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, C-188/15, pt 30 ; CJUE, 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, pt

50.

676 Voir par exemple CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, §31 ou CEDH, 3 avril 2012, Francesco Sessa c. Italie, n° 28790/08, §34 : « La liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle implique

également celle de manifester sa religion, non seulement de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi : on peut aussi s’en prévaloir individuellement et en privé ».

677 CJUE, 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, C-188/15, pt 30.

678 L. JOLY, L’emploi des personnes handicapées entre discrimination et égalité, Paris, Dalloz, p. 179, à propos

de l’arrêt CEDH, 3 avril 2012, Francesco Sessa c. Italie, n° 28790/08.

Voir aussi M. VERA, « Liberté de manifester sa religion dans l'exercice d'une activité professionnelle », Journal

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moment de fêtes juives par des magistrats ayant connaissance du fait que l’avocat d’une partie était de confession juive constituait une atteinte à l’article 9 et si une obligation de reporter les audiences pour respecter la liberté religieuse de l’avocat s’imposait alors. Telle fut la réponse de la Cour : « même à supposer qu’il y ait eu ingérence dans le droit du requérant au titre de l’article 9 § 1, la Cour estime que cette ingérence était prévue par la loi, qu’elle se justifiait par la protection des droits et libertés d’autrui […] et qu’elle présentait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »679. Cette prise de position frileuse

s’accompagna de la voix dissidente de trois juges qui estimaient au contraire que « les conditions étaient réunies pour tenter d’arriver à un aménagement et un aménagement raisonnable – c’est-à-dire qui n’entraîne pas pour les autorités judiciaires une charge disproportionnée – de la situation »680.

187. La situation connut finalement une évolution en 2013 avec l’arrêt Eweida c.

Royaume-Uni 681. Il est remarquable déjà par sa référence directe aux droits étatsunien et

canadien sur les reasonable accommodations682. En l’espèce, la compagnie aérienne British

Airways avait refusé à ses employés une série de comportements vestimentaires exprimant des

croyances religieuses de manière visible, notamment le port d’une croix chrétienne autour du cou. Elle considérait que de tels signes étaient incompatibles avec l’uniforme de travail imposé. La Cour européenne procéda cette fois à un contrôle de proportionnalité bien plus exigeant que dans l’affaire Sessa et conclut à une violation de la liberté religieuse dans sa dimension extérieure683. L’article 9 produit donc désormais des obligations positives pouvant prendre la

forme d’aménagements raisonnables pour protéger le forum externum de la liberté religieuse684.

La Cour a également admis que les autorités pénitentiaires devaient raisonnablement aménager la prison aux besoins particuliers liées à certaines croyances685.

679 CEDH, 3 avril 2012, Francesco Sessa c. Italie, op. cit., § 38.

680 Opinion dissidente commune aux juges TULKENS, POPOVIC et KELLER, aff. Francesco Sessa c. Italie, § 10. 681 CEDH, 15 janvier 2013, Affaire Eweida et autres c. Royaume-Uni, n° 48420/10, 59842/10, 51671/10 et

36516/10.

682 Ibid., pts 48 et 49.

683 Ibid., pts 94 et 95 : « La Cour conclut néanmoins qu’un juste équilibre n’a pas été ménagé en l’espèce. [..] La

croix de Mme Eweida était discrète et ne pouvait nuire à son apparence professionnelle. Rien ne prouvait que le port par les employés d’autres vêtements religieux autorisés d’emblée, par exemple le turban ou le hijab, eût nui à la marque ou à l’image de British Airways. De surcroît, le fait que l’employeur a pu modifier son code vestimentaire pour permettre le port visible de pièces symboliques de joaillerie religieuse montre que l’ancienne interdiction n’était pas d’une importance cruciale ».

684 Dans l’affaire Eweida, c’est un aménagement de l’uniforme qui fut demandé à l’employeur privé pour tenir

compte des besoins concrets de l’employée.

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188. En droit de l’Union, avant l’adoption de la directive 2000/78, un litige opposant une

candidate à un concours de recrutement et le Conseil des Communautés européennes fut l’occasion pour la Cour, dès 1976, d’une intrusion dans la logique de l’aménagement raisonnable686. La candidate avait demandé à réaliser les épreuves écrites du concours à une

date différente, étant donné qu’elles coïncidaient avec le jour d’une fête religieuse de sa confession. La réponse de la Cour se résumait en une obligation de moyens mise à la charge de l’institution : « si un candidat informe l'autorité investie du pouvoir de nomination que des impératifs d'ordre religieux l'empêchent de se présenter aux épreuves à certaines dates, celle-ci doit en tenir compte et s'efforcer d'éviter de retenir de telles dates pour les épreuves »687. Depuis

l’adoption de la directive 2000/78, et vu l’interprétation conforme à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme adoptée par la Cour de justice, l’on peut se demander si cette dernière ne dispose pas des outils pour la reconnaissance d’aménagements pour motifs religieux.

2- La piste de l’aménagement raisonnable comme remède à la discrimination

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